« Face à nous, féministes, le système se défend »

Banalisation du sexisme, violences sexuelles, affirmation du masculinisme… Pour Raphaëlle Rémy-Leleu, conseillère EELV à la mairie de Paris et militante féministe, l’état des lieux du Baromètre Sexisme 2023 du Haut conseil à l’égalité est alarmant mais pas surprenant.

Zoé Neboit  • 24 janvier 2023
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« Face à nous, féministes, le système se défend »
Raphaëlle Remy-Leleu en mars 2020, à Paris.
© Lola Loubet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.

« Le sexisme ne recule pas en France. Au contraire, il perdure et ses manifestations les plus violentes s’aggravent ». C’est le constat sans appel du Baromètre Sexisme 2023, cinquième édition du rapport annuel du Haut conseil à l’égalité (HCE). 

Il décrypte le « vécu terrible » des femmes dans la société : 37 % ont déjà subi des rapports sexuels non-consentis, 15 % des coups de leur partenaire ou ex-partenaire et neuf sur dix adoptent des « conduites d’évitements » pour ne pas subir du sexisme. 

Mais l’étude révèle également l’inquiétant ancrage d’une pensée et de « réflexes » masculinistes et antiféministes chez les hommes, particulièrement au sein des 25-34 ans. Insidieusement, c’est aussi dans la sphère politique que cette idéologie s’installe progressivement selon Raphaëlle Rémy-Leleu, conseillère EELV à la mairie de Paris et militante féministe. Entretien.

Comment comprendre cette avancée paradoxale du sexisme en France, cinq ans après #MeToo ? 

Raphaëlle Rémy-Leleu : La lecture du rapport n’a malheureusement pas beaucoup surpris les féministes. Ce recul du progressisme, nous, on le voit tous les jours. C’est douloureux parce que ça arrive au moment où le mouvement féministe se constitue, se structure, alors qu’on gagne en force, et que de plus en plus de jeunes rejoignent le mouvement. 

Avant #MeToo, on était face au grand tabou, à la chape de plomb. Il y a 10 ans, il n’y avait pas une seule parole féministe dans l’espace public. Donc la meilleure défense du patriarcat était de ne pas trop nous répondre, de faire comme si on n’existait pas ou de nous regarder comme une bande d’hystériques.

Sur le même sujet : #MeToo : tout reste à faire !

Là, on fait face au phénomène de backlash (1). En réponse à nos avancées, on n’a pas seulement du silence ou de la disqualification, mais une rhétorique sexiste et même masculiniste. On a atteint un point de cristallisation. Face à nous, le système se défend. Les hommes se défendent avec cette sorte de panique réactionnaire parce que le point de bascule est à notre portée, et c’est maintenant qu’il ne faut pas lâcher. 

1

Ou « retour de bâton ». Concept théorisé par la féministe américaine Susan Faludi dans les années 1990, selon lequel chaque avancée du mouvement est suivi d’un contrecoup réactionnaire.

Par quels vecteurs cette pensée masculiniste voire antiféminisme s’exprime ? 

Internet a vu émerger des poches idéologiques car ce sont des espaces sociaux qui sont moins contrôlés. Le forum 18-25 est bien connu pour ça en France. La structuration du mouvement des incels [ndlr: « célibataires involontaires »] en Amérique du Nord, qui est depuis arrivé en Europe, s’est fait, par exemple, via la socialisation en ligne. 

Mais il ne faut pas sous-estimer la puissance de la socialisation au quotidien, des symboles qui sont donnés, y compris dans les cadres les plus institutionnels. Il y a des hommes politiques qui, dès lors que leur camarade est accusé, portent dans la sphère publique les discours qu’ils disent combattre depuis des années. À côté, notre ministre de l’Intérieur est toujours accusé de viol malgré tout ce qui se dit sur la fin de l’impunité. Et Emmanuel Macron qui dit que ça sera encore la grande cause de son quinquennat !

Il faut voir le niveau de violence qu’on subit, sur les réseaux sociaux, les courriers qu’on reçoit.

Tout ce décalage entre le discours et les actes, ce sont autant de valises qui permettent de soutenir le discours de la violence contre les femmes. Au-delà du symbole, cela signifie que la vie des femmes compte moins que la position de pouvoir des hommes. Cela a des impacts très concrets sur la possibilité de structuration du masculinisme. Et ça fait de nous, féministes, des cibles géantes. Il faut voir le niveau de violence qu’on subit, sur les réseaux sociaux, les courriers qu’on reçoit. C’est délirant. 

Cette idéologie va-elle de pair avec un regain de conservatisme ? 

La structuration politique masculiniste va se faire avec les plus réactionnaires et conservateurs. C’est le cas actuellement aux États-Unis, mais pas besoin d’aller regarder si loin : ici elle a des relais institutionnels extrêmement puissants. Il y a aujourd’hui un groupe parlementaire conséquent qui vote très majoritairement contre les avancées pour les droits des femmes. Roberta Metsola, la très conservatrice nouvelle présidente du Parlement Européen est ouvertement anti-IVG. Elle a quand même réussi lors d’un hommage à Simone Veil, à ne jamais prononcer le mot avortement. 

Face à cette violence antiféministe, quelle riposte politique est possible ? 

Je considère qu’il ne devrait plus y avoir de différence entre féminisme et pouvoirs publics. Le pouvoir devrait être féministe, avec des féministes aux postes de responsabilité. Mais ça implique d’en dégager un certain nombre, dont ceux qui déploient des violences et des stratégies masculinistes. 

Le pouvoir devrait être féministe, avec des féministes aux postes de responsabilité.

On va continuer de mener toutes les batailles, celle de l’éducation, de la lutte contre les stéréotypes, de l’explication des violences sexistes et sexuelles. Mais on est dans un moment très dur, parce que le discours en face de nous est décomplexé, d’une violence ahurissante et les féministes qui tiennent la barre depuis plusieurs années sont épuisées. On a besoin de stratégies de masse, de riposte et d’une relève féministe

Le patriarcat, c’est un système politique qui fonctionne extrêmement bien et épuise les femmes. Les choses changent profondément. Simplement, il faut ne rien lâcher, jamais, sur aucun sujet. 

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