SNCF : disqualifier la grève pour mieux épargner les décideurs
Gouvernement et éditorialistes des plateaux TV sont vent debout contre la grève des contrôleurs de la SNCF. Un mouvement social de défense des conditions de travail pourtant tout sauf inattendu, alors que l’attitude de l’entreprise n’est, elle, jamais dénoncée.
Ce serait un scandale, la goutte de trop. Empêcher des milliers de Français de se rendre dans leur famille pour Noël. « On ne fait pas grève à Noël, on fait la trêve », assène dans une interview à Ouest France Olivier Véran, avec le panache d’un porte-parole du gouvernement qui a bien révisé ses éléments de langage.
À deux jours du week-end de Noël, la grève annoncée des contrôleurs, aussi appelés chefs de bord, suscite l’indignation dans les rangs de la majorité et sur les plateaux télé. Comme cette séquence – assez surréaliste, disons-le – où une intervenante du plateau de BFMTV explique la vie à un contrôleur. « Vous faites grève pour 100 euros ? Vous bloquez 200 000 français pour 100 euros ? »
Le rôle de la SNCF (et donc, en creux, du gouvernement), pointé du doigt par les différents chefs de bords interrogés, n’est lui, en revanche, jamais blâmé. Car c’est ici un point qu’on entend très peu dans le traitement médiatique de ce mouvement, traitement qui donne la part belle aux paroles de Français toujours plus dépités devant les gares du pays.
Cette grève n’est ni subite ni inattendue. Si la plupart des voyageurs se disent surpris de ce mouvement social, c’est qu’ils n’ont pas été bien informés par des médias qui s’intéressent peu aux différentes mobilisations sociales qui s’égrènent depuis la fin de l’été dans de nombreuses entreprises.
Un préavis de grève depuis plusieurs semaines
Cette mobilisation des contrôleurs s’ancre dans le temps depuis plusieurs semaines. Elle est révélatrice d’une absence de dialogue social. Dès le 2 décembre, lors du dernier week-end de grève de ces cheminots, Le Parisien titrait : « Grève SNCF : 60 % des TGV et Intercités annulés ce week-end, les vacances de Noël menacées ».
Dans cet article, on pouvait ainsi lire qu’un préavis de grève avait été déposé pour les week-ends de Noël (23 au 26 décembre) et du Nouvel An (30 décembre au 2 janvier) pour « mettre la pression sur la SNCF ». Il concluait en donnant la parole à un contrôleur gréviste : « On fera le maximum pour qu’il n’y ait pas de grève à Noël ».
Comment accuser les chefs de bord de qui constitue l’essence même d’un mouvement social : l’instauration d’un rapport de force ?
Autrement dit, la menace d’une grève le week-end de Noël était clairement posée sur la table depuis plusieurs semaines. Or, comment accuser les chefs de bord de cette pratique qui constitue l’essence même d’un mouvement social : l’instauration d’un rapport de force. Sans ce dernier, pas de pouvoir de négociation. Sans pouvoir de négociation, aucun espoir (ou presque) d’obtenir les revendications demandées.
Un collectif « apolitique » regroupant plus d’un contrôleur sur trois
Or les revendications, à entendre le patron de la SNCF, les membres du gouvernement et les éditorialistes en plateau, seraient presque ridicules. Pourtant, ce mouvement n’est même pas l’œuvre de syndicats que le gouvernement aurait allègrement pu qualifier de jusqu’au-boutiste. Non, elle est issue d’un collectif rassemblé depuis plusieurs mois grâce à une page Facebook qui se désigne comme « apolitique » et qui rassemble, a minima, plus d’un contrôleur sur trois.
Si cette grève émerge, ce week-end, c’est que leurs revendications – visiblement partagées dans la profession – n’ont pas été entendues. La revalorisation salariale souhaitée n’a pas été atteinte, et les demandes de fond, concernant la reconnaissance des conditions particulières de leur métier (journées longues, près d’une nuit sur trois passées loin de chez soi, surcharge de travail du fait d’une baisse des effectifs…) n’ont pas été exaucées.
Rembourser les trains plutôt qu’augmenter les salaires
C’est donc la direction de la SNCF qu’il faudrait interpeller. Pourquoi ne pas avoir satisfait ces revendications en sachant pertinemment qu’un mouvement social se préparait pendant les fêtes ? Cette question n’est jamais posée et les éléments de communication de l’entreprise sont repris à tout-va, comme cette prime de 600 euros bruts annuelle qui n’est pourtant pas à la hauteur des attentes des contrôleurs.
Mais plutôt que de les satisfaire (et donc de permettre à tous les Français de rejoindre leurs familles à Noël), la SNCF préfère rembourser le double des prix des billets de trains supprimés. Refuser d’augmenter les salaires et de mieux prendre en compte la réalité du métier de contrôleur dans une période d’inflation massive, à la veille d’un projet de réforme des retraites qui vise à allonger l’âge de départ légal, dans une période où le développement du service public ferroviaire apparaît être une solution évidente : est-ce que ce ne serait pas ça, le vrai scandale ?
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