Baya, artiste et femme inclassable

L’Institut du monde arabe à Paris consacre jusqu’en mars prochain une exposition à Fatma Haddad, un ovni dans le monde de l’art.

Christelle Taraud  • 14 décembre 2022
Partager :
Baya, artiste et femme inclassable
L'âne bleu, vers 1950.
© Institut du monde arabe

« Baya, Femmes en leur jardin », exposition à l’Institut du monde arabe, à Paris, jusqu’au 26 mars 2023.

En 1998, à Blida, meurt Fatma Haddad, plus connue sous son nom d’artiste, Baya. Dans un monde et un marché de l’art marqués alors par la néantisation des femmes, Baya fait l’effet d’un ovni car rien dans son parcours ne colle avec l’image que l’on se fait d’une femme artiste. Au demeurant, le simple fait de poser cette équation nettement sur le papier, femme algérienne = artiste, relevait déjà, dans le contexte de l’Algérie française qui a vu éclore son talent, de l’impensé, de l’incongruité, de l’anomalie.

Car Baya n’est pas inscrite, comme on pourrait s’y attendre, dans le régime de l’exceptionnalité qui marque de son empreinte l’existence des très rares femmes qui surgissent du panthéon masculiniste de l’art occidental récent comme passé. Des femmes qui sont toutes issues de ce monde, justement, telles Sonia Delaunay, Louise Bourgeois, Niki de Saint Phalle ou encore Annette Messager… Mais que savons-nous de Baya, artiste et femme inclassable, dont la renommée traverse les pays et les continents depuis son plus jeune âge ?

Née en 1931 près de Bordj El-Kifan, à l’est d’Alger, dans une famille rurale modeste, Baya perd très tôt son père (en 1937) puis sa mère (en 1940). Orpheline, elle rencontre Marguerite Caminat, qui deviendra sa « mère adoptive » et l’emmènera vivre avec elle à Alger. C’est dans la maison de Marguerite que ses premières œuvres furent conçues. Dès juillet 1947 – elle a alors 16 ans –, elle participe à l’Exposition internationale du surréalisme à la galerie Maeght, à Paris.

Baya, La Dame aux roses, 1967. © Institut du monde arabe.

Quatre mois plus tard, même lieu, est organisée sa première exposition personnelle. Le succès est immédiat, Baya rencontre alors les plus grands artistes et écrivains de son temps, Pablo Picasso, Jean Sénac, Albert Camus, André Breton ; voit son portrait réalisé dans Vogue, en 1948, par Edmonde Charles-Roux, ses œuvres inscrites, dès 1963, au Musée national des beaux-arts d’Alger. Longtemps exposée entre l’Algérie et la France – comme un trait d’union entre les deux pays –, Baya devient, à la fin des années 1980, une artiste internationale : Londres (1989) et Washington (1994) organisent des expositions de ses œuvres…

J’étais dans la maison. Je devais rester à la maison, alors pourquoi peindre ? J’étais découragée.

Et pourtant, en 1953, Baya s’est mariée et a cessé de peindre. Elle dira à Dalila Morsly, en 1993, pour évoquer cette période : « J’étais dans la maison. Je devais rester à la maison, alors pourquoi peindre ? J’étais découragée. » Dans un texte bouleversant qu’elle lui consacre en 1985, l’écrivaine franco-algérienne Assia Djebar nous parle, me parle, de Baya mais aussi de cette difficulté à être femme, d’appartenir au « peuple des femmes » dans un monde d’hommes, tout en trouvant son chemin entre oppression et libération.

Elle dit : « Baya porte son regard fleur vers le ciel de plénitude où l’attendent Chagall, le Douanier Rousseau, un petit nombre d’élus… Elle, la première d’une chaîne de séquestrées dont le bandeau sur l’œil, d’un coup, est tombé. Baya la miraculée ! »

Idées
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Médecine alternative : l’ombre sectaire
Idées 16 avril 2025 abonné·es

Médecine alternative : l’ombre sectaire

Un rapport de la Miviludes met en lumière un phénomène inquiétant. Depuis la pandémie de covid-19, l’attrait pour les soins non conventionnels s’est accru, au risque de dérives dangereuses, voire mortelles.
Par Juliette Heinzlef
Didier Lestrade : « On assiste à des retours en arrière effroyables »
Entretien 16 avril 2025 abonné·es

Didier Lestrade : « On assiste à des retours en arrière effroyables »

Le fondateur d’Act Up-Paris puis du mensuel Têtu publie aujourd’hui ses « mémoires ». Un retour passionnant sur une vie faite d’amours au masculin, de combats militants contre le VIH et les discriminations, de journalisme et de critique musicale.
Par Olivier Doubre
Julie Couturier : « Attaquer l’État de droit, c’est attaquer la démocratie »
Justice 9 avril 2025 abonné·es

Julie Couturier : « Attaquer l’État de droit, c’est attaquer la démocratie »

Depuis la condamnation de Marine Le Pen, le Rassemblement national et sa cheffe de file crient à une décision « politique », opposant l’institution judiciaire à une supposée « souveraineté populaire ». Repris jusqu’au sein du gouvernement, ces discours inquiètent la présidente du Conseil national des barreaux.
Par Pierre Jequier-Zalc
Contre le fascisme, un printemps des peuples ?
Manifeste 9 avril 2025 abonné·es

Contre le fascisme, un printemps des peuples ?

Loin de marquer la fin de l’histoire, notre millénaire tremble des révoltes qui éclatent partout dans le monde. Un manifeste collectif, fruit de discussions transcontinentales, tente d’en tirer des leçons pour un avenir révolutionnaire.
Par François Rulier