Ocean Viking : un naufrage diplomatique
La crise du bateau humanitaire de SOS Méditerranée a exacerbé les tensions autour de l’accueil des réfugiés dans l’Union européenne.
dans l’hebdo N° 1732 Acheter ce numéro
Ces 21 jours d’errance en mer pour l’Ocean Viking de SOS Méditerranée et ses 234 rescapés ont été pour l’Europe comme une longue léthargie dont on se réveille avec un méchant mal de crâne. Après que l’Italie et Malte ont refusé d’appliquer le droit maritime international d’assistance, la France s’est finalement résolue à accueillir le navire à Toulon le 11 novembre, les bras (à moitié) ouverts.
Rien n’a-t-il donc changé depuis 2018 et la crise de l’Aquarius, quand 600 réfugiés avaient erré plusieurs jours en mer avant d’être enfin débarqués en Espagne ? Pourtant, en juin dernier, un système de « relocalisation » – terme administratif désignant la répartition de l’accueil entre États – a été voté à l’échelle européenne. Las, une fois encore, ce sont les égoïsmes nationaux qui ont primé. La crise entre l’Italie et la France en est la manifestation la plus patente.
Lorsque, le 10 novembre, Gérald Darmanin annonce la décision de la France, « à titre exceptionnel », d’accueillir le navire humanitaire, ce n’est pas sans dénoncer « l’attitude inacceptable » du gouvernement de Giorgia Meloni. « La France regrette profondément que l’Italie ait décidé de ne pas se comporter en pays européen responsable », dénonce le ministre de l’Intérieur.
Représailles
Pourtant, quelques jours plus tôt, c’est le même Gérald Darmanin qui avait déclaré sur BFMTV s’en remettre en toute confiance à la responsabilité de l’exécutif italien. Quand, de son côté, son collègue Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, déclarait au contraire que la France était prête à « accueillir [les réfugiés] comme n’importe quel autre pays »…
Telles des représailles pour cette prise en charge impromptue des passagers de l’Ocean Viking, la France a immédiatement décidé de suspendre l’accueil, conclu cet été, de 3 500 exilés actuellement sur le territoire italien. Mais aussi de déployer 500 policiers et gendarmes supplémentaires pour renforcer les contrôles à la frontière franco-italienne. Une décision qui « montrera, malheureusement, que nous pouvons nous aussi empêcher un certain nombre de passages », a plastronné Gérald Darmanin.
À Rome, Giorgia Meloni dénonce une réaction française « agressive […] et injustifiée ». Depuis son arrivée au pouvoir début octobre, la présidente du Conseil a affirmé plusieurs fois sa volonté de durcir sa politique migratoire, emboîtant le pas à Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur entre 2018 et 2019.
« Enfin, nous avons recommencé à protéger nos frontières ! » s’est d’ailleurs félicité ce dernier sur Twitter après la signature d’un décret, le 4 novembre, restreignant l’accueil des bateaux humanitaires. Même si le port de Catane avait dû laisser accoster deux navires deux jours seulement après le vote de la mesure – seuls les mineurs et les personnes malades ayant pu toutefois débarquer.
Barbelés
Des symboles mis en scène qui témoignent de l’instrumentalisation de l’accueil des réfugiés à des fins politiques intra-européennes. Car, derrière l’acte de sauvetage spontané dont se targue la France, se cache une ligne dure, en partie instaurée et consolidée ces dernières années par le locataire de l’hôtel de Beauvau.
Après l’entrée en rade de Toulon de l’Ocean Viking, les 234 rescapés ont été emmenés dans un camping de la presqu’île de Giens, déclaré « zone d’attente administrative », où ils sont surveillés par pas moins de 200 policiers.
Ce qui signifie qu’ils ne sont pas (encore) considérés comme accueillis sur le territoire français ; leur situation sera examinée au cas par cas. Pour, selon Darmanin, répondre aux principes de « dignité humanitaire, sécurité, rigueur et fermeté. » Mardi, il a été décidé que44 d’entre eux seront expulsés dès que leur état de santé le permettra. Aussi simplement que ça
Au fond, cette séquence illustre, une fois de plus, à quel point l’Europe est incapable de répondre à la « crise des migrants » depuis 2015. Pire, en sept ans, les États se sont plus que jamais entourés de barbelés. Le refus de cet accueil par l’Italie laisse présager de futures semblables séquences.