Olives amères en Palestine

L’année 2022 a été marquée par une hausse des attaques des colons israéliens contre les terres agricoles et les paysans.

Anne Paq  • 23 novembre 2022 abonné·es
Olives amères en Palestine
© Doha Asous récolte ses olives à Burin, sur des terres près de la colonie israélienne de Yitzhar. (Photo : Anne Paq.)

« Je suis une agricultrice. Toute ma vie est consacrée à cultiver la terre. Je n’aime pas rester à la maison », affirme Doha Asous avec un grand sourire, alors qu’elle est perchée dans un olivier sur une de ses terres, dans le village de Burin, en Cisjordanie. C’est le premier jour de la récolte de ses olives, qui va durer jusqu’en novembre, une période cruciale pour Doha comme pour de nombreuses familles palestiniennes.

Près de 100 000 familles palestiniennes tirent leurs revenus de la récolte des olives. Cette culture, vieille de plusieurs milliers d’années dans la région, représente environ 20 % de la production agricole palestinienne. Les oliviers sont omniprésents dans les paysages, près de 60 % des terres cultivées leur sont consacrées.

Mais la récolte des fruits n’est pas seulement une question économique : l’huile d’olive est la base de la nourriture. L’olivier est aussi un symbole de la résistance et de l’identité palestiniennes. Depuis 1967, 800 000 arbres ont été déracinés par les forces israéliennes, selon une étude publiée en 2012 par l’Institut de recherche appliquée de Jérusalem (Arij).

La récolte est toujours attendue avec impatience, même si les Palestinien·nes redoutent les attaques des colons israéliens dans cette période, en particulier sur celles de leurs terres qui sont proches des colonies. Non seulement cette année n’a pas fait exception, mais elle a été marquée par une forte augmentation des agressions.

Au cours des dix premiers jours de la récolte, plus de 100 attaques de colons ont été recensées en Cisjordanie : vols d’olives, incendie de terres et de plantations, empoisonnement d’arbres, attaques contre des agricultrices et des agriculteurs, dommages causés à leurs voitures ou à leurs équipements, harcèlements, menaces, etc.

Refus de permis agricoles

Les colons se sentent galvanisés par la montée en puissance de leur représentation au cœur même du pouvoir israélien, comme en témoigne l’ascension fulgurante d’Itamar Ben-Gvir, un député suprémaciste juif et lui-même colon, qui s’apprête à devenir un des hommes forts du nouveau gouvernement dirigé par Benyamin Netanyahou.

Le contexte de la récolte, cette année, est aussi marqué par la résurgence de la résistance armée palestinienne en Cisjordanie, notamment au nord, dans les régions de Naplouse et de Jénine.

Des attaques ont visé des soldats mais aussi des colons israéliens, ce qui n’a pas manqué de provoquer des actes de rétorsion de leur part contre les communautés palestiniennes. L’armée israélienne a intensifié ses incursions et utilisé des mesures de punition collective.

Selon les Nations unies, l’année 2022 est la plus meurtrière en Cisjordanie depuis 2005. Fin octobre, on dénombrait 130 Palestinien·nes, dont 30 enfants, tué·es par l’armée israélienne ou les colons. À ces violences, il faut ajouter les restrictions de mouvement imposées par la puissance occupante, en particulier pour les familles dont les terres sont proches des colonies ou au-delà du mur de séparation.

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Chaque année, les passages sont tributaires d’un obscur système de permis et d’heures très limitées, ce qui rend la récolte difficile. En 2020, les autorités israéliennes avaient refusé 73 % des permis agricoles.

Malgré les menaces, les attaques et les obstacles, la plupart des Palestinien·nes ne renoncent pas pour autant à aller récolter leurs olives. Doha, 60 ans, cultive à Burin toutes sortes de légumes et d’arbres fruitiers, et sans pesticides. Son village est entouré de colonies israéliennes, dont celle de Yitzhar.

Lorsque nous la rencontrons, Doha récolte seule ses olives, sur un terrain situé à quelques centaines de mètres de la colonie tristement célèbre pour abriter certains des colons les plus extrémistes et les plus violents de Cisjordanie. Elle passe avec dextérité un petit râteau sur les branches pour faire tomber les fruits.

«Aujourd’hui c’est shabbat, donc les colons ne viendront pas. Enfin, j’espère…» Elle jette régulièrement des coups d’œil inquiets vers la route. Pour conjurer son anxiété, elle chante de vieilles chansons. C’est ainsi qu’elle se sent la plus heureuse, explique-t-elle, lorsqu’elle est auprès de ses arbres.

© Politis

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Doha Asous récolte ses olives à Burin, sur des terres près de la colonie israélienne de Yitzhar. Elle partage un repas sous les oliviers avec des membres de sa famille. La récolte des olives relève de la tradition palestinienne, et il est courant de voir plusieurs générations travailler sous le même arbre. (Photos : Anne Paq.)

Sa famille plante des oliviers depuis des générations. Son père a été tué par l’armée israélienne, alors c’est sa mère qui semait et récoltait seule. Elle montre fièrement quelques-uns de ses arbres : «J’ai planté ceux-là avec elle et ma grand-mère, qui m’ont appris le métier. »

À l’heure du déjeuner, elle partage le repas avec ses proches qui travaillent eux aussi dans leurs champs, un peu plus bas – houmous, falafel, baba ghanouch, pain, café arabe. La récolte des olives est un moment convivial et d’entraide pour les communautés. Parfois, trois ou quatre générations se retrouvent autour du même arbre. « La récolte est aussi une tradition, explique Doha. Il y a un dicton arabe : “L’huile d’olive est le pilier de la maison.” »

Solidarité non-violente

Doha montre quelques arbustes d’olivier calcinés : « Chaque année, des colons viennent brûler une partie de nos terres. C’est très douloureux. Nous élevons nos arbres comme nos fils. » À cause de l’avancée des colonies, elle ne peut plus travailler que sur un quart de ses terres familiales.

Les craintes de Doha se confirment : la nouvelle lui parvient qu’une attaque a eu lieu contre le village voisin d’Urif, à quelques kilomètres, de l’autre côté de la colonie de Yizhar. Le lendemain, un groupe de volontaires internationaux viendra aider l’agricultrice à terminer la récolte. Un soulagement, mais de courte durée. Quelques jours plus tard, le village de Burin est attaqué. Un des membres de la famille de Doha est blessé en défendant la place. Il risque d’y perdre un œil.

Face à ces attaques répétées, les Palestinien·nes ne peuvent compter ni sur les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne, qui n’interviennent jamais dans ces situations, ni bien sûr sur l’armée israélienne, en collusion sur le terrain avec les colons. Sur place, il n’y a pas de force internationale d’interposition, et les groupes de militants internationaux ou israéliens ne font pas le poids.

Des membres du Comité de coordination de la lutte populaire, créé en Cisjordanie pour une résistance non armée à la colonisation israélienne, ont décidé de lancer, il y a trois ans, la campagne « Faz3a ». Mahmoud Zwahre, un des fondateurs, explique : «Il s’agit d’aider les agricultrices et les agriculteurs à récolter leurs olives dans les zones à risques et de les protéger en cas d’attaques de colons. C’est une solidarité non violente, nous n’avons que nos corps et nos caméras. »

Les colons ont dit qu’ils devaient tuer les gens comme moi parce que nous ne devrions pas vivre dans ce pays.

Munther Amira, un autre membre du collectif, ajoute qu’« il ne s’agit pas seulement de protection physique. Nous voulons aussi changer les mentalités et briser l’idée que nous avons besoin de la permission des forces israéliennes pour aller sur nos propres terres. Et nous réussissons».

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Attaque éclair de colons descendus d’un avant-poste de la colonie de Shilo contre les familles palestiniennes et leurs soutiens participant à la récolte des olives dans le village de Turmus Ayya. Plusieurs Palestinien·nes seront blessé·es et deux voitures incendiées par les colons. (Photo : Anne Paq.)

Cette année, l’attaque la plus grave contre la campagne Faz3a a eu lieu le 19 octobre à Kisan, situé au sud-est de Bethléem, par une cinquantaine de colons masqués. Hagar Gefen, une militante israélienne de 70 ans qui documentait l’attaque, a été brutalement attaquée à coups de pierres et de bâtons.

«Ils ont dit qu’ils devaient tuer les gens comme moi parce que nous ne devrions pas vivre dans ce pays. » Avec trois côtes cassées, un poumon perforé, quatre fractures à la main droite, quatre points de suture à la tête, elle est passée tout près de la mort.

L’attaque n’a pas dissuadé Faz3a de continuer. Le 25 octobre, accompagné d’un bus affrété par l’Autorité palestinienne, le collectif se rend à Turmus Ayya, au nord de Ramallah, sur des terres situées près d’un avant-poste de la colonie israélienne de Shilo. Quelques soldats israéliens et deux colons sont déjà sur place, surplombant une famille palestinienne au travail. Soudain, la situation bascule.

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Après l’attaque de colons à Turmus Ayya, les soldats israéliens empêchent les Palestinien·nes et leurs soutiens de retourner sur les terres pour reprendre la récolte. (Photos : Anne Paq.)

Une trentaine de colons masqués, certains armés de bâtons, dévalent la colline, contournent les soldats et lancent des pierres sur le groupe. Mouvement de panique. Quelques Palestinien·nes répliquent à coups de pierres. Les colons se montrent de plus en plus menaçants, provoquant la fuite de la grande majorité des personnes. Ils incendient deux voitures.

Malgré le barrage de soldats israéliens qui utilisent du gaz lacrymogène et des bombes assourdissantes, le groupe de Palestinien·nes parvient à retourner sur les terres pour reprendre la récolte, qui se poursuivra dans une relative bonne humeur pendant les trois heures suivantes.

Harcèlement

Pas de répit cependant pour le collectif Faz3a. Lors de la journée de mobilisation suivante, organisée à Jibiya, près de la ville de Bir Zeit, des colons débarquent, cette fois armés de fusils M16 et de pistolets, pour harceler les militant·es.

Un autre groupe de colons cassent le pare-brise d’une dizaine de voitures du collectif, ainsi que de celles des journalistes les accompagnant. S’il n’y avait pas eu de nombreuses caméras, il y aurait eu des violences physiques, affirme Mohammed Abdeljawad, le propriétaire des terres, qui ne se serait pas aventuré sur ses cultures sans la protection du collectif.

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Un colon d’un avant-poste israélien près du village de Jibiya harcèle les militant·es venu·es aider Mohammed Abdeljawad, le propriétaire palestinien des terres. La récolte sera interrompue par une attaque de colons sur le village. Une dizaine de voitures ont été vandalisées. (Photo : Anne Paq.)

Même si ses interventions ont une portée limitée, le collectif Faz3a, l’un des multiples visages de la résistance, aura permis à des familles d’assurer la récolte des olives dans un contexte particulièrement difficile. « Et cette campagne a une signification hautement politique, souligne Mahmoud Zwahre. Nous exprimons qu’il s’agit de terres palestiniennes et que nous entendons les défendre. »

Mi-novembre, Doha nous confirme combien la récolte des olives a été difficile : « D’habitude, nous nous rendons sur nos terres comme à un mariage joyeux. Mais cette année, nous avons constamment redouté les attaques de colons. Nous sommes très affectés. »

Elle était de retour d’une de ses terres, près de la colonie israélienne de Givat Ronin, après avoir obtenu une autorisation de deux jours auprès des autorités israéliennes. Le premier jour, elle a été attaquée par les colons. Le lendemain, elle a retrouvé onze de ses oliviers décapités.

Monde
Publié dans le dossier
Accords d'Oslo, 30 ans après
Temps de lecture : 11 minutes

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