« Inattaquable et respectable »
« Un représentant de l’État doit être inattaquable et respectable » : Gérald Darmanin a ainsi justifié le limogeage de la préfète Marie Lajus. Toute honte bue.
Le mois dernier, Marie Lajus, préfète d’Indre-et-Loire, a été sèchement limogée après avoir rappelé quelques règles de droit à quelques potentats locaux, parmi qui se trouvaient semble-t-il quelques élus macronistes. Je dis bien qu’elle a été limogée après avoir ainsi remontré à ces hautes personnalités que nul·le n’est en principe au-dessus des lois de la République, et non parce qu’elle a cru devoir les rappeler au droit commun.
Car Géraldarmanin (1), ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron, n’aime pas que l’on suggère qu’il y aurait un lien de cause à effet entre l’effronterie de Marie Lajus et son limogeage. Selon Géraldarmanin, ce n’est pas du tout parce qu’elle refusait de distribuer des passe-droits que cette indocile préfète a été limogée, mais parce qu’« un représentant de l’État doit être inattaquable et respectable », a-t-il asséné – avant d’ajouter, en esquissant, suppose-t-on, l’un de ces petits roulis d’épaules par quoi les vrais chefs signalent au monde qu’ils ont des glandes génitales grosses comme des pastèques : « Lorsque ce n’est pas le cas, je prends mes responsabilités en tant que chef de l’administration. »
Je l’écris comme ça pour gagner un peu de place.
Ces propos quelque peu lapidaires suggèrent, on l’aura compris, que Marie Lajus n’était, dans ses fonctions préfectorales, ni inattaquable ni respectable – et que c’est pour ça que Géraldarmanin l’a lourdée. Et c’est vrai que, dans la mesure où le ministre de l’Intérieur n’a pas cru devoir se montrer plus précis – pour dire par exemple de quelle manière la préfète aurait si fort démérité –, ses accusations pourraient presque ressembler d’assez près à une diffamation.
Mais la vérité est que M. Darmanin a raison, et qu’effectivement, déclamons-le : « Un représentant de l’État doit être inattaquable et respectable. »
Or – heureuse nouvelle – tel est bien le cas chez nous. Car ce n’est pas chez nous, n’est-ce pas, qu’on verrait le chef de l’État maintenir dans ses fonctions un ministre visé par une plainte pour viol, après lui avoir parlé « d’homme à homme ».
Ce n’est pas chez nous, n’est-ce pas, qu’on verrait le chef de l’État maintenir dans ses fonctions un ministre qui aurait posément glosé, dans un livre paru en 2021, sur « les difficultés liées à la présence de dizaines de milliers de Juifs en France » à l’époque napoléonienne.
Ce n’est pas chez nous qu’on verrait le chef de l’État maintenir dans ses fonctions un ministre qui jugerait la cheffe d’un parti d’extrême droite un peu trop « molle ». Ou encore : un ministre qui, à l’heure d’ouvrir un débat parlementaire autour d’une énième loi sur l’immigration, réciterait dans l’Hémicycle une citation d’un historien antisémite et monarchiste du nom de Jacques Bainville.
Au lieu de cela, nous avons, chez nous (sans bien mesurer, je le crains, la chance qui nous est ainsi garantie par le chef de cet État dont les représentant·es doivent donc être irréprochables), en guise d’arbitre des élégances, l’inattaquable et respectable M. Darmanin.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don