Sur l’exploitation des chômeurs
La réforme de l’assurance-chômage s’attaque au chômage « frictionnel », lorsque l’économie est en plein-emploi. Mais est-elle de nature à entamer le noyau dur du chômage de masse involontaire ?
dans l’hebdo N° 1736-1738 Acheter ce numéro
Après avoir abaissé le montant des allocations-chômage, le gouvernement a décidé de réduire leur durée de 25 %, lorsque le taux de chômage diminue en dessous de 9 %. Il souhaite ainsi que les employeurs puissent faire face aux difficultés de recrutement, car le nombre d’emplois vacants s’élève à 373 100, soit 100 000 de plus qu’avant la crise sanitaire.
Cela signifie-t-il que l’« armée de réserve » des chômeurs, permettant aux employeurs d’exercer une pression à la baisse sur les salaires, est devenue rétive aux conditions de l’exploitation capitaliste ? Il faut dire que les travailleurs ont, depuis Marx, arraché certaines conquêtes, tel le salaire socialisé sous forme de prestations sociales – leur permettant de subsister en cas maladie, de licenciement ou encore en fin de vie.
Dans l’idéologie libérale, des allocations moins généreuses permettent en tout cas de réduire le chômage volontaire de ceux qui préfèrent le loisir au travail lorsque les salaires proposés sont trop bas, comparés aux allocations-chômage. Et si cela ne suffisait pas pour résorber la pénurie de serviteurs des temps modernes qui sévit essentiellement dans l’hôtellerie-restauration et le bâtiment, il sera toujours possible de puiser dans l’armée de réserve mondiale, en recourant à l’immigration choisie.
La réforme de l’assurance-chômage s’attaque alors au chômage « frictionnel », qui prévaut lorsque l’économie est en plein-emploi. Mais est-elle de nature à entamer le noyau dur du chômage de masse involontaire, qui prédomine et qui est susceptible de s’accroître à nouveau avec le ralentissement de l’activité prévu dès 2023 ?
Largement inférieur au nombre de chômeurs, le nombre d’emplois vacants pourrait se résorber avec ce retournement. La chute de la demande conduira les entreprises à licencier la main-d’œuvre qu’elles avaient conservée grâce aux mesures de soutien à l’emploi prises pendant la crise sanitaire (prêts garantis, chômage partiel), d’autant plus que ces dernières vont être suspendues avec la fin annoncée du « quoi qu’il en coûte ».
Pour entamer le noyau dur du chômage, il faudrait soutenir le revenu des victimes de la crise.
Dans ces conditions, réduire le soutien aux chômeurs en fin de droits, les moins employables, accroîtra leur précarité et réduira leur consommation. La réforme fragilisera les plus anciens, dont les entreprises se séparent à l’âge moyen de 59 ans, à l’heure où le gouvernement s’apprête à reculer l’âge légal de départ à la retraite sans raison valable : la part des retraites dans le PIB va décroître et le déficit se creusera uniquement parce que la masse salariale continue à diminuer du fait de la poursuite des politiques d’austérité salariale, incapables de rétablir le plein-emploi.
Pour entamer le noyau dur du chômage, il faudrait soutenir le revenu des victimes de la crise, revaloriser et indexer les salaires sur les prix, subventionner massivement l’investissement made in France. Hélas, le chef de l’État crie au loup en dénonçant la concurrence faussée, lorsque d’autres usent à discrétion des aides d’État, outre-Rhin et outre-Atlantique.
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