« C’est que le début » : forte mobilisation contre la réforme des retraites
La réforme voulue par Emmanuel Macron a mobilisé du monde dans toute la France ce jeudi 19 janvier, avec 1,12 million de manifestants selon les autorités, deux selon les syndicats. La rédaction de Politis était sur le terrain pour cette première grande journée de contestation.
C’était attendu, ce fut même mieux qu’espéré : cette première grande journée de mobilisation contre la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron a été une réussite dans toute la France, avec des cortèges très fournis. Selon les autorités, 1,12 million de personnes ont manifesté ce jeudi, dans 200 rassemblements en métropole et outremer. Les syndicats doublent la mise de leur côté, et évoquent 2 millions, dont 400 000 personnes rien qu’à Paris selon la CGT.
Paris, où ces mêmes syndicats ont pu faire la démonstration de leur union contre ce projet, pour la première fois depuis belle lurette. Réunies au soir de ce succès, les organisations professionnelles et de jeunesse ont annoncé une nouvelle journée de grève et de manifestations le 31 janvier.
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Après une « première victoire », inscrire le mouvement dans la durée « Tu passes ta vie au travail, et après, tu meurs ? » La discrète arnaque du gouvernement à 800 millions d’euros « Cette réforme instrumentalise la cause des femmes »La rédaction de Politis se trouvait dans le cortège de la capitale, tenant même un stand – avec l’aide de bénévoles de l’association Pour Politis, venus en renfort – à proximité de la place de la République, pour être au contact de celles et ceux qui combattent le projet d’Emmanuel Macron et de son gouvernement.
Nos journalistes ont pu y recueillir les avis des manifestants venus battre le pavé, comme celui de Yuma, artisan sculpteur en freelance, 25 ans : « Je n’ai pas confiance dans le fait qu’un jour je toucherai une retraite, parce que le processus de libéralisation n’est pas au bout du chemin. Physiquement, mon travail est pénible, même s’il est valorisé socialement. Je respire quelques agents dangereux, même si des efforts sont faits de la part des entreprises. Faire ce boulot jusqu’à 64 ans, ça me paraît impossible. »
Roland 46 ans, permanent syndical de Solidaires de la répression des fraudes : « On a plus réussi à mobiliser qu’en 2019, c’est clair. Parce que cette réforme va toucher tout le monde, et c’est facile à comprendre. On a tracté à Bastille, les gens prenaient nos tracts très facilement. On sentait une forme de colère. Personnellement, j’espérais partir plus tôt à la retraite car ma compagne est plus âgée. La retraite, ça se vit en couple, c’est un moment où on veut construire des choses ensemble. Mais je ne pourrai pas avec cette réforme. Je vais me prendre deux ans comme tout le monde. Sur la suite du mouvement, je pense qu’il faut une bonne articulation entre grosse mobilisation comme aujourd’hui et grèves reconductibles dans des secteurs particuliers. J’ai discuté avec les camarades de SudRail, ils se préparent ! »
Jeunesse méprisée… et mobilisée
De leur côté, les organisations de jeunesse – elles aussi réunies en intersyndicale –, ont voulu afficher leur unité. Et leur détermination. Dès le matin, de nombreux lycées étaient bloqués. À Rennes, plusieurs dizaines de jeunes étaient rassemblés devant les lycées Bréquigny et Jean Macé. Dans la capitale, les forces de l’ordre ont repoussé à coup de lacrymogènes les manifestants devant l’entrée du lycée Hélène Boucher. Les lycées Burgot et Lamartine étaient également mobilisés.
« Dès 11 heures, on comptait une soixantaine de lycées bloqués et au moins 150 établissements où une action était organisée », se félicitait Colin Champion, le président de La Voix Lycéenne. « La mobilisation durera tant que le gouvernement ne retirera pas son projet. Cette réforme, c’est la goutte de trop », grince-t-il, en rappelant que l’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur sont « toujours plus fragilisés ».
Le gouvernement n’a cessé de passer en force en refusant à la jeunesse un droit à l’avenir.
Un communiqué, où les logos des organisations lycéennes et étudiantes s’affichent aux côtés de ceux des mouvements de jeunesses du PS, de Génération-s, des Insoumis, des Écologistes, du PCF rappelait aussi la lutte pour un RSA en direction des moins de 25 ans, pour une « réforme des bourses ambitieuses et une revalorisation des minima sociaux ». En retour, « le gouvernement n’a cessé de passer en force en refusant à la jeunesse un droit à l’avenir ».
« Précarité à perpétuité »
Pour Imane Ouelhadj, la présidente de l’Unef depuis mars dernier, « la réforme des retraites condamne les jeunes à une précarité à perpétuité ». Alors que le premier emploi stable démarre à 27 ans, l’organisation craint que les jeunes d’aujourd’hui ne partent en retraite qu’à 67 ans, et non 64, l’âge de départ voulu par le gouvernement. « Et même à 67 ans, on n’est pas sûrs de vivre dignement notre retraite » ajoute l’étudiante en deuxième année de licence de science politique à l’université Paris-Nanterre. L’Unef réclame une retraite à 60 ans et la prise en compte des années d’études.
Étienne Matignon, président de La Fage :
« Nous les jeunes, on a des choses à dire sur la réforme des retraites. On n’a même pas été concertés par le gouvernement. Ce qu’on demande, c’est un retrait de ce projet de loi qui est injuste pour nous, nos parents, nos grands-parents et tous les précaires qui vont devoir se tuer à la tâche plus longtemps. Il fallait une inclusion de nos problématiques dans des projets de loi aussi importants. Il faut que les jeunes soient plus considérés. On a été reçus une fois à Matignon suite à un communiqué en intersyndicale. Une réunion d’une heure. La grande concertation d’il y a 3 ans n’a pas eu lieu cette année. On agira dans le cadre de l’intersyndicale. On sait que les jeunes et les étudiants vont faire bloc. »
Imane Ouelhadj, présidente de l’Unef :
« La réforme des retraites condamne les jeunes à une précarité à perpétuité. Elle nous condamne à une vie de distribution alimentaire, qui représente, déjà aujourd’hui, notre quotidien. C’est inadmissible. Même si les retraites, ça nous semble loin quand on est étudiants, c’est aussi un sujet de jeunes. Les retraites, c’est l’aboutissement d’une vie : pourtant, rêver d’un bel avenir, en France, c’est compliqué. Avec l’inflation, un taux de chômage des jeunes… La réforme des retraites, c’est obliger les jeunes à travailler jusqu’à plus de 64 ans puisque le premier emploi stable démarre à 27 ans. Et même à 67 ans, on n’est pas sûrs de vivre dignement notre retraite. Nous réclamons une retraite à 60 ans et la prise en compte des années d’étude. »
Colin Champion, président de la Voix Lycéenne :
« C’est beau de voir cette unité. La jeunesse, on est tous d’accord. La retraite à 64 ans, c’est non. Sélectionné à 18 ans, précarisé à 20 ans dans un contexte où l’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur sont toujours plus fragilisés sous ce gouvernement. On est 35, 40 par classe. La réforme des retraites, c’est la goutte de trop. À 11 h, on avait une soixantaine de lycées bloqués et 150 mobilisés. Dans toutes les grandes villes, il y a une manifestation avec des cortèges jeunes bien fournis. La retraite, c’est l’ultime régression sociale. Si le gouvernement ne nous écoute pas, il va falloir que cette mobilisation dure. On saura se mettre d’accord jusqu’au retrait. C’est que le début ! »
Des revendications qui seront entendues par l’exécutif ? Pas sûr, vu comment les organisations de jeunesse ont été prises en compte depuis le début des discussions. Etienne Matignon, président de la Fage, regrette une « concertation » en forme de coquille vide. « C’était une réunion d’une heure. On n’a pas été considérés. Pourtant, nous les jeunes et les étudiants, on devrait être reçus à chaque grande réforme. Le gouvernement ne fait pas le jeu de l’inclusion. De notre côté, on sait qu’on fera bloc. Jusqu’au retrait », ajoute celui qui a fait de la précarité étudiante son cheval de bataille.
Par ailleurs, les journalistes de Politis ont posté tout au long de la journée sur les réseaux sociaux des instantanés de la mobilisation, dont un entretien avec Mathilde Panot de LFI. En voici un petit panel.
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