Police : le tabou judiciaire du faux en écriture publique
Il est le corollaire des violences policières : les agents mentent dans les procès-verbaux pour se couvrir. Pourtant, le faux en écriture publique, infraction criminelle, peine à être poursuivi par la justice. Encore un tabou ?
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Autre histoire, autre contexte : alors que des policiers malmènent un gardé à vue pendant son audition, l’avocat s’oppose. Mécontents, les policiers le sortent manu militari du commissariat puis le mettent en cause dans les procès-verbaux. « Obstiné à troubler l’audition », refusant de « stopper ses élucubrations » l’avocat aurait été « invité à quitter les lieux ». Manque de chance : l’audition était filmée et les policiers ont omis d’arrêter le son.
La réalité éclate : le gardien de la paix a hurlé sur tout le monde « Je fais ce que je veux pendant mon audition et si je veux hurler même avec vous, je le fais » avant que le capitaine ne dise à l’avocat de « dégager », ramené par deux policiers à la porte, privant ainsi un justiciable de son avocat. Celui-ci porte alors plainte et saisit le Défenseur des droits qui constate les mensonges sur procès-verbaux. Résultat : le parquet requiert un non-lieu.
Intime conviction
Au regard de la multitude d’histoires dans lesquelles les faux en écriture publique ne sont pas ou peu poursuivis, les avocats en sont persuadés : les policiers écrivent ce qui les arrangent sur les procès-verbaux. Et le témoignage de six policiers dans un livre paru le 1er décembre, Police : la loi de l’omerta, confirme cette facilité à produire des faux.
D’après Jean-Michel Schlosser, ancien policier et aujourd’hui chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), « la formation est très rigoureuse sur le procès-verbal dans le bloc OPJ » (officiers de police judiciaire, NDLR). En revanche, pour les parcours lambdas en école de police, la rédaction s’enseigne… en « cours de bureautique au moment d’apprendre à se servir des outils : on en profite pour leur apprendre la procédure ».
De mon temps, on apprenait que dans une procédure, on dit ce qu’on a fait, ce qu’on n’a pas fait et pourquoi on ne l’a pas fait.
« De mon temps, on apprenait que dans une procédure, on dit ce qu’on a fait, ce qu’on n’a pas fait et pourquoi on ne l’a pas fait » poursuit l’ancien policier. Le procès-verbal ne doit contenir aucune impression subjective même si la synthèse d’une procédure – prisée des magistrats qui s’évitent ainsi la lecture attentive d’un dossier – peut être orientée.
« Très souvent, le procureur m’appelait au téléphone et me demandait « Qu’est-ce que vous en pensez ? ». Quelquefois, cet avis était consigné dans le rapport de transmission. » Mais, dans une enquête, « même si des éléments desservent la vision du policier, ils doivent être inscrits. L’intime conviction, c’est pour les juges, pas les policiers qui n’ont pas le droit de la coucher en procédure. »
Dans les affaires de violences policières, le faux sert à se protéger et à couvrir les collègues. Par conséquent, il est un corollaire de ces dossiers. Pourtant, là aussi, il est rarement poursuivi. « Effectivement, les poursuites pour violences vont rarement ensemble avec les faux en écriture publique, reconnaît Marion Cackel, secrétaire générale de l’Association des magistrats instructeurs.
Mettre en cause le système
Une réalité qui restreint le champ des poursuites possibles. « Si le procureur ne saisit pas le juge d’instruction de l’ensemble des faits comme non-assistance à personne en danger, non dénonciation, faux témoignage, faux usage de faux, etc., on ne peut pas poursuivre les comportements qui visent à couvrir les violences policières, peste une ancienne magistrate d’instruction. Or, cela nous permettrait de mettre en cause le système et notamment la hiérarchie, les collègues, etc. »
Pourquoi ne pas le faire ? « Ce n’est pas dans la pratique : ça nécessiterait de mettre en examen tous les policiers, or ils sont aussi en prise à des conditions de travail extrêmement compliquées, tempère Marion Cackel. Nous avons en France, 17 000 officiers de police judiciaire pour 3,9 millions de procédures nouvelles chaque année. Comment on s’en sort ? Il faut un plan Marshall pour la police car ça n’est plus acceptable. »
Une réticence à poursuivre d’autant plus forte que « le faux est criminel : c’est passible de la cour d’assises, ajoute la magistrate. Ça peut dissuader car ça déclenche des actes judiciaires obligatoires comme l’expertise psychiatrique. Or, on manque d’experts. Il faut penser à la proportionnalité des poursuites ».
Le faux pose une difficulté sur la fiabilité de l’action judiciaire.
Cela dit, les magistrats peuvent correctionnaliser et le font. Mais le tabou du faux se niche aussi dans la valeur accordée au procès-verbal policier. Selon l’article 430 du code de procédure pénale, « les procès-verbaux et les rapports constatant les délits ne valent qu’à titre de simples renseignements » (sauf pour les délits routiers), contrairement à ceux d’un douanier, d’un notaire ou d’un huissier qui « font foi jusqu’à preuve du contraire ».
Pour la magistrature, le débat du faux est très compliqué à aborder : « Le faux pose une difficulté sur la fiabilité de l’action judiciaire, avertit une juge du siège. Si on commence à dire que les procès-verbaux sont bidonnés, tout notre système s’effondre et c’est vertigineux. »
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