« Un (autre) toi » de Joyce Carol Oates : dévoiler l’intime
Dans son recueil de nouvelles Un (autre) toi, Joyce Carol Oates met à nu la psyché humaine et ses failles universelles.
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Joyce Carol Oates est considérée comme celle qui a su le mieux décrypter l’Amérique contemporaine et ses stars déchues, ses fractures sociales, ou ses femmes et ses hommes détruits par des violences comme le viol ou l’abandon. Mais dans Un (autre) toi, son dernier recueil compilant quinze nouvelles, la romancière américaine à l’œuvre gigantesque développe un tout autre aspect de sa littérature. Une facette moins commentée mais peut-être plus dramatique encore : les petites déchirures intimes, ces failles universelles qu’on ne raconte pas.
Un (autre) toi / Joyce Carol Oates / éditions Philippe Rey / 352 pages / 22 euros
Dans la nouvelle éponyme, une libraire qui a perdu son compagnon se repasse toute sa vie sans manquer une seule étape, comme une tentative de se prouver qu’elle a une histoire personnelle hors de son histoire d’amour. Dans « La Tête ensanglantée », il est question de l’image qu’on renvoie. Une touriste américaine d’une cinquantaine d’années s’imagine être Isabel Archer, cette « naïve héroïne noble d’esprit de Henry James ».
Portraits subtils
Elle vient au secours d’un homme blessé qui, lui, se voit « comme quelqu’un d’essentiellement digne et doté d’autorité, ainsi que d’un certain degré de réussite, de réputation et d’aisance matérielle ». « Guide bleu » raconte le choc que nous vivons à la vue de certains endroits, bien loin de l’idée que nous nous en faisions a priori. Derrière ces textes, l’autrice brosse des portraits psychologiques subtils dans une écriture acérée, révélant les moteurs du remords et de la déception.
Mais si les thèmes sont nombreux, il est beaucoup question de veuvage et de solitude. Des sujets assez récents dans l’œuvre de la romancière, qui n’hésite pas à créer des liens avec sa propre vie : son second mari et chercheur en neurosciences, Charles Gross, est décédé en 2019. Dans « Subaquatique », une professeure n’arrive pas à appeler son mari au sein de l’université, avant de se rendre compte qu’il est mort.
Des nouvelles qui explorent la psyché humaine et révèlent ce qu’il y a en nous de plus cruel ou de plus touchant.
« Soins palliatifs/Lune de miel » expose ce qu’accompagner une personne malade veut dire du point de vue d’une femme qui voit son mari souffrant et conscient d’être à la fin de sa vie ; « Je t’aime » est remplacé par « Je crois que ce sont peut-être mes derniers jours ». Un texte sensible écrit à la deuxième personne, comme si Joyce Carol Oates s’adressait au lecteur mais aussi à elle-même : « Ces mots, tu les entends au téléphone, distinctement, irrévocablement, et malgré tout (tu prétendras) ne pas les avoir entendus. » Des nouvelles qui explorent la psyché humaine et révèlent ce qu’il y a en nous de plus cruel ou de plus touchant.