Baya, artiste et femme inclassable
L’Institut du monde arabe à Paris consacre jusqu’en mars prochain une exposition à Fatma Haddad, un ovni dans le monde de l’art.
dans l’hebdo N° 1736-1738 Acheter ce numéro
« Baya, Femmes en leur jardin », exposition à l’Institut du monde arabe, à Paris, jusqu’au 26 mars 2023.
En 1998, à Blida, meurt Fatma Haddad, plus connue sous son nom d’artiste, Baya. Dans un monde et un marché de l’art marqués alors par la néantisation des femmes, Baya fait l’effet d’un ovni car rien dans son parcours ne colle avec l’image que l’on se fait d’une femme artiste. Au demeurant, le simple fait de poser cette équation nettement sur le papier, femme algérienne = artiste, relevait déjà, dans le contexte de l’Algérie française qui a vu éclore son talent, de l’impensé, de l’incongruité, de l’anomalie.
Car Baya n’est pas inscrite, comme on pourrait s’y attendre, dans le régime de l’exceptionnalité qui marque de son empreinte l’existence des très rares femmes qui surgissent du panthéon masculiniste de l’art occidental récent comme passé. Des femmes qui sont toutes issues de ce monde, justement, telles Sonia Delaunay, Louise Bourgeois, Niki de Saint Phalle ou encore Annette Messager… Mais que savons-nous de Baya, artiste et femme inclassable, dont la renommée traverse les pays et les continents depuis son plus jeune âge ?
Née en 1931 près de Bordj El-Kifan, à l’est d’Alger, dans une famille rurale modeste, Baya perd très tôt son père (en 1937) puis sa mère (en 1940). Orpheline, elle rencontre Marguerite Caminat, qui deviendra sa « mère adoptive » et l’emmènera vivre avec elle à Alger. C’est dans la maison de Marguerite que ses premières œuvres furent conçues. Dès juillet 1947 – elle a alors 16 ans –, elle participe à l’Exposition internationale du surréalisme à la galerie Maeght, à Paris.
Quatre mois plus tard, même lieu, est organisée sa première exposition personnelle. Le succès est immédiat, Baya rencontre alors les plus grands artistes et écrivains de son temps, Pablo Picasso, Jean Sénac, Albert Camus, André Breton ; voit son portrait réalisé dans Vogue, en 1948, par Edmonde Charles-Roux, ses œuvres inscrites, dès 1963, au Musée national des beaux-arts d’Alger. Longtemps exposée entre l’Algérie et la France – comme un trait d’union entre les deux pays –, Baya devient, à la fin des années 1980, une artiste internationale : Londres (1989) et Washington (1994) organisent des expositions de ses œuvres…
J’étais dans la maison. Je devais rester à la maison, alors pourquoi peindre ? J’étais découragée.
Et pourtant, en 1953, Baya s’est mariée et a cessé de peindre. Elle dira à Dalila Morsly, en 1993, pour évoquer cette période : « J’étais dans la maison. Je devais rester à la maison, alors pourquoi peindre ? J’étais découragée. » Dans un texte bouleversant qu’elle lui consacre en 1985, l’écrivaine franco-algérienne Assia Djebar nous parle, me parle, de Baya mais aussi de cette difficulté à être femme, d’appartenir au « peuple des femmes » dans un monde d’hommes, tout en trouvant son chemin entre oppression et libération.
Elle dit : « Baya porte son regard fleur vers le ciel de plénitude où l’attendent Chagall, le Douanier Rousseau, un petit nombre d’élus… Elle, la première d’une chaîne de séquestrées dont le bandeau sur l’œil, d’un coup, est tombé. Baya la miraculée ! »
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