« L’Envol » de Pietro Marcello : la grâce de l’hirondelle

L’histoire de l’amour d’un père et d’une fille au lendemain de la Première Guerre mondiale. Un film enchanteur.

Christophe Kantcheff  • 10 janvier 2023 abonné·es
« L’Envol » de Pietro Marcello : la grâce de l’hirondelle
© Le Pacte

L’Envol / Pietro Marcello / 1 h 45

Raphaël (Raphaël Thiéry) revient de la guerre, celle de 14-18. Entre-temps, sa femme est morte. Lui survit un bébé, Juliette, que Raphaël ne connaissait pas encore. Il est hébergé par Madame Adeline (Noémie Lvovsky), qui s’est occupée de l’enfant. Il se met en quête d’un travail – il se révèle être un ouvrier menuisier de talent – et s’occupe de sa fille, qui, au long des années, va grandir.

L’Envol pourrait être une sage chronique, historique et villageoise, cachant un secret que l’on découvre cependant assez vite. Mais son auteur se nomme Pietro Marcello, cinéaste anticonventionnel et inventif, peu enclin à répéter ce qui a été déjà vu. Son précédent film était une merveille d’adaptation de Martin Eden, le chef-d’œuvre de Jack London, dont la lettre était toute transformée mais aucunement l’esprit.

Ici, Marcello joue d’abord sur un contraste saisissant : Raphaël est une masse d’homme aux mains d’ogre et au physique ingrat, face à la fragile et jolie Juliette. On songe un peu à La Belle et la Bête, et surtout aux pouvoirs du conte, qui iront en s’accentuant à mesure que le film avancera.

L’amour qui se développe entre eux est au cœur de L’Envol, Madame Adeline restant à leurs côtés. Le cinéaste a choisi quatre petites actrices d’âges différents pour successivement figurer Juliette – qui n’apparaît jeune femme (Juliette Jouan) qu’à la moitié du film –, ce qui donne le temps au spectateur d’assister à l’épanouissement du rapport père-fille et de leur tendresse mutuelle.

Sentiment de légèreté

Leur attachement est indéfectible, au point que Juliette refuse, adolescente, de quitter la ferme pour étudier au collège en ville. Les unit, notamment, le goût de la beauté – beauté qui s’est insinuée dans tous les recoins du film, sans être esthétisante. Raphaël fabrique à partir du bois brut des jouets d’une grande finesse. Tandis que Juliette découvre un piano dormant dans la grange, s’y initie et met en musique des poèmes. Dont un, en particulier, chantant les hirondelles, signé Louise Michel.

Tout converge vers un sentiment de légèreté dans cet Envol au titre bien choisi : la souplesse des mouvements de caméra, le chant et la silhouette de Juliette Jouan, le rôle de l’amoureux aviateur (Louis Garrel), la manière dont les émotions prospèrent, la sympathie de Juliette envers une magicienne (Yolande Moreau), et même quelques images d’archives ici colorisées, non pour « faire plus vrai » mais pour mieux s’insérer dans la fiction.

Après La Belle et la bête, on pense à Jacques Demy, sans mimétisme appuyé. Tout en gardant en arrière-fond les âpretés de la vie et les méchants conformismes villageois, L’Envol suscite un grand ravissement. Cela s’appelle la grâce.

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Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes