Droits des femmes et LGBT+ : la menace Meloni
Depuis l’élection du gouvernement d’extrême droite en Italie, les mouvements pro-vie et anti-genre prennent de l’ampleur et s’emploient à infléchir la législation dans le sens de leurs combats.
dans l’hebdo N° 1736-1738 Acheter ce numéro
Aider les femmes à ne pas avorter, accompagner, voire encourager, les LGBTphobies, empêcher les programmes d’éducation sexuelle à l’école : l’Italie entre dans une nouvelle ère, dangereusement conservatrice, de régression des droits humains. Le programme du gouvernement Meloni suscite l’enthousiasme des mouvements pro-vie et pro-famille, hostiles aux personnes LGBT+. Les droits des femmes, les droits sexuels et reproductifs, ainsi que ceux des minorités sexuelles et de genre semblent ne jamais avoir été aussi menacés dans la République italienne.
« On veut beaucoup plus que la 194 ! », pouvait-on entendre au cœur de Rome, samedi 26 novembre, en référence à la loi qui a autorisé l’IVG le 22 mai 1978. Le massif cortège transféministe, organisé par le mouvement Non una di meno (Pas une de moins), engagé contre les violences de genre, se dit inquiet. Il dénonce une « attaque sans précédent de notre présent ».
Activisme intégriste
La nouvelle présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, s’est entourée de nombreux ministres ouvertement hostiles à l’avortement, au mariage homosexuel ou plus largement aux droits LGBT+. Le président de la Chambre des députés, Lorenzo Fontana, n’est pas en reste quand il déclare que « les familles arc-en-ciel n’existent pas dans la loi ». De quoi donner du grain à moudre aux opposants.
L’Hypothèse néocatholique. Mouvement, mobilisations et politiques anti-genre en Italie, publié en italien en 2020 par Mimesis, à paraître en français aux éditions de l’université de Bruxelles.
Ce gouvernement, ses ministres et son entourage sont « inspirés de longue date par des mouvements radicaux, pro-vie et anti-genre », selon Massimo Prearo, chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales, connu pour ses travaux sur le genre et les mouvements LGBT+ (1).
« Ce que je définis par mouvement “néocatholique” est un nouveau courant de l’activisme catholique italien, radical et intégriste, explique le chercheur. Il naît entre 2010 et 2012, à l’intérieur de la “Marcia per la Vita”, l’expression la plus intransigeante du mouvement pro-vie en Italie. En son sein naissent des groupes qui ont une volonté d’être plus revendicatifs, et ce projet prend forme en 2013 avec la naissance de la “Manif pour tous Italia” qui, s’inspirant du modèle français, propose un type de mouvement qui ne se fonde pas sur la défense de la vie comme projet divin, mais sur un discours mis à jour, fondé sur la lutte contre la “théorie du genre”, la négation de la biologie et de l’anthropologie humaines. C’est une manière de réintroduire l’action catholique dans un contexte sécularisé. »
L’immobilisme du gouvernement italien sur les questions socio-économiques est flagrant à plusieurs niveaux. L’introduction du salaire horaire minimum légal, par exemple, faisant l’objet d’une récente directive de l’Union Européenne, a été rejetée le 30 novembre par la nouvelle majorité à la Chambre des députés, en dépit d’un taux de travailleurs pauvres déjà extrêmement élevé. En matière d’immigration, après l’incident diplomatique avec la France sur les 234 migrants à bord de l’Ocean Viking, on doit s’attendre à ce que Meloni continue à faire la guerre aux ONG et à poursuivre la tentative, irréalisable, de mise en place d’un « blocus naval » en Méditerranée. Il s’agirait, d’après son programme, d’« arrêter, en accord avec les autorités nord-africaines, la traite des êtres humains ». Ce qui pose des problèmes de faisabilité, et surtout de respect des droits humains. Dans le même temps, des dizaines de milliers de mineurs étrangers nés et ayant grandi en Italie continueront à devoir attendre leur majorité pour demander la citoyenneté italienne. Car le droit du sol n’existe pas dans la péninsule, et continuera à ne pas exister sous Meloni.
Porte-parole du « Family Day » en 2007, contre l’extension des droits des couples homosexuels, l’actuelle ministre de la Famille et de la Natalité, Eugenia Roccella, a suivi de près la Manif pour tous en participant aux premiers cortèges parisiens, en 2013. À l’époque, elle déclarait : « J’ai essayé de faire connaître aussi en Italie ce que vous faisiez, jour après jour […]. Je suis ici avec vous parce que je pense que nous devons construire un réseau européen pour défendre l’écologie humaine. »
Régresser sans abroger
C’est à partir des premières mobilisations de la Manif pour tous Italia, en 2013, que Roccella et d’autres sympathisants – issus en particulier de Fratelli d’Italia et de la Lega – ont participé aux campagnes des mouvements « néocatholiques » : « Les mouvements sont des mouvements et les partis sont des partis, mais il y a une continuité dans le discours et dans l’approche idéologique. Ces partis ont rénové leur offre politique en s’appropriant ce nouveau discours “anti-genre”. Ils ne sont pas juste alliés, leur pensée vient de là », précise Prearo.
Si Meloni voit dans l’avortement le « côté obscur de la maternité », elle déclarait en septembre dernier : « Je n’ai jamais dit que je voulais modifier la loi 194. J’entends au contraire l’appliquer : je veux ajouter des droits, notamment afin que les femmes qui sont sur le point d’avorter – parce qu’elles n’ont pas d’autres solutions, peut-être pour des raisons économiques – puissent avoir des alternatives. »
En regard d’une loi votée il y a plus de quarante ans, le propos de la présidente du conseil n’a pas de quoi rassurer. Déjà, la première partie de la « 194 » établissait des mesures paternalistes de dissuasion toujours en vigueur. Elle ménageait aussi une « clause de conscience » à destination du personnel médical opposé à l’avortement.
Selon une récente enquête, cette clause serait plébiscitée par plus de 80 % des médecins dans des régions comme la Sicile et la Sardaigne. Et si, aujourd’hui, les femmes qui recourent à l’IVG sont encore bien accompagnées, les données sur les objecteurs de conscience à l’échelle nationale sont totalement opaques, faute de structure pour les recueillir.
Il n’y a pas, non plus, de Planning familial comme en France. Constatant ces lacunes, les associations alertent : « Nous n’aurons aucune visibilité sur ce qui se passera réellement sur le terrain. » Maria Rachele Ruiu, qui a cofondé la Manif pour tous Italia, ne s’en cache pas : « Nous ne demandons pas d’abroger la loi sur l’avortement. Nous avons d’autres armes, offertes par la 194, pour permettre aux femmes de ne pas avorter. »
Hostilité explicite
Eleonora Cirant connaît bien ces stratégies. Activiste, elle a cofondé Pro-Choice, un réseau qui organise des campagnes et des formations sur l’accès à l’IVG. « Ici, en Lombardie, la région a financé depuis 2008 des activités dans les cliniques. Les femmes y sont soumises à des interrogatoires et on leur donne de l’argent pour qu’elles n’avortent pas », expose-t-elle.
Elle redoute que le gouvernement aggrave considérablement une situation déjà difficile. « On verra se répandre au niveau national les actions qui ont été menées au niveau régional. Les financements seront principalement destinés aux organisations catholiques, au détriment des organisations laïques et des hôpitaux publics. »
Ne pas attaquer les droits acquis mais les appliquer en les vidant de leur substance semble être la direction prise par l’exécutif pour les cinq prochaines années. Concernant l’IVG, la preuve en est déjà apportée par une proposition de loi présentée par le sénateur de Forza Italia Maurizio Gasparri, ancien dirigeant du parti néofasciste MSI, ayant rejoint Berlusconi, qui prévoit de reconnaître la qualité juridique de l’être humain dès la fécondation. De tels reculs pourraient aussi affecter la législation sur les unions civiles : « Il suffirait de revoir la clause sur la pension de réversion pour vider la loi de sa substance », commente Natascia Maesi, présidente d’Arcigay, la principale association LGBT+ italienne.
Le climat politique a changé et les gens se sentent autorisés à normaliser la violence.
« Il n’y aura aucun pas en avant. On ne s’attend à aucune proposition de loi contre les LGBTphobies, ni à la révision de la loi 164 sur la transition de genre, ni à l’introduction de programmes d’éducation aux différences, au consentement et à l’affectivité dans les écoles », énumère-t-elle. L’hostilité du gouvernement à l’égard des personnes LGBT+, loin d’être dissimulée, pourrait avoir un caractère incitatif et « relâcher la violence envers nous. Le climat politique a changé et les gens se sentent autorisés à normaliser la violence », conclut-elle.
Alors qu’en France l’Assemblée nationale vient d’adopter le principe de la constitutionnalisation de l’IVG, « voilà une avancée à laquelle l’Italie n’est pas près d’assister », ajoute-t-elle, amère.