« Il faut rendre la rénovation des logements obligatoire »
En France, l’isolation des bâtiments a pris un retard considérable. Anne Bringault, chargée de campagne au Réseau action climat, fustige un manque de volonté des gouvernements.
dans l’hebdo N° 1736-1738 Acheter ce numéro
Le nombre de foyers qui souffrent du froid dans leur logement ou qui peinent à payer leurs factures d’énergie a fortement augmenté ces dernières années. La précarité énergétique serait-elle un sujet politique secondaire en France ?
Anne Bringault : Certes, la hausse du prix de l’énergie accentue le problème, mais on est bien loin de le découvrir ! On en parlait déjà lors du Grenelle de l’environnement de 2007. Pourtant, on ne constate pratiquement aucun progrès sur le sujet.
Le gouvernement a quand même instauré des chèques énergie, un bouclier tarifaire…
Quelques centaines d’euros par-ci par-là, ce n’est pas suffisant. D’autant plus qu’une partie des ménages vulnérables méconnaissent les aides. Et surtout, ça ne règle pas le problème de fond : le défaut d’isolation thermique des logements. Une bonne isolation des bâtiments est le seul moyen de réduire les factures d’énergie à long terme et de permettre aux gens de se chauffer correctement. Car la précarité énergétique, avant d’être la conséquence de prix hauts de l’énergie, c’est d’abord une privation de chauffage.
Une bonne isolation des bâtiments est le seul moyen de réduire les factures d’énergie à long terme.
Les pouvoirs publics préconisent de limiter la température intérieure à 19 °C pour atténuer la crise de l’approvisionnement énergétique : des centaines de milliers de ménages aimeraient bien pouvoir au moins atteindre ce plafond. Malheureusement, ils ne verront aucune amélioration cet hiver. Début 2023, avec l’affaiblissement du bouclier énergie, le prix du gaz va augmenter de 15 %. Et le petit chèque énergie supplémentaire ne couvrira pas leurs besoins.
Le maquis des statistiques est souvent révélateur des informations qu’on peine à trouver. Combien de rénovations dites « globales » peut-on recenser ? L’enquête « Tremi 2020 » estime à 192 933 le nombre d’opérations « 3 postes ou plus » (toiture, ouvertures, chauffage, etc.), ce qui « suggère une démarche de rénovation globale », commente l’Observatoire national de la rénovation énergétique dans son dernier bilan (mars 2022). On n’en saura pas plus. La seule référence définissant la « rénovation globale », c’est une fiche standardisée (BAT-TH-145) exigeant, après travaux, au moins 35 % de baisse de la consommation énergétique du logement, qui doit en tout état de cause être inférieure à 331 kWh/m2 et par an. Or, c’est le niveau BBC (50 kWh/m² par an) qu’il faut atteindre en 2050 pour tenir les engagements nationaux climat et énergie. Pour l’année 2018, le Cler – Réseau pour la transition énergétique estimait à 40 000 à peine le nombre de rénovations qui avaient atteint le niveau BBC.
Le Grenelle, en 2007, ambitionnait pourtant la rénovation « globale » de 400 000 logements par an à partir de 2013. Et, depuis, le gouvernement affiche régulièrement des objectifs similaires. Or on était encore à moins de 200 000 en 2019, selon l’Observatoire national de la rénovation énergétique. Pourquoi un tel échec ?
Parce que l’on en reste à des préconisations incitatives, et jamais obligatoires. Certes, on déploie des subventions ou des crédits d’impôt, mais ils vont plutôt à des ménages à revenus élevés, qui savent à quelle porte frapper, alors qu’elles devraient en priorité viser les plus vulnérables.
Les aides sont souvent peu efficaces, car on saupoudre.
Et ces aides sont souvent peu efficaces. Car on saupoudre. Les aides sont souvent sollicitées pour un seul « geste », comme changer les fenêtres ou isoler les toitures. Le plus souvent, ces rénovations partielles concernent même un changement de chaudière pour passer à une pompe à chaleur.
Avec la crise de l’énergie, ça ne fait pas beaucoup de différence sur la facture. Sans parler des fraudes aux opérations « isolation des combles à 1 euro », financées par les deniers publics mais sans contrôle de qualité des travaux. Il n’y a pas de réelle incitation à pratiquer des rénovations complètes et performantes (lire encadré).
Alors que le code de l’énergie inscrit l’objectif d’une rénovation atteignant la norme « basse consommation » (BBC) (1) pour tous les bâtiments d’ici à 2050. Plus on tarde à agir, et plus les efforts devront être importants pour y parvenir.
Soit une consommation de 50 kWh/m² par an, inférieure au plafond de 70 kWh/m² par an de la classe A du diagnostic de performance énergétique (DPE).
On rénove à peine 0,2 % du parc de logements anciens chaque année. Selon le Haut Conseil pour le climat, il aurait fallu passer à 1 % en 2022 – c’est donc caduc – et atteindre un rythme de 1,9 % par an en 2030. Mission impossible ?
En 2017, le candidat Macron s’est engagé à supprimer en dix ans toutes les passoires énergétiques, correspondant à l’étiquette énergie F et G. Les ONG adhèrent à cette priorité : elle permet de prendre en charge les ménages les plus modestes, généralement occupants de ces passoires énergétiques (2). Mais on n’avance pas : il en reste encore 5,2 millions en France. Pour tenir la promesse présidentielle, il faudrait rénover 1 million de logements par an. Une cadence assez effrayante.
Par ailleurs, les logements chauffés au fioul se trouvent à 71 % dans les classes énergétiques E, F et G.
Comment expliquer alors que le gouvernement ait repoussé, début novembre, un amendement allouant 12 milliards d’euros supplémentaires à la rénovation thermique ?
La Première ministre a prétendu que cet amendement était un vœu pieux, au prétexte qu’il manquerait de bras dans le bâtiment pour passer à la vitesse supérieure. Il est vrai que les artisans ont longtemps traîné les pieds pour s’intéresser à la rénovation. Mais, aujourd’hui, la Capeb, le syndicat patronal de l’artisanat du bâtiment, affirme que le secteur est prêt. Cependant, même avec la meilleure volonté du monde, on voit mal comment on parviendrait à rénover un million de passoires énergétiques par an.
Même avec la meilleure volonté du monde, on voit mal comment on parviendrait à rénover un million de passoires énergétiques par an.
On en revient à l’essence même du retard, qui tient, de notre point de vue, au refus de rendre obligatoire la rénovation complète et performante. Certes, cela nécessite des travaux coûteux : il faut évidemment les accompagner de moyens financiers pour les ménages qui en ont besoin, jusqu’à « zéro euro de reste à charge » pour les plus modestes.
La question a été abordée dès 2013, à l’occasion des débats qui allaient déboucher sur la loi de transition énergétique de 2015. Mais seule a été retenue l’obligation d’isoler par l’extérieur – la méthode la plus performante – lorsque la rénovation d’une façade est prévue.
Le problème, c’est que la mesure a été assortie de nombreuses exceptions techniques et économiques. Résultat : la plupart des acteurs parviennent à échapper à la contrainte. Et ça n’a pas bougé depuis. Le dogme libéral des gouvernements Macron les rend allergiques à tout principe d’obligation.
Cependant, la loi climat et résilience de 2021 impose, à partir de janvier 2023, une interdiction de louer les pires passoires énergétiques. La mesure sera étendue en 2025 au reste de la classe G, puis en 2028 à la classe F – soit l’intégralité des passoires énergétiques. N’est-ce pas une contrainte efficace ?
Certes, mais on laissera le soin aux locataires de se retourner contre le propriétaire en cas de non-respect de l’obligation d’isoler. Sur un marché de la location très tendu, le rapport de force leur est défavorable, ils réfléchiront à deux fois avant d’affronter un propriétaire pour le forcer à rénover le logement.
En tout cas, on est très loin des conclusions de la Convention citoyenne pour le climat, balayées par Macron, qui préconisaient l’obligation de rénover toutes les maisons individuelles F et G à partir de 2024, avec tout l’accompagnement nécessaire.
Cette « start-up nation » aime à se fixer des objectifs ambitieux sans se donner les moyens de les atteindre.
On patauge. Pire, le candidat Macron, pour son second mandat, s’en est tenu à la promesse de rénover 700 000 logements, sans même définir ce qu’il entendait par « rénovation ». S’il s’agit simplement de changer une fenêtre, l’objectif est vain ! On en reste à de la pure communication. Cette « start-up nation » aime à se fixer des objectifs ambitieux sans se donner les moyens de les atteindre, ni même de mettre en place des outils de suivi. Avec la crise, ça devient très visible, et on se retrouve au pied du mur.