Le PS face aux fantômes du passé
Le passé mortifère qui a plongé le parti de Blum et de Mitterrand dans les abîmes de l’histoire va-t-il rattraper le PS au moment où il peut espérer renaître de ses cendres ?
dans l’hebdo N° 1740 Acheter ce numéro
Le mort va-t-il saisir le vif ? C’est la question qui se pose aux socialistes qui s’apprêtent à élire leur direction, le 19 janvier, avant leur 80e congrès, qui se tiendra du 27 au 29 à Marseille. Ou, pour dire les choses de façon à peine moins cruelle, le passé mortifère qui a plongé le parti de Blum et de Mitterrand dans les abîmes de l’histoire va-t-il rattraper le PS au moment où il peut espérer renaître de ses cendres ?
Ce qui conduit à l’unique débat qui agite nos trois candidats, et concerne l’appartenance du PS à la Nupes : en faisant le choix de l’alliance avec la France insoumise, EE-LV et le PC, le premier secrétaire sortant, et candidat à sa réélection, Olivier Faure, a-t-il transformé son parti en « filiale » du mouvement de Jean-Luc Mélenchon ?
Le mot est de sa principale concurrente, Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin, qui a promis, en cas de victoire, d’enclencher la marche arrière. Pour ou contre la Nupes ? Telle est donc la question. Toutes les autres en découlent. La retraite ? Faure est pour 60 ans, Geoffroy juge que c’est une « hérésie ». Le nucléaire ? Faure est contre de nouvelles implantations, Geoffroy, pour « un nucléaire renouvelé ».
À propos des retraites, on note au passage qu’en optant pour 60 ans, Faure ne suit pas seulement Mélenchon, mais Mitterrand, et même Martine Aubry, qui défendit ce principe contre la réforme Woerth de 2010. On pourrait allonger la liste des divergences qui se résument à un choix stratégique pour ou contre le libéralisme.
Hélène Geoffroy, femme sans doute courageuse – il le faut pour être maire de cette ville de la banlieue lyonnaise victime de tant d’abandons –, est lestée d’un lourd fardeau : elle fut secrétaire d’État dans le second gouvernement de Manuel Valls. Car ce congrès se prépare à l’ombre des fantômes du passé. La rivale d’Olivier Faure traîne dans son sillage quelques vieux chevaux de retour, de Cazeneuve à Cambadélis.
Olivier Faure a non seulement sauvé un groupe à l’Assemblée, mais remis son parti sur le chemin de la gauche.
Elle a le soutien des amis de François Hollande. Tous ceux qui ont plombé le Parti socialiste sont là, à reprocher à Olivier Faure d’avoir rompu avec leur politique. Avec ses 1,7 % à la présidentielle, Anne Hidalgo a pourtant donné la mesure du désastre. Fallait-il poursuivre, plus bas que terre ? Un adage de droit dit que « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».
C’est exactement ce que font les amis de Mme Geoffroy qui avaient tous les pouvoirs en 2012 et les ont perdus tous, abaissant en dix ans les effectifs du parti de 200 000 à 20 000, à force d’adaptation au libéralisme. Il va sans dire qu’Olivier Faure a eu raison de faire le choix de la Nupes.
Il a non seulement sauvé un groupe à l’Assemblée, mais remis son parti sur le chemin de la gauche. Cela n’empêche pas Hélène Geoffroy de mener ardemment campagne. L’angle d’attaque est tout trouvé : Mélenchon. Le « bruit et la fureur », « Poutine », « l’Europe »… Olivier Faure serait soumis à l’insoumis.
L’obsession est si forte que le secrétaire national a ironiquement rappelé à sa rivale que l’on n’était pas dans un congrès de LFI. Quant au troisième larron, Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen, on le sent très hostile à la Nupes, mais il ne pousse pas l’audace jusqu’à le dire… En fait, l’accusation d’une inféodation d’Olivier Faure à LFI ne résiste pas à l’examen.
Le PS n’a emboîté le pas à Mélenchon sur aucun des sujets qui fâchent Mme Geoffroy. Dernier désaccord en date, il n’appellera pas à la manifestation du 21 janvier voulue par Mélenchon. Le PS, comme les Verts et le PCF, souhaite laisser l’initiative à une intersyndicale unie. L’argumentaire d’Hélène Geoffroy est à ce point anachronique que la fronde ébranle même LFI.
Au fond, c’est la nature de la Nupes qui est interrogée. Ni Olivier Faure ni Marine Tondelier, la nouvelle secrétaire nationale des Verts, dont on découvre la fermeté souriante, ne sont des béni-oui-oui. Mais il est vrai, comme Faure l’a rappelé à ses concurrents, que c’est le rapport de force issu de la présidentielle qui a dessiné le nouveau paysage.
Nos fantômes sont dans un insupportable déni. Ils semblent ignorer le naufrage dont ils sont pourtant responsables. Le paradoxe de ce congrès d’un Parti socialiste plus famélique aujourd’hui qu’à la mort de la SFIO, en 1969, est que se joue là non seulement son avenir, mais l’avenir de la gauche. Qu’une alliance entre Hélène Geoffroy et Nicolas Mayer-Rossignol vienne à faire chuter Olivier Faure, et c’en sera fini de la Nupes. Et ce n’est vraiment pas le moment.
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