Exclu Politis / La Cour de cassation donne de nouveau raison à un chauffeur contre Uber
Elle a rendu un arrêt en défaveur d’Uber, reconnaissant le lien de subordination qui existe entre un chauffeur et l’entreprise de VTC. C’est la deuxième décision juridique défavorable à cette dernière en quelques jours.
Uber vient de se prendre deux uppercuts judiciaires à quelques jours d’intervalle. Le premier date de vendredi dernier : les prud’hommes de Lyon ont condamné la société à payer entre 17 et 20 millions d’euros à 139 chauffeurs. La raison ? Le tribunal a jugé que l’entreprise aurait dû les salarier au lieu de les faire travailler avec le statut de travailleurs indépendants.
Le second, que nous révélons, est un arrêt rendu par la Cour de Cassation ce mercredi 25 janvier. Celui-ci vient « annuler et casser » un jugement de la Cour d’appel de Lyon daté du 15 janvier 2021 qui n’avait pas reconnu le lien de subordination qui existait entre un chauffeur Uber et l’entreprise.
Existence d’un lien de subordination
À l’époque, la cour d’appel avait « constaté simplement le mal fondé de la totalité des prétentions présentées par Mr. E en exécution d’un contrat de travail qui s’avère inexistant ». Elle l’avait donc débouté intégralement de ses demandes. Sauf que, comme dans sa décision historique de mars 2020 reconnaissant le lien de subordination entre un chauffeur et l’entreprise, la Cour de Cassation n’a pas été de cet avis.
Elle note ainsi « des conditions qui placent [le chauffeur] dans un lien de subordination juridique à l’égard du donneur d’ordre », ce qui aurait donc dû logiquement donner lieu, selon elle, à un contrat de travail. « Il résultait des constatations [de la cour d’appel] l’existence d’un pouvoir de direction, de contrôle de l’exécution de la prestation ainsi que d’un pouvoir de sanction à l’égard du chauffeur, éléments caractérisant un lien de subordination », poursuit l’arrêt de cassation que Politis a pu consulter. Il juge que la cour d’appel n’a donc « pas tiré les conséquences légales de ses constatations ». Autrement dit, la cour n’a pas appliqué la loi.
Une décision « assez historique »
Ces deux décisions coup sur coup sont importantes. « Assez historique » même pour la première, selon l’avocat des chauffeurs, Me Teyssier. Au micro de l’AFP, il souligne le caractère « inédit en France d’une condamnation d’une telle ampleur ». Car si l’arrêt « historique » de la Cour de Cassation date du 4 mars 2020, ce n’est pas pour autant que l’intégralité des chauffeurs ou livreurs auto-entrepreneurs se sont fait requalifier leur contrat en contrat de travail, loin de là.
Contacté par l’AFP, Uber affirme que les demandes de requalification en salariat de chauffeurs n’ont pas abouti dans plus de 65 % des cas (298 chauffeurs non requalifiés sur 460 demandes) depuis l’arrêt de la Cour de cassation de mars 2020.
C’est notamment sur ce chiffre que l’entreprise s’appuie pour qualifier la décision lyonnaise « d’isolée », venant « à rebours de la position largement partagée par les conseils de prud’hommes et les cours d’appel qui confirment l’indépendance des chauffeurs VTC utilisant l’application, jugeant notamment qu’il n’existe aucune obligation de travail, ni d’exclusivité vis-à-vis d’Uber ou encore que les chauffeurs demeurent totalement libres dans l’organisation de leur activité ». Elle a d’ailleurs fait appel de la décision des prud’hommes de Lyon.
Faire jurisprudence
Mais cette réaction date d’avant la décision de la Cour de Cassation de ce mercredi. Celle-ci est justement venue casser le jugement d’une cour d’appel (qui plus est, lyonnaise) qui donnait raison à Uber.
Et comme évoqué plus tôt, les raisons de cette décision sont claires : juger qu’il n’existe pas de relation de subordination entre un chauffeur et l’entreprise de VTC est contraire à ce que dit le code du travail. En affirmant cela, cet arrêt permettra certainement de faire jurisprudence à l’avenir pour requalifier plus facilement en contrat de travail le contrat des chauffeurs qui le veulent.
Sur le sujet des plateformes et de l’ubérisation, pouvoirs judiciaire et politique se font donc face. Car de l’autre côté de ces décisions juridiques il y a le gouvernement français qui continue de soutenir les plateformes. Mediapart et Politico racontent ainsi cette défense, presque coûte que coûte, d’un modèle économique promu par Emmanuel Macron, en témoigne l’affaire des Uber Files.
Les deux médias mettent aussi en avant l’attentisme de la France face à une proposition de directive européenne ambitieuse – portée notamment par la députée européenne Leïla Chaibi – qui vise à rendre obligatoire le fait de considérer les chauffeurs VTC et les livreurs à vélo comme des salariés. Et non pas des travailleurs indépendants.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don