Le marronnier de l’uniforme à l’école
À l’initiative de la droite, une proposition de loi « pour le port de l’uniforme à l’école » sera débattue ce 14 décembre à l’Assemblée. Retour vers le passé…
Tandis que certains établissements scolaires se demandent comment ils pourront se chauffer en hiver ; tandis que les dernières révélations sur les inégalités scolaires ont montré que la bourgeoisie continuait à allégrement cultiver son entre-soi grâce à l’école privée1, une proposition de loi « pour rendre obligatoire le port de l’uniforme à l’école » est discutée le mercredi 14 décembre à la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale.
Lire « Méritocratie scolaire : la grande illusion » de Sophie Audoubert sur Slate.fr
On se souvient que devant la même commission, le 19 octobre 2022, le ministre Pap N’Diaye avait répondu à l’interpellation d’un député du Rassemblement National qu’il était favorable à la constitution d’un groupe de travail sur le sujet.
Pour une fois, cela n’a pas traîné et trois députés d’extrême-droite et un UDI se sont donc fendus d’une proposition qui reprend l’essentiel des poncifs ressortant chaque année : il s’agit d’abord et avant tout de lutter contre le prosélytisme religieux, musulman évidemment, d’instaurer une discipline de travail et de supprimer tous les marqueurs de classe sociale, tout cela pour la cohésion nationale.
Face à des propositions d’une telle pertinence mais dont on peine à voir le lien avec la lutte contre les inégalités scolaires – cheval de bataille du ministre affirme-t-il – difficile de savoir quel bout prendre l’affaire. Commençons par rappeler que l’uniforme n’a jamais été un vêtement d’invisibilisation des inégalités sociales. Au contraire, il est même plutôt un vecteur de distinction.
Porter un uniforme c’est se distinguer de la masse et se reconnaître dans un entre-soi.
Marque de fabrique élitiste
Porter un uniforme c’est se distinguer de la masse et se reconnaître dans un entre-soi dès l’Ancien Régime en France avec les étudiants de la Sorbonne ou sous Napoléon avec les internes des lycées.
C’est aussi pour ces raisons que le privé continue parfois de mobiliser l’uniforme. Prétendre s’attaquer à la manifestation esthétique des inégalités est au mieux une méconnaissance du sujet, au pire un cynisme politique quand on sait que les établissements à mixité sociale sont rares et que l’uniforme est accolé à la bourgeoisie.
À l’inverse, il n’a jamais été question d’obligation de l’uniforme dans l’école publique qui lui préférait la blouse, non pour masquer les appartenances sociales mais pour se protéger des jets d’encre ou des tâches de charbon ou poussière dans les salles de classe souvent vétustes de la Troisième République
En France, l’uniforme a donc une marque de fabrique élitiste et conservatrice, ce pourquoi l’idée de le généraliser a toujours été portée par des ministres restés perchés au temps béni de l’école de Jules Ferry, une école à laquelle ils ne connaissent rien et qu’ils affublent de critères correspondant davantage à leurs imaginaires qu’à la réalité historique. Dans leur esprit, l’uniforme sert surtout à discipliner les corps, prémices à la mise au pas des esprits.
L’uniforme sert surtout à discipliner les corps, prémices à la mise au pas des esprits.
Il est vrai que les années 1960 ont fait un sort au peu d’uniformes qu’il restait et à la blouse. Les années 1968 sont celles où les filles préfèrent revendiquer le port du pantalon et où l’image d’austérité véhiculée par la blouse doit laisser place à la manifestation fière de sa subjectivité et de son identité. Exit tous les symboles de la société policée ! La société de consommation fait le reste en multipliant les marqueurs sociaux, notamment à travers les vêtements.
Une vision autoritaire et rigide
L’école est un champ politique dans lequel les décideurs et décideuses (et hélas de nombreux simples citoyen.ne.s aussi) aiment se targuer d’une expertise autoproclamée au nom de la défense des petits enfants. Cette loi révèle donc davantage la vision de l’école de celles et ceux qui la proposent : une école autoritaire et rigide, une école qui stigmatise les familles musulmanes, et une école consacrée au maintien de l’ordre social dominant.
On ne lutte pas contre les inégalités en cherchant à les masquer.
Ne serait-il pas plus utile de sensibiliser les enfants à la lutte contre la frénésie consommatrice en montrant ses conséquences sociales et écologiques sur le monde ? Ne serait-il pas surtout plus efficace de réduire les inégalités par une redistribution plus équitable des richesses ?
On ne lutte pas contre les inégalités en cherchant à les masquer.
Compenser l’hégémonie pesante d’une histoire « roman national » dans l’espace public, y compris médiatique ? On s’y emploie ici.
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