Voiture électrique : les effets pervers d’une révolution

La demande exponentielle en batteries automobiles se soucie peu des conditions d’approvisionnement en métaux clés, comme le « cobalt de sang » de la République démocratique du Congo.

Patrick Piro  • 16 novembre 2022 abonnés
Voiture électrique : les effets pervers d’une révolution
© (Photo : JOEL SAGET / AFP.)

L’automobile, secteur très sensible des économies occidentales, bouillonne depuis des mois d’une surenchère en faveur des modèles électriques. Au Mondial de l’auto de Paris, mi-octobre, elles tenaient la vedette. Emmanuel Macron y a rappelé son ambition pour la France : produire un million de véhicules électriques en 2027, puis deux millions en 2030.

Pour rappel, Renault en est à 115 000 exemplaires vendus en 2021, premier constructeur français sur ce segment. Et le groupe Stellantis (qui rassemble PSA et Chrysler Automobiles), pour sa part, commence seulement à s’y engager résolument. Le président vise le « 100 % électrique » à la sortie des chaînes de montage en 2035.

Mieux que l’ambition de l’Union européenne de bannir, à cet horizon, la « seule » vente de voitures neuves thermiques dans l’espace des Vingt-Sept. Rivalisant de volontarisme, les deux constructeurs français entendent ainsi sortir totalement du marché du véhicule à essence, gazole ou gaz naturel dès 2030. 

Pourvu que le gouvernement prenne sa part de l’effort, par le développement accéléré de bornes de recharge sur le territoire, ainsi que par des aides financières. Au Mondial de l’auto, Emmanuel Macron a ainsi annoncé une hausse de 6 000 à 7 000 euros du bonus écologique pour l’achat d’une voiture électrique, accessible à la moitié la plus modeste des ménages français.

Ces enthousiasmes suscitent quelques prudences chez les experts économiques. Pour l’essentiel cependant, ils se contentent d’interroger la vitesse d’évolution du marché, l’appétence des consommateurs pour l’électrique, la capacité de faire face au mastodonte chinois « qui a quinze ans d’avance sur l’Europe ».

Le cobalt, un symbole

La scrutation du grand basculement électrique s’intéresse peu à des questions aussi cruciales que son impact écologique et social réel. Comme s’il fallait s’en tenir à l’argumentaire – trop simpliste et parfois même dévoyé – que le remplacement des carburants fossiles par des batteries rechargées à une électricité non carbonée serait un pas de géant dans la maîtrise de la dérive du climat.

© Politis
Photo : Joël Saget/AFP.

Ainsi, la logistique des batteries électriques suivra, à écouter les discours mirobolants. Visant l’autonomie nationale pour ces composants essentiels à l’horizon 2027, Emmanuel Macron vante trois projets de « gigafactory », ce modèle de méga-usines promu par Tesla, numéro un mondial de la voiture électrique.

Lire notre reportage > Le cobalt congolais, angle mort de la voiture électrique

Pas la moindre mention concernant les métaux stratégiques nécessaires, et pas davantage sur les conséquences sociales et écologiques de leur extraction. Les projections identifient des tensions à terme rapproché sur le lithium, le cobalt, le nickel ou le cuivre, notamment pour l’Union européenne, qui dépend souvent à plus de 90 % des importations pour couvrir ses besoins.

Le cas du cobalt est représentatif du choc social qu’alimente la « révolution électrique ». À supposer que la communauté mondiale consente à l’effort qui permettrait de maintenir la dérive de la température globale à 2 °C maximum, près de 80 % des ressources en cobalt de la planète pourraient être englouties d’ici à 2050, calcule l’IFP Énergies nouvelles – institut de recherche français spécialisé dans l’énergie.

Certes, le recyclage des matériaux critiques est récemment devenu une priorité politique de l’UE, et les industriels comptent sur les innovations technologiques pour en réduire les quantités absorbées par les batteries.

L’hégémonie mondiale de la RDC dans l’extraction du cobalt est telle que la révolution électrique pourrait s’accommoder encore longtemps de biberonner à son cobalt sale.

Cependant, le marché du cobalt connaît de fréquentes pénuries et crises, que l’universitaire états-unien Gary Campbell a étudiées sur les cinq dernières décennies. Conclusion : ce marché réagit en priorité par un surcroît de sollicitation de la production artisanale de cobalt issue de la République démocratique du Congo (RDC), pays actuellement producteur de 70 % du minerai de cobalt mondial, et détenteur de la moitié des réserves planétaires.

Une variable d’ajustement peu coûteuse en investissement, et dont l’impact social et environnemental est dramatique (lire ci-contre). Et de conclure, au vu des caractéristiques actuelles de la demande, que ce type de mécanisme devrait perdurer.

Certes, des organisations citoyennes dénoncent depuis des années les conditions d’exploitation du cobalt, ce blood diamond (diamant de sang) de la RDC, pays réputé pour sa production diamantifère. Devant cette publicité négative, des utilisateurs finaux du métal ont adopté des protocoles éthiques et un traçage de leurs approvisionnements ; avec une efficacité limitée, cependant.

La RDC vit depuis des décennies dans l’instabilité politique et l’insécurité. Et son hégémonie mondiale dans l’extraction du cobalt est telle que la « révolution électrique » pourrait s’accommoder encore longtemps de biberonner à son cobalt sale.

Écologie
Publié dans le dossier
Les forçats du cobalt congolais
Temps de lecture : 4 minutes

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