Écologie : contradictions individuelles et crise culturelle
Une enquête sociologique s’interroge sur l’efficience de la « conversion écologique » tant vantée et les contradictions dans lesquelles sont pris les citoyens au quotidien. Quand un autre essai entend trouver des solutions en portant le combat pour l’écologie sur le terrain culturel…
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Dur d’être – vraiment – écolo ! C’est le sentiment qui risque de vous gagner à la lecture de La Conversion écologique des Français, essai rigoureux se fondant sur l’évolution des enquêtes d’opinion portant sur les préoccupations environnementales à travers les cinq continents, mais en particulier sur une enquête menée en 2017 auprès d’un échantillon représentatif de la population française.
Il livre une analyse fine de la prise de conscience de ces enjeux – diffuse et large, mais inégale dans le temps, selon les lieux et les classes sociales –, et ainsi des dimensions sociales et politiques de la transition écologique. Et les quatre auteurs, appréhendant « la dynamique historique des attitudes environnementales », de s’interroger en début d’ouvrage : « Demain, tous écolos ? »
Force est d’admettre qu’aujourd’hui, la question de la justice sociale n’est plus seulement, comme cela le fut longtemps, celle d’une répartition plus équitable des fruits de la croissance, mais également, et de plus en plus, celle de la répartition du « fardeau des externalités ».
Rappelons qu’une externalité est un « effet externe » produit par l’activité économique d’un agent, généralement sans contrepartie monétaire, qu’elle soit positive (comme une utilité ou un avantage), ou au contraire négative (comme une nuisance, un dommage sans compensation, une perte de ressources).
Par exemple, la pollution induite par l’exploitation des matières fossiles ou la dangerosité sanitaire d’un travail rémunéré sur la seule base horaire d’une activité salariée, sans prendre en compte les dommages corporels liés à celle-ci.
Cette enquête sur la population française souligne tout d’abord « l’essor tardif » des préoccupations écologiques, longtemps concentrées sur les questions de pollution et de risques industriels, alors qu’aujourd’hui, c’est la question climatique qui occupe le devant de la scène, avec une montée relative de la justice environnementale.
Paradoxe français
Mais l’étude relève aussi un « paradoxe français » : le sentiment d’inquiétude des personnes interrogées s’exprime d’abord pour la planète dans sa globalité, beaucoup moins pour leur environnement immédiat. Enfin, les différences entre classes sociales sont marquées. Plus on descend dans l’échelle sociale, plus les modes de vie, à la consommation modeste, sont davantage soutenables, avec une adhésion moindre aux impératifs écologiques. Alors que plus on monte dans les classes supérieures, plus l’adhésion à l’écocitoyenneté augmente, quand le style de vie est, par contre, bien moins soutenable, avec une empreinte écologique supérieure.
Il apparaît in fine quatre types de profils dans la population française, assez paradoxaux et conséquences, souvent, des fractures sociales, économiques, culturelles et territoriales qui relativisent les engagements écocitoyens. Ainsi, divers comportements ressortent de cette « articulation problématique des attitudes et des pratiques », montrant bien les contradictions personnelles et les difficultés de l’écocitoyenneté au quotidien : un « consumérisme assumé » ; un « éco-consumérisme » ; un « éco-cosmopolitisme », plus concerné par la justice environnementale au niveau global ; et même une « frugalité sans intention ». On le voit, l’écocitoyenneté a encore beaucoup de chemin à parcourir et les convictions écolos, quand elles existent, se heurtent encore au quotidien de chacun.
Mais pour dépasser ce constat, en demi-teinte à tout le moins, un court essai – dans la collection très économique des éditions Le Pommier, à l’intitulé évocateur, « Manifeste » – explore une piste sans doute trop peu usitée pour faire progresser les préoccupations écologiques et écocitoyennes : la culture.
Pour une écologie culturelle, né d’un appel publié dans Le Monde en septembre 2022, part ainsi du constat que la crise écologique est une crise culturelle et veut faire le « pari » d’une appropriation de l’écologie par la culture.
Car la culture est le « ciment de la société », et inscrire l’écologie par des mots, des images, des outils et des symboles doit être une voie pour s’approprier une « écologie familière », destinée à devenir une « culture commune » rattachée à une histoire ancienne, et ainsi « fédérer une majorité ». En rompant avec la posture trop souvent adoptée par nombre de militants écolos, entre expertise scientifique et injonctions frustrantes, qui peine à rassembler. Et en empruntant la voie d’une culture écologique partagée, pour conquérir une nouvelle hégémonie culturelle.
Les autres livres de la semaine
Les Rêves d’un Européen au XXIe siècle (1999-2022), Geert Mak, traduit du néerlandais par Guillaume Deneufbourg, Gallimard, 608 pages, 33 euros.
Après plusieurs ouvrages sur l’histoire de son pays, les Pays-Bas, et son Voyage d’un Européen à travers le XXe siècle (Gallimard, 2007), l’historien et journaliste Geert Mak, ancien militant du Parti socialiste pacifiste, poursuit son analyse des soubresauts du Vieux Continent à partir d’une histoire par le bas grâce à des entretiens et des rencontres. Ce sont les crises qui façonnent les Européens depuis le début de ce nouveau millénaire, qui malgré leur volonté d’unité connaissent surtout des divisions de plus en plus violentes, du 11-Septembre à la guerre en Ukraine. Une fresque envoûtante, dans une écriture enjouée, qui ose un panorama de l’histoire du temps présent.
La Fausse Conscience (et autres textes sur l’idéologie), Joseph Gabel, préface de David Frank Allen et Patrick Marcolini, L’Échappée, coll. « Versus », 558 pages, 25 euros.
Sociologue et psychiatre, marxiste antistalinien, Joseph Gabel a choqué à la parution de ces textes – chez Minuit alors, devenus des classiques – sur la notion d’idéologie, dans les années 1960 et 1970, période « idéologique » s’il en fut. L’auteur s’attache à déconstruire cette « fausse conscience » que constitue l’idéologie en tant qu’« attitude pathologique » érigeant en un unique « principe explicatif du monde social » une vision partielle (et donc partiale) du réel, extrayant des faits ou des catégories du mouvement de l’histoire. Une analyse à l’encontre des explications totalisantes, sinon totalitaires, en vogue au XXe siècle. Et à l’encontre des complotismes contemporains. Une réédition bienvenue.
Antigraffitisme. Aseptiser les villes, contrôler les corps, Jean-Baptiste Barra
et Timothée Engasser, Le Passager clandestin, 160 pages, 20 euros.
« Dangereux », « politique » ou tout simplement « moche et sale », le graffiti est l’un des ennemis principaux de ceux qui pensent l’urbanisme comme un outil de contrôle. Il est pourtant un outil d’expression des populations minorisées et un marqueur des problématiques sociales. Une fois consommée la rupture avec le street art de galeries gentrificatrices, l’essence même du tag reste subversive, et persécutée. De l’hygiénisme du XIXe siècle aux prémices de la technopolice en passant par les budgets de nettoyage municipaux, cet ouvrage retrace les enjeux de l’effacement du graffiti au profit d’espaces aseptisés.