Sortir de la com’ et du chiffre

Depuis le lancement du dispositif MaPrimeRénov’, le gouvernement se vante d’avoir massifié la rénovation énergétique. Mais, en finançant des améliorations partielles plutôt que globales, la France reste bien loin de ses objectifs.

Pierre Jequier-Zalc  • 14 décembre 2022 abonné·es
Sortir de la com’ et du chiffre
© CC0 / Pixhere.com

« Pouvez-vous citer une action réelle, forte, déterminante, qui ne soit pas juste de la com’, que vous menez pour l’écologie ? » À cette question posée par un internaute, Emmanuel Macron répond fièrement, dans une vidéo postée sur YouTube : « On a rénové plus d’un million de logements d’un point de vue thermique grâce à MaPrimeRénov’. »

Le chiffre n’est pas faux. Mais cette affirmation présidentielle résonne pourtant comme de la com’. La suite des propos tenus par le président de la République est autrement plus intéressante : « Il y a des rénovations complètes et intégrales, elles sont beaucoup moins nombreuses. » Le diable se cache dans les détails.

Parce que le million de rénovations annoncé se réduit comme peau de chagrin quand on s’intéresse aux rénovations dites « complètes et performantes ». « MaPrimeRénov’ soutient essentiellement des rénovations “mono-gestes” : de janvier 2020 à juin 2021, 86 % des demandes de primes accordées sont constituées de mono-gestes, seulement 12 % correspondent à deux types de travaux simultanés, et 3 % à trois types de travaux simultanés ou plus», souligne un rapport de France Stratégie.

Encore trop de passoires thermiques

Ces gestes uniques ne sont que très peu efficaces. Une enquête sur la rénovation des maisons individuelles menée par l’Observatoire national de la rénovation énergétique ­l’illustre. Les travaux touchant à cinq gestes ou plus sont six fois plus efficaces que les mono-gestes. Mais ce n’est pas le seul défaut de cette politique du chiffre.

« Les gens ne font pas des travaux de rénovation au compte-gouttes. Une fois qu’ils en ont fait, ils n’en font plus pendant plusieurs années. Donc les petites rénovations de ­MaPrimeRénov’ bloquent la mise en place de travaux plus structurels par la suite. Et ça, c’est embêtant », souligne Michel Colombier, membre du Haut Conseil pour le climat (HCC).

Les petites rénovations de ­MaPrimeRénov’ bloquent la mise en place de travaux plus structurels par la suite.

Une réalité d’autant plus gênante que la France reste loin de ses objectifs sur la rénovation des logements. Une note de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), datée du printemps 2022, souligne ainsi que, « en dépit du fait que le secteur des bâtiments est celui pour lequel la stratégie nationale bas carbone prévoit la réduction des émissions la plus rapide à moyen terme, les politiques peinent à atteindre leurs objectifs. Le secteur présente le plus grand écart par rapport à la trajectoire du premier budget carbone (+14,5 % par rapport à la trajectoire cible sur 2015 et 2018) ».

Et de conclure : « L’ambition consensuelle d’accroître le nombre de rénovations énergétiques ne se traduit pas en résultats probants. » Au 1er janvier 2022, 5,2 millions de résidences principales (soit 17 % du parc) étaient encore des passoires thermiques. À peine quelques milliers – 2 500 selon la Cour des comptes – sortent annuellement de ce statut grâce à MaPrimeRénov’.

Pour atteindre ses objectifs, tous les acteurs le disent, la France doit « changer d’échelle » en axant les politiques publiques vers des rénovations performantes. Il faut ainsi passer « d’environ 70 000 rénovations globales effectuées » par an(la moyenne sur la période 2012-2018) « à 370 000 par an après 2022 et 700 000 par an à partir de 2030 », note France Stratégie.

Mais plusieurs obstacles persistent. Celui de la capacité de la filière à prendre en charge cette massification des rénovations performantes. Une problématique qui va de pair avec les investissements, publics comme privés, jugés trop faibles.

« On estime que les investissements en matière de rénovation énergétique s’élèvent à 15 milliards d’euros, principalement sur des rénovations partielles, or, jusqu’à 34 milliards d’euros d’investissements additionnels seraient nécessaires chaque année », pointe l’Iddri. Un amendement de la députée EELV/Nupes, Eva Sas, prévoyant 12 milliards additionnels pour la rénovation énergétique des logements, a bien été adopté à l’Assemblée nationale contre l’avis du gouvernement, mais le 49-3 aura eu raison de ce vote.

Conditionner les aides publiques au gain in fine

Une autre question demeure essentielle pour « changer d’échelle » : comment accompagner les ménages les plus modestes dans ces rénovations coûteuses ? Selon France Stratégie, « les ménages très modestes ont un reste à charge de 38,6 % [du coût total des travaux] en moyenne » une fois que toutes les aides ont été cumulées. Une part importante qui empêche la plupart d’entre eux d’envisager de rénover globalement leur logement.

Pour régler ces problèmes, Michel Colombier suggère de conditionner les aides publiques au gain de performance in fine. « On se rend compte que les gens ont un comportement très adverse au risque quand il s’agit de financer leur rénovation. Il faudrait pouvoir leur garantir les économies qu’ils réaliseraient », assure le représentant du HCC.

Allant dans ce sens, un mécanisme de financement des travaux s’appuyant sur les économies d’énergie réalisées sans avancer les frais a été imaginé par France Stratégie. « L’Agence de la transition écologique comme le gouvernement sont sensibles à cette idée », souligne Vincent ­Aussilloux, économiste à France Stratégie.

Une expérimentation devrait être lancée l’année prochaine avant d’être généralisée si elle est concluante. Car, sans accompagnement des ménages les plus modestes en situation de précarité énergétique, le « changement d’échelle » restera impossible.

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Société
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