« Les Engagés » d’Émilie Frèche : le poids du choix
Un premier long métrage intensément politique qui montre combien l’aide apportée aux migrants peut bouleverser en profondeur la vie d’un citoyen.
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Il faut moins d’une minute après le générique (des images de bonheur au sein d’une famille) pour que le personnage principal, David (Benjamin Lavernhe), commette un acte, inédit pour lui, bouleversant sa vie de fond en comble.
Les Engagés, Émilie Frèche, 1 h 38.
ll sort de sa voiture car il vient de heurter un jeune garçon noir ; dès qu’il entend des voix de policiers manifestement à la recherche de celui-ci, sans hésiter, il le cache dans le coffre. On ne peut pas faire plus direct pour montrer qu’un geste d’humanité s’accomplit sans avoir à y réfléchir. Comme un quasi-réflexe.
C’est le très beau début des Engagés, le premier long-métrage d’Émilie Frèche, connue jusqu’ici comme autrice et scénariste. David est kinésithérapeute. Il a pour compagne Gabrielle (Julia Piaton), divorcée, dont l’ex-mari est prêt à invoquer le moindre prétexte pour récupérer la garde de leurs deux enfants.
Or, David, parce qu’il fait acte de solidarité avec des migrants, et en particulier avec cet adolescent, Jocojayé (Youssouf Gueye), qu’il est désormais décidé à protéger quoi qu’il arrive, va se retrouver dans la peau d’un délinquant.
Au centre du film, inspiré de l’affaire des « sept de Briançon » : la réaction primaire, essentielle, qui a saisi David, et le prix à payer dès lors que son engagement devient sans faille. A priori, cet homme sans histoire n’a rien d’un militant. On ne sait rien de ses partis pris politiques, ni même s’il en a.
Il mène une existence tranquille dans de superbes paysages alpestres, près de la frontière italienne. Jusqu’à ce que le monde et ce qu’il comporte de drames fassent irruption dans sa vie. Se porter au secours d’un mineur vulnérable, seul, qui a dû surmonter maintes horreurs – dont la mort, à ses côtés, de son frère – lui semble une évidence, une conduite non négociable.
Celle-ci le mène au bord de la révolte et le fait basculer dans une situation inextricable qu’il n’avait pas anticipée. La police, qui, absurdement, n’a de cesse de renvoyer les migrants derrière la frontière italienne, repère rapidement les faits et gestes de David, dont le signalement remonte au procureur.
David doit se comporter comme un hors-la-loi, jouant au chat et à la souris avec les forces de l’ordre.
Il doit se comporter comme un hors-la-loi, jouant au chat et à la souris avec les forces de l’ordre. Mais ce n’est pas tout. Sa compagne réprouve son attitude, considérant qu’il lui fait courir le risque de perdre la garde de ses enfants. Avec l’association locale d’aide aux migrants, qu’il a été amené à rejoindre, David finit aussi par être en indélicatesse. Parce qu’il ne respecte pas les procédures, les limites admises, ce qui pourrait mettre l’existence de l’association en danger.
Souhaitons le même succès aux Engagés que celui rencontré à son époque par Welcome (2009). D’autant que le long-métrage d’Émilie Frèche nous apparaît bien plus fort que celui de Philippe Lioret. Si les deux films adoptent le point de vue d’un aidant (et non d’un migrant) et abordent la question du délit de solidarité, Les Engagés montre un personnage atteint en profondeur par les événements auxquels il est confronté.
David, interprété par un Benjamin Lavernhe sachant rendre à merveille sa spontanéité et ses réactions épidermiques, ne peut plus être le même au terme de cette histoire. Il n’y a pas d’engagement sans exposition de soi, parfois très douloureuse. On mesure ici la différence entre un film qui s’en tenait au plan humanitaire (Welcome) et une œuvre intensément politique. Âpre et juste.