No pasarán !

Contre la « nouvelle internationale fasciste », le sociologue Ugo Palheta appelle la gauche à renouer avec l’internationalisme. Un salutaire essai de combat.

Sébastien Fontenelle  • 16 novembre 2022 abonnés
No pasarán !
© Manifestation antifasciste à Bayonne le 1er mai 2022. (Photo : Yann Macherez / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.)

De la même façon que « le fascisme fut un mouvement global dans l’entre-deux-guerres », le néofascisme « forme » aujourd’hui une nouvelle « internationale » brune implantée partout dans le monde, du Brésil de Bolsonaro à la Russie de Poutine en passant notamment par l’Inde de Modi et la Hongrie d’Orban, constate le sociologue Ugo Palheta dans ce salutaire essai de combat.

La Nouvelle Internationale fasciste, Ugo Palheta, Textuel, 96 pages, 13,90 euros.

Il n’y a rien là de complètement nouveau, puisque non seulement « les extrêmes droites des différents pays et régions du monde, qu’il s’agisse de cénacles intellectuels, de groupuscules violents, de milices armées ou de grosses machines électorales » – comme celle qui a permis à Donald Trump d’être élu président des États-Unis en 2016 – ont « toujours eu des liens entre elles à l’échelle internationale, parfois extrêmement étroits », mais encore « leurs dynamiques s’inscrivent bien dans un processus de globalisation des mots, des images, des idées, des styles et des affects nationalistes, autoritaires, racistes, masculinistes, transphobes, conspirationnistes, etc. ».

Pourtant, le niveau de la menace est inédit. La France, bien sûr, n’est pas épargnée : ici aussi, l’extrême droite xénophobe – toujours soutenue dans les « situations de grande instabilité politique » par « des pans entiers des classes possédantes » – prospère désormais en s’inventant notamment une « fibre » prétendument « sociale » qui, dans la réalité, « va rarement plus loin qu’un discours » « consistant à se désoler des effets du capitalisme » sans jamais en pointer « les causes ».

Inventer l’anti fascisme du XXIe siècle

© Politis

Contre ce danger immédiat, les formations néolibérales de « l’extrême centre », qui n’ont eu de cesse, lorsqu’elles étaient au pouvoir, de « revenir sur des conquêtes sociales […] tout en menant des politiques brutales vis-à-vis des migrant·es » et des expéditions guerrières « dans les pays du Sud global », ne constituent évidemment pas « un barrage » : ce sont notamment les trahisons du « socialiste » François Hollande, rappelle Ugo Palheta, qui ont permis chez nous « la montée des forces néofascistes dans les années […] 2010 ».

Pour éviter le pire, le sociologue en appelle à un « internationalisme » retrouvé, qui, selon lui, « s’exprime » déjà « ici et maintenant à travers les combats pour les droits des sans-papiers, contre l’islamophobie, la négrophobie ou la romophobie, contre les formes de violence qui s’abattent sur les quartiers populaires et d’immigration ». Car « c’est aussi là, non simplement dans les mobilisations contre l’extrême droite, que s’invente un antifascisme du XXIe siècle ».

Il y a urgence, et il n’est pas question d’échouer, ajoute Palheta, « car notre défaite signifierait qu’aux dévastations sociales et environnementales s’ajouterait la barbarie néofasciste ». Puis de conclure : « Ils ne passeront pas. »


Autres essais

Le monde ne sera plus comme avant, Bertrand Badie et Dominique Vidal (dir.), éd. Les Liens qui libèrent, coll. « Le monde d’après », 336 pages, 22 euros.

Des années durant, Bertrand Badie et Dominique Vidal ont coordonné la série L’État du monde, publiée chaque année à La Découverte. Interrompue l’an dernier, la collection renaît aujourd’hui sous le titre « Le monde d’après », avec ce premier opus s’attachant à « saisir la nouvelle grammaire des relations internationales, libérée des projections du passé ». Ce volume collectif documente les grands enjeux planétaires actuels, stratégiques, migratoires ou climatiques, du conflit en Ukraine à la progression des populismes.


© Politis

L’Émigré, Günther Anders, traduit de l’allemand par Armand Croissant, éd. Allia, 64 pages, 7 euros.

Paru en 1962, ce texte, inédit en français, de celui qui fut le premier mari ­d’Hannah Arendt, livre une vision déchirante de la condition morale et sociale de l’émigré. Membre de l’école de Francfort et juif, il dut s’exiler dès 1933, en France puis aux États-Unis. Anders a donc vécu ce « drame intime » qui oblige l’exilé à reconstruire sa vie sociale « à partir de rien », pensant et s’exprimant dans une nouvelle langue, dans un « dessaisissement de soi » dû à la multiplication de ses identités. « Nous, les pourchassés de l’histoire universelle, avons été privés de la possibilité d’une vie au singulier. » Un essai d’une grande force.


Nos corps, Camille Froidevaux-Metterie, Revue Un texte à soi, n° 1, éd. Le Comptoir des mots, 49 pages, 5 euros.

Loin de considérations essentialisantes, la philosophe Camille Froidevaux-Metterie explore les questions corporelles à travers un prisme féministe, dénonçant l’incapacité de se démarquer des injonctions faites aux femmes d’être « des hommes comme les autres » – sans cycle menstruel, endométriose, ou toute autre problématique liée aux corps féminins… Avec « Nos corps », pour le premier numéro de cette nouvelle revue, Un texte à soi, titre au clin d’œil appuyé à Virginia Woolf, les libraires-éditrices du Comptoir des mots proposent aussi un retour vers l’ouvrage de l’autrice, Un corps à soi (paru au Seuil en 2021). Mais au-delà, par son format court, c’est un nouveau catalogue de textes, concis, accessibles et efficaces qui s’annonce, dédié aux questions féministes contemporaines.

Idées
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