Ce que n’est pas Marine Le Pen

La « dédiabolisation » impulsée depuis 2011 est moins un aggiornamento idéologique qu’une stratégie de dissimulation des référents identitaires du lepénisme.

Michel Soudais  • 25 janvier 2023 abonnés
Ce que n’est pas Marine Le Pen
Marine Le Pen, à l'Assemblée nationale le 12 janvier 2023.
© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP.

Jamais Marine Le Pen n’a été autant dédiabolisée dans l’opinion. Et si les outrances d’Éric Zemmour ont permis de recentrer la cheffe de file de l’extrême droite sur l’échiquier politique, les médias ont aussi réussi à crédibiliser et à installer Le Pen sur des sujets où on ne l’attendait pas : le féminisme, l’écologie, la laïcité. Et même le social. Et pourtant…

Un programme social ?

Depuis le nouveau quinquennat Macron, le groupe RN à l’Assemblée nationale a voté avec la Macronie contre de nombreuses propositions de la Nupes, à commencer par les revalorisations de 10 % des salaires des fonctionnaires et des APL, des bourses étudiantes au niveau de l’inflation, des retraites au niveau du Smic et des minima sociaux au niveau du seuil de pauvreté ; le gel des loyers ; le blocage des prix de produits de première nécessité ; le rétablissement de l’ISF et les taxations des superprofits ; et bien sûr l’augmentation du Smic.

Et quand Marine Le Pen signe une proposition de loi permettant d’aider les entreprises à augmenter de 10 % les salaires jusqu’à trois fois le Smic, cette augmentation est exonérée de cotisations patronales, contribuant ainsi à assécher les recettes de la protection sociale et des caisses de retraite. Or son programme, l’année dernière, a déjà repoussé de 60 à 62 ans l’âge légal de départ en retraite (sauf pour ceux qui sont entrés dans la vie active avant 20 ans), au prétexte de l’augmentation de la dette de l’État.

Si elle se dit hostile à la réforme des retraites du gouvernement, à laquelle elle envisage de ne s’opposer qu’à l’Assemblée, elle dénonce plus encore l’hypocrisie des syndicats, les accusant d’avoir accepté le recul de l’âge de départ en appelant à voter Macron, ce dernier n’ayant pas caché ses intentions. Un argument en miroir à celui du pouvoir.

Écologiste ?

Ces derniers mois, le RN a voté contre la suppression de la niche fiscale sur le kérosène aérien, contre la taxation des yachts et des jets privés, contre le conditionnement des aides publiques aux grandes entreprises au respect de contraintes écologiques. Le 17 janvier, il s’est encore opposé à la résolution demandant un moratoire international sur l’exploitation minière des fonds marins, l’orateur du groupe, Hervé de Lépinau, reprochant à ce texte d’aller plus loin que la loi Hulot votée en 2017, « qui interdit toute exploration d’hydrocarbures en France, sur la terre comme en mer », une « loi idéologique, antipragmatique et handicapante » à laquelle le RN reste « vigoureusement » opposé.

L’« écologie française » prônée par Marine Le Pen se présente comme un « localisme », une antithèse du « mondialisme libre-échangiste » qui entend réconcilier économie et écologie dans l’écosystème d’une nation dont il faudrait expulser les corps étrangers pour retrouver l’harmonie derrière des frontières solides. Au RN, si l’on s’apitoie volontiers sur la souffrance animale – ce qui n’empêche pas de défendre la chasse ou de refuser l’interdiction de la corrida –, la xénophobie n’est jamais loin.

Féministe ?

« Je suis féministe », déclarait Marine Le Pen dans Elle (10 mars 2022), non sans préciser ce qu’elle entend par là : « C’est défendre les femmes et leur permettre d’avoir accès à tout et tout le temps. » Pas plus. La féminisation des titres ? Elle est contre. « Doctoresse, auteure… Je trouve ça vilain. » À ses yeux, « “la présidente” désigne l’épouse du Président alors que “Madame le Président”, c’est le Président ». Si elle ne tient plus la parité pour « un racisme inversé », elle ne l’appliquerait pas dans la constitution de son gouvernement, qui n’aurait pas de ministère des Droits des femmes.

Le 24 novembre, elle a surpris en votant la proposition de loi constitutionnelle de Mathilde Panot (LFI) visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’IVG. Un vote d’opportunité tactique, suivi seulement par 37 de ses députés – 23 ont voté contre, 13 se sont abstenus –, qui venait après de nombreuses circonvolutions.

Dans son programme présidentiel, les femmes n’apparaissent qu’aux chapitres « politique familiale » et « sécurité », notait Capital (11 avril 2022) ; on n’y trouve nulle mention des discriminations salariales, dont elle impute la persistance à l’inaction des syndicats. Sa réforme des retraites présentée alors laissait de côté celles qui, principalement, ont eu des carrières hachées et des temps partiels imposés. Même en ayant commencé à travailler avant 20 ans, il leur faudrait atteindre l’âge de 67 ans, Marine Le Pen ayant déclaré « ne pas toucher à cet âge automatique du taux plein ».

Défenseuse de la laïcité ?

Il faut ici tordre le cou à une légende trop répandue. « En dehors de Marine Le Pen, plus personne ne défend la ­laïcité », a osé déclarer Élisabeth Badinter en 2011, contribuant grandement à lui attribuer cette image. Or, dès 2010, Marine Le Pen instrumentalise la laïcité : face aux « poussées des revendications politico-religieuses musulmanes », explique-t-elle dans un quotidien maurrasso-pétainiste, « il faut s’appuyer sur la laïcité, principe de la République française admis et aimé par les Français. […] C’est le seul moyen de refuser la suppression du porc dans les cantines ».

Depuis, elle a invoqué la loi de 1905 pour sanctionner « la participation directe ou indirecte à la construction de mosquées » ou « interdire l’aménagement d’horaires particuliers dans les piscines pour les femmes musulmanes ». Sa laïcité n’est ni un droit ni une liberté mais un moyen de contrôle qui justifie de prohiber dans l’espace public le port du voile, du qamis ou des barbes longues.

Un parti républicain ?

Plusieurs éléments du programme lepéniste relèvent d’une vision ethnique contraire à la conception républicaine, juridique, de la communauté nationale : suppression du droit du sol au profit du seul droit du sang, inscription dans la loi que l’immigration ne doit pas « modifier la composition et l’identité du peuple français ». Négligeant la fraternité, valeur à portée universelle du triptyque républicain, elle veut inscrire la « priorité nationale » dans la Constitution, légalisant ainsi de multiples discriminations.

Sa « République » est autoritaire, sécuritaire et présidentialiste dans la tradition bonapartiste. On ne s’étonne donc pas qu’elle laisse Julien Odoul crier régulièrement « Vive l’Empereur ! » sur les réseaux sociaux. Ni ne s’offusque quand le jeune député Jean-Philippe Tanguy réclame dans un communiqué le rapatriement des cendres de Napoléon III, fossoyeur de la IIe République, de son épouse et de son fils, « qui ont servi la France et les Français » (sic). Il se trouve même un député RN, Christophe Barthès, pour se vanter sur Twitter d’assister (en 2023) à une « messe en mémoire du Roi Louis XVI assassiné (re-sic) le 21 janvier 1793 »

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