Faucheurs volontaires : 20 ans de luttes et de répression
Depuis 20 ans, les Faucheurs volontaires luttent dans les champs, dans les coopératives, sur les sites des grands semenciers et dans les tribunaux pour dénoncer les conséquences sur la santé humaine et l’environnement des OGM et des pesticides.
« Les Faucheurs volontaires ne sont pas morts, et tous ces procès en sont la preuve ! », glisse avec malice Jacques Dandelot, militant anti-OGM emblématique. Ce mercredi 14 décembre, six Faucheurs et faucheuses volontaires d’OGM sont jugés au tribunal de grande instance de Dijon pour « destruction volontaire d’un bien en réunion », à la suite d’une action menée en 2017 sur un champ de colza à Villy-le-Moutier (Côte-d’Or).
« Nous étions plus d’une centaine de personnes mobilisées sur cette parcelle identifiée comme une plateforme d’essais de variétés de colza par le semencier KWS », raconte Pierre Clément, l’un des prévenus. Lors de l’action, une liste avec 96 noms de militants revendiquant l’action, les « comparants volontaires », a été remise aux forces de l’ordre, selon la tradition du mouvement.
Six personnes sont finalement poursuivies. « C’est la première fois que je suis poursuivi pour mes actions de fauchage, mais ce sera deux fois la même année ! », s’amuse Pierre Clément, également poursuivi pour le procès dit de Rodez, reporté à juin 2023.
L’agenda judiciaire des Faucheurs est bien rempli : le 17 janvier 2023, procès en appel à Rennes pour une action de « peinturlurage » de bidons de glyphosate ; le 1er mars, procès de deux personnes à Carcassonne pour une action sur le site de la coopérative Arterris à Castelnaudary ; le 30 mars, procès à Saint-Brieuc d’un militant ayant refusé le prélèvement d’ADN ; le 7 juin, procès à Rodez…
Plus on a de procès, plus on a d’occasion de se voir et donc de réfléchir à de nouvelles façons d’agir !
« Il y a une volonté de faire mal au mouvement, en lui faisant perdre de l’argent, de l’énergie. Or, plus on a de procès, plus on a d’occasion de se voir et donc de réfléchir à de nouvelles façons d’agir ! », souligne Pierre Clément, d’un air narquois.
Le rapport de force entre les Faucheurs volontaires et la justice existe depuis la naissance du mouvement. À l’été 2003, lors du grand rassemblement fêtant les 30 ans de la lutte du Larzac, Jean-Baptiste Libouban décide de créer un mouvement pour prendre le relais des agriculteurs en lutte contre les OGM.
Succès immédiat, les inscriptions s’enchaînent, sans doute lié à l’effet José Bové – alors leader de la Confédération paysanne – condamné à de la prison ferme. « Les fauchages ont commencé à la fin des années 1980 et étaient menés par des membres de la Confédération paysanne, des Verts, des associations locales…, raconte Dominique Masset qui a fauché dès 1999. Mais c’était systématiquement les présidents ou les porte-paroles de ces structures qui se retrouvaient au tribunal, et ponctionnées au niveau financier. »
Tribunaux ou tribunes politiques ?
De plus, les militants se rendaient compte que le débat public sur ces sujets était monopolisé, orchestré par le ministère de l’Agriculture, les lobbies, la FNSEA, et n’était jamais équilibré. L’idée d’utiliser les prétoires des tribunaux comme tribunes politique s’est imposée.
200 actions ont été menées entre 1986 et 2022, dont 155 à partir de 2003. « Et une centaine d’actes juridiques, hors refus de prélèvement d’ADN. Sur le plan financier, nous en sommes à plus d’un million d’euros dépensés en frais de justice (mais nous avons arrêté les comptes) », estime Jacques Dandelot.
L’intensité et les formes de répression envers les anti-OGM ont oscillé au fil des années, en fonction de l’évolution des tactiques et des victoires obtenues. Me Guillaume Tumerelle, avocat des Faucheurs volontaires depuis une quinzaine d’années, a noté un changement majeur de comportements chez la plupart des industriels qui les poursuivent : il y a quelques années, ils restaient plutôt discrets et préféraient mettre en avant les agriculteurs chargés de l’entretien de la parcelle lors des actions en justice.
Depuis quatre ans, ils viennent en leur nom propre demander des préjudices faramineux. En effet, si la plupart des peines pénales prononcées restent assez faibles (amendes ou peines de prison avec sursis, relaxes), les sommes demandées en dommages et intérêts au civil atteignent plusieurs centaines de milliers d’euros, et même 8 millions d’euros pour le procès de Dijon.
« Les Faucheurs sont passés à l’offensive sur le plan juridique et ont obtenu des victoires importantes, notamment en contestant les vides juridiques de la réglementation européenne sur les nouveaux OGM. Cela peut expliquer que la répression contre eux augmente, et qu’ils soient attaqués au porte-monnaie par les industriels pour tenter d’éteindre le mouvement », précise l’avocat.
Si la loi de 2008 a permis l’interdiction du maïs transgénique MON810 en France, les anti-OGM continuent de se battre pour faire appliquer la loi, concernant les plantes obtenues par les nouvelles techniques de modification génétique – la mutagénèse et non plus la transgénèse – en particulier sur le contrôle des variétés rendues tolérantes aux herbicides (VrTH).
Saisi par des associations environnementales et des syndicats, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé en 2018 que les organismes obtenus par mutagénèse doivent être soumis aux obligations prévues par la directive sur les OGM. Une victoire importante pour les militants, permettant d’affiner leur stratégie.
« Quand on obtient un avis favorable de la Cour européenne, on l’utilise dans les procès suivants pour montrer que la loi n’est pas respectée par les industriels. De même, la réglementation sur les pesticides nous aide à défendre nos dossiers, puisque les OGM sont dans 99 % des cas créés pour résister aux pesticides », précise Me Tumerelle.
Faire évoluer le droit
Les procès sont très bien préparés et de nombreux témoins (scientifiques, agriculteurs, victimes de pesticides…) défilent à la barre pour montrer la pertinence des actions pour l’intérêt général. Malgré tout, le sort des prévenus dépend de l’opinion et de la sensibilité des juges.
Lors du procès de Perpignan en 2021, le tribunal a débouté les parties civiles et relaxé le prévenu en reconnaissant l’état de nécessité de l’action par rapport aux dangers pour la santé liés aux pesticides. À l’inverse, lors du procès à Toulouse en 2022, la défense a été bafouée, la juge n’a laissé la parole ni aux prévenus, ni à leur avocat et a condamné les trois Faucheurs à trois mois de prison avec sursis et 458 000 euros de dommages et intérêts.
Pour Dominique Masset, l’un des Faucheurs concerné, cette « caricature de procès » est une exception qui n’est pas emblématique pour faire avancer la jurisprudence. Il préfère se référer au procès de Foix qui jugeait 21 militantes accusés d’avoir endommagé des bidons de pesticides dans des magasins en 2016 et 2017.
Les 21 et leur avocat étaient arrivés avec leurs analyses d’urines, qui révélaient toutes des taux de glyphosate allant de 3 à 30 fois supérieurs au niveau admis dans l’eau potable. Les anti-pesticides avaient été relaxés à Foix, puis condamnés en appel en 2022 à Toulouse. Certains ont décidé de se pourvoir en cassation. « Certaines affaires courent sur plusieurs années, nous poussons les procès à leur maximum car notre objectif est de faire changer la loi ! », assume-t-il.
Nous poussons les procès à leur maximum car notre objectif est de faire changer la loi !
Même détermination chez Christine Thelen. Paysanne sur le plateau du Larzac et impliquée dans les mouvements altermondialistes, elle s’est naturellement associée aux Faucheurs dès 2003. « J’ai participé à 90% des actions, et je n’ai jamais été poursuivie… jusqu’à aujourd’hui ! », déclare-t-elle, prête à faire entendre ses arguments lors du procès de Rodez, reporté à juin 2023.
En novembre 2021, elle a participé avec des dizaines d’autres personnes à une action citoyenne sur le site RAGT Semences de Calmont, dans l’Aveyron. Cette « inspection citoyenne » visait à vérifier la présence de VRTH : des sacs estampillés « Nizza CL (Clearfield) : colza hybride » ont effectivement été trouvés.
Dans ce dossier, 28 personnes sont poursuivies, ainsi qu’un journaliste qui couvrait l’action pour le média en ligne Reporterre. « J’aimerais qu’on soit entendu dans les tribunaux comme des lanceurs d’alerte ! Mais dans la plupart des procès, l’atteinte à la propriété privée est mise en avant, jamais le bien commun !, s’indigne Christine Thelen. L’arsenal juridique n’est pas adapté pour éviter les condamnations de militants écolos comme nous, mais on n’a pas le temps d’attendre 50 ans que les tribunaux évoluent dans le bon sens ! »
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don