La doctrine antisyndicale de Macron
Emmanuel Macron ne veut pas seulement « sa » réforme des retraites. Il veut, en arrière-plan de cette bataille, instituer un autre ordre social : dépolitiser les syndicats.
dans l’hebdo N° 1741 Acheter ce numéro
Laissons aux candides l’illusion vertueuse. Non, Emmanuel Macron ne veut pas sauver un système qu’il sait n’être pas en péril. Et si tel était vraiment son objectif, il aurait bien d’autres solutions que le report de l’âge de la retraite.
Malheureuse coïncidence de calendrier, trois jours avant la manifestation du 19 février, l’ONG Oxfam vient de lui suggérer, dans son rapport annuel, la plus évidente des solutions. Il suffirait que l’on prenne aux 42 milliardaires français 2 % de leur fortune pour résorber le déficit du régime des retraites. Mais il n’en fera rien.
Dans la logique libérale, même les inégalités les plus folles appartiennent à l’état de nature. Pire ! Ce sont ces déséquilibres qu’il faut protéger. On aurait parlé autrefois d’un projet de classe. C’est toujours mon vocabulaire. Les mots passent, mais les réalités demeurent. Car c’est bien dans cette perspective que s’inscrit l’offensive actuelle.
Macron ne veut pas seulement sa réforme des retraites. Il veut, en arrière-plan de cette bataille, instituer un autre ordre social. Il veut une société flexible, durablement soumise aux intérêts financiers. Et il lui faut pour cela briser toute résistance. C’est le syndicalisme comme institution démocratique qui est dans le collimateur.
Son modèle est Margaret Thatcher au moment de la grande grève des mineurs de 1984-1985. Encore s’agissait-il, à l’époque, de la fin programmée de l’industrie du charbon. Aujourd’hui, la modernité est du côté des syndicats qui défendent le droit au temps libre.
On assiste en vérité à une tentative de mise en œuvre de ce qu’on pourrait appeler la doctrine Macron. Nous avons souvent critiqué la façon dont les corps intermédiaires ont été oubliés, voire méprisés au cours du premier quinquennat. Il s’agit en vérité de beaucoup plus que cela. Dès sa première campagne présidentielle, Emmanuel Macron n’avait pas caché ses intentions.
Il avait annoncé, bravache, qu’il allait « promouvoir un syndicalisme d’entreprise ». Autrement dit, les syndicats n’ont rien à faire dans la rue pour défendre nos retraites. Leur place est dans l’entreprise. Des super-délégués du personnel, en quelque sorte. « Je souhaite un syndicalisme moins politique, avait-il confessé en 2017, on a besoin de corps intermédiaires, mais à la bonne place. »
La « bonne place », pour lui, c’est dans le huis clos avec le chef d’entreprise. Là où le rapport de force est le plus défavorable. Là où les solidarités interprofessionnelles sont impossibles. Dans ses déclarations, Macron poussait sa logique jusqu’au bout. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas aider les entreprises à favoriser l’éclosion de sections syndicales limitées à des tâches de formation et à l’apprentissage de négociations empreintes de courtoisie ?
Avec cette floraison de syndicats « maison », on se dit que le syndicalisme vertical, qui est aux antipodes de la culture démocratique, n’est pas très loin. En bon petit soldat du capitalisme financier, Macron n’a pas renoncé à ces objectifs. Ils font assurément partie de ses motivations actuelles.
Défendre la démocratie sociale est donc l’un des enjeux de la mobilisation qui monte dans le pays. Emmanuel Macron n’a pas « les yeux de Caligula » (puisque c’est ainsi que François Mitterrand voyait Margaret Thatcher), il ne porte pas sur le visage les signes d’une haine du peuple. Juste de l’arrogance.
Mais il ne faut pas sous-estimer la violence et la cohérence de son projet. Il rêve d’une postérité qui n’est pas seulement celle d’un président réactionnaire qui aurait limité le droit à la retraite. Il veut être celui qui aura institué durablement un rapport de force favorable au capitalisme financier. Son projet comporte cependant des risques qu’il n’est pas difficile d’anticiper.
Notre société en a déjà connu les prémices. Des syndicats affaiblis et débordés, cela se voit de plus en plus fréquemment. Et c’est souvent de leur responsabilité. On pense évidemment aux gilets jaunes ou à des collectifs récents à la SNCF. Mais on est encore dans l’ordre de mouvements organisés.
L’ordre social dont rêve Emmanuel Macron, avec des syndicats interdits de politique et rendus indifférents à l’intérêt général, est tout autre. Il nous promet plutôt le chaos. Si ce scénario « macronien » triomphait, il ne pourrait que profiter à l’extrême droite. C’est tout cela aussi qui se joue dans la bataille des retraites. Autant de bonnes raisons de se mobiliser.
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