L’homophobie ? Ils s’en foot !

Porte-parole du collectif Rouge direct, Julien Pontes déplore l’inertie des instances sportives face à la banalisation des injures dans les stades et sur les réseaux sociaux.

Jean-Claude Renard  • 2 novembre 2022 abonnés
L’homophobie ? Ils s’en foot !
© Photo : LOIC VENANCE / AFP.

Cet entretien a été réalisé par Jean-Claude Renard, journaliste à Politis brutalement disparu le 31 octobre. La rédaction lui rend hommage ici avec plusieurs témoignages de collègues et amis.


« Paris, vous êtes des pédés, vous êtes des pédés… Ici, ce sont les hommes qui parlent. » Ces propos ont été tenus par Patrice Evra, ancien joueur défenseur de Manchester United et ancien capitaine de l’équipe de France de foot, à l’occasion d’une défaite du Paris Saint-Germain à Manchester, en 2019, en Ligue des champions.

Diffusés sous forme de vidéos sur les réseaux sociaux, ils ont conduit le joueur au tribunal de police de Paris pour « injure non publique ». Il risque 1 500 euros d’amende (certes une somme insignifiante pour lui). Prévu le 17 octobre, le procès a été renvoyé au 15 décembre.

Pour Julien Pontes, porte-parole du collectif anti-homophobie Rouge direct, la condamnation de Patrice Evra serait « un symbole fort », alors que les injures homophobes sont courantes dans les stades chaque week-end. À quelques semaines de la Coupe du monde de foot au Qatar, où la communauté LGBT n’est clairement pas la bienvenue, Julien Pontes revient sur ce fléau, trop souvent minoré ou ignoré par les instances sportives.

Quand le collectif Rouge direct est-il né ?

Julien Pontes : Nous nous sommes formés à la fin de l’année 2016. J’avais déjà été président de l’association Paris Foot Gay, de 2011 à 2015, ce qui a constitué une bonne expérience sur les questions d’homophobie dans le football. Le Paris Foot Gay a été très actif entre 2003 et 2015, puis nous avons constaté des reculs importants dans la volonté d’éradiquer ce fléau et nous nous sommes sentis découragés par le manque d’action en la matière.

Cependant, nous nous sommes dit que nous avions trop travaillé sur le sujet pour perdre tout ce travail et cette expérience. D’où la naissance, un an après la fin de Paris Foot Gay, du collectif Rouge direct, que nous concevons comme un lanceur d’alerte, avec l’intention d’engager des actions en justice pour faire cesser l’impunité de l’homophobie dans le football.

Quel bilan tirez-vous de ces premières années ?

Nous sommes d’abord très contents d’avoir repris la lutte, parce qu’elle nous semble plus nécessaire que jamais. L’impunité est toujours évidente et toujours insupportable, notamment dans le football professionnel.

Le foot a toujours drainé avec lui le culte du virilisme, fortement marqué par l’homophobie.

Quelles sont les expressions de cette homophobie ?

Ce sont des banderoles dans les stades, des chants insultants en Ligue 1 et en Ligue 2, sans que ces faits réprouvés par la loi soient sanctionnés ou fassent l’objet d’actions en justice de la part des clubs ou de la Ligue de football professionnel (LFP). Nous avons bien fait de repartir au combat, quand bien même il demeure très difficile. On entend toujours : « Les Parisiens sont des pédés » ou bien « Les Lensois sont tous pédés ». Il n’y a jamais aucune action disciplinaire.

© Politis
Photo : LOIC VENANCE / AFP.

Le problème n’est pas circonscrit au football professionnel…

Dans le secteur amateur, ce sont des formules adressées aux enfants ou aux adolescents de la part d’un entraîneur. « Vous êtes pas des tapettes », ou bien : « Qu’est-ce que c’est que ce tir de tarlouze ! » Quand on entend ça tout petit, ça laisse des traces. Cela fait partie de la banalisation des injures homophobes, et c’est très dégradant pour les gays.

On observe aussi que les supporters se réfèrent beaucoup à cette sémantique pour injurier l’adversaire. On entend souvent, à chaque dégagement d’un gardien : « Ho hisse, enculé ! » On se demande ce que cela vient faire là-dedans… Or, si une fédération n’y reconnaît pas de l’homophobie, n’admet pas qu’il y a un problème, c’est aussi de l’homophobie, selon nous. L’omerta sur ce fléau constitue une forme d’homophobie.

Depuis quand s’exprime l’homophobie sur les terrains de sport ?

Nous ne sommes ni historiens du football ni sociologues. Mais le foot a toujours drainé avec lui le culte du virilisme – un virilisme fortement marqué par l’homophobie. Pour être un vrai homme, on ne peut pas être homosexuel. Pour être un bon joueur, rude et rugueux, puissant et rapide, dur au contact, eh bien on ne peut pas être un homosexuel… Cette idée existe dans le football depuis sa création, et elle n’a jamais quitté cet univers.

D’autres sports que le football sont-ils concernés ?

En nous appuyant sur différents indicateurs – la presse, des rapports, des enquêtes qui permettent de dresser un inventaire –, on observe que le foot est le sport le plus affecté par la mentalité homophobe. Mais cela se produit dans d’autres sports collectifs et dans les activités de combat comme la boxe et la MMA, peut-on lire dans un rapport du ministère des Sports rendu public en 2013.

Quels sont les moyens mis en place pour lutter contre l’homophobie ?

Des moyens très faibles ! Par exemple, la Fédération française de football (FFF) est indifférente à la situation des LGBT dans les milieux du football. Dans la mesure où elle représente l’équipe de France, elle pourrait concevoir et lancer une campagne. Ce sont des moyens très simples à mettre en œuvre, qui permettraient de sensibiliser des millions de personnes en affirmant qu’on peut être footballeur et gay. En 2013, Barack Obama avait salué le coming out d’un footballeur états-unien qui assumait pleinement son homosexualité, Robbie Rogers. Ça n’a rien coûté, pas un euro ni un dollar, mais le retentissement a été considérable.

Les responsables politiques peuvent prendre la parole, le service public également, avec des messages clairs portés par les joueurs de l’équipe de France par exemple – surtout à quelques semaines de la Coupe du monde au Qatar, où les LGBT sont persécutés.

Êtes-vous soutenus par le ministère des Sports ?

Nous échangeons régulièrement avec ses représentants, nous faisons part de nos revendications. Ils sont à l’écoute, mais c’est dans la mise en œuvre concrète qu’il y a des défaillances. La Fédération française de football se contente de son programme éducatif fédéral. Encore faut-il pouvoir se procurer ce document…

La FFF se couvre avec un programme qui, en réalité, n’est pas appliqué. Elle ne recense pas le nombre de faits établis, alors qu’elle devrait les rapporter systématiquement à son ministère de tutelle. De même pour la Ligue de football professionnel : si elle ne sanctionne pas les faits avérés d’homophobie, alors que nous les lui signalons par des vidéos, cela signifie qu’elle les trouve normaux. C’est reconnaître un droit à l’homophobie.

Nous livrons des signalements à la LFP, mais jamais sa commission de discipline ne sanctionne, malgré les preuves matérielles.

En définitive, vous n’avez pas le soutien des institutions les plus impliquées…

Non. Nous effectuons des demandes, nous livrons des signalements à la LFP, mais jamais sa commission de discipline ne sanctionne, malgré les preuves matérielles. La Ligue mène la politique de l’autruche. Sanctionner reviendrait pourtant simplement à appliquer le règlement : « Toute manifestation d’homophobie doit être sanctionnée par la commission de discipline, par une amende, par des matchs à huis clos, par des fermetures de tribunes. » Ça n’arrive jamais. C’est bien le problème, un problème qui n’est jamais pris en considération.

L’impunité continue de régner ?

En 2019, nous avons alerté sur un chant homophobe au stade Bollaert de Lens. À la suite de quoi la presse a relayé notre alerte et le préfet du Pas-de-Calais a effectué un signalement au procureur de la République de Béthune. Quand la Ligue a vu que cela prenait des proportions importantes et d’ordre pénal – parce que l’homophobie est un délit –, à ce moment, sous notre pression, elle a infligé une amende de 50 000 euros au RC Lens.

La même année, la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, a constaté des chants homophobes dans les tribunes du Paris Saint-Germain à l’occasion d’un autre match. Jamais la Ligue de football professionnel n’a convoqué le club parisien en commission de discipline, ce qui est arbitraire et anormal. La LFP a pourtant une obligation au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Tout dépositaire de l’autorité publique a l’obligation de dénoncer les délits dont il a connaissance. La LFP se soustrait systématiquement à cette obligation.

La Mairie de Paris n’aurait-elle pas son mot à dire ?

Elle pourrait s’exprimer, mais il ne se passe rien. Nada ! La Ville est pourtant propriétaire du Parc des princes, le Paris Saint–Germain étant concessionnaire. Anne Hidalgo devrait réagir, surtout quand on lui livre des vidéos dans lesquelles on entendait encore, le 16 octobre, à l’occasion du classico PSG-OM : « Marseille, Marseille, on t’encule ! »

Mais il n’y a aucune réaction ni de la maire, ni des élus, ni des parlementaires. Pas un mot d’indignation n’est exprimé. Politiquement, la lutte des LGBT est désertée par tout le monde, à gauche comme à droite. Et le soir de PSG-OM, personne n’a rien dit. N’est-ce pas pourtant le rôle des parlementaires, des élus ? N’ont-ils pas l’obligation de dénoncer les injures homophobes ?

Si on laissait passer des injures proférées par un ancien capitaine des Bleus, cela voudrait dire qu’il y a un droit à l’homophobie dans notre pays.

N’y a-t-il pas un déni global de ce fléau ?

C’est exactement cela. Un déni de la Ligue et de la Fédération, du président de cette dernière, Noël Le Graët, qui est pareillement dans le déni du racisme dans le foot. Pour susciter des réactions, il faut la pression de collectifs comme le nôtre, d’associations ou de journalistes qui, par exemple, ont dénoncé les violences sexuelles et sexistes à la Fédé. Le ministère m’a commandé un rapport sur l’homophobie, il y a un mois, mais la FFF n’a toujours pas réagi.

Qu’attendez-vous du procès de Patrice Evra ?

Une prise de conscience des amateurs de football et de la société française. L’homophobie n’est pas sans conséquences chez les jeunes gays, dont le taux de suicide est cinq fois plus important que celui des autres jeunes ! La banalisation des insultes, ça use. Si on laissait passer des injures proférées par un ancien capitaine des Bleus, cela voudrait dire qu’il y a un droit à l’homophobie dans notre pays. Or ce n’est pas une opinion, c’est un délit. Personne ne doit être à l’abri d’une condamnation pour des faits homophobes.

Société
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