« Nous, AESH, vivons des drames chaque jour »
Sébastien Cazaubon, accompagnant d’enfants en situation de handicap (AESH), tire la sonnette d’alarme sur la très forte précarité du métier.
dans l’hebdo N° 1743 Acheter ce numéro
Encore un métier précaire que la Macronie méprise. Le 27 janvier, la députée des Hauts-de-Seine Claire Guichard estime devant une commission des finances médusée que « beaucoup d’AESH [sont des mères qui] choisissent ce statut pour avoir les mercredis et les vacances scolaires ». Les 132 000 accompagnants d’enfants en situation de handicap doivent être ravis. Voici le témoignage de l’un d’entre eux, Sébastien Cazaubon, qui travaille dans les Landes.
Sur le papier, c’est joli. Quand le gouvernement évoque les accompagnants d’enfants en situation de handicap (AESH), nous sommes toujours qualifiés de « piliers de l’école inclusive ». Ce que nous sommes, en effet. Mais avec quels moyens ? Et avec quelles conditions de travail au quotidien ? Car, dans les faits, la réalité est moins idyllique.
Le salaire, pour cette profession qui, en termes d’effectifs, est la deuxième plus importante de l’Éducation nationale derrière les enseignants, stagne à moins de 800 euros net par mois. C’est largement en dessous du seuil de pauvreté.
On nous oblige à travailler à temps partiel sur la base d’un CDD de trois ans renouvelable une fois. Nous pouvons donc rester en contrat précaire pendant six ans, à espérer un CDI qui n’arrive pas toujours. Combien d’AESH arrêtent au milieu du chemin, plongés dans la dépression ou en arrêt de travail ?
Comment voulez-vous trouver un logement avec un salaire de 800 euros ? Comment financer l’achat d’un véhicule ?
Certaines personnes sont obligées de se loger chez leur famille. Une AESH m’a contacté : elle s’est retrouvée à la rue, mais elle continuait à bosser. Une autre dormait dans sa voiture. Comment voulez-vous trouver un logement avec un salaire de 800 euros ? Comment financer l’achat d’un véhicule ? Dans les banques, on nous rit au nez.
Alors que nous sommes en plein mouvement social contre la réforme des retraites, je peux vous dire qu’une AESH qui a vingt ans de métier derrière elle ne rempilera pas pour un an de plus. Je vous le promets ! Il n’y a pas de carrière longue chez nous. Quand on fait ce métier, on sait qu’on aura une pension de retraite extrêmement basse. Devant une telle précarité, rares sont celles et ceux qui vont jusqu’au CDI.
Le gouvernement se complaît à parler d’une société toujours plus inclusive, mais nous vivons des drames chaque jour. Je ne compte plus les appels de parents, d’enseignants et d’autres AESH qui me décrivent les épreuves vécues par les enfants atteints de handicap et le personnel précaire, sous pression. Notre ministre, Pap Ndiaye, s’enorgueillit de voir 400 000 élèves porteurs d’un handicap inscrits à l’école. Mais avec quelles garanties pour eux et pour nous ?
La nouvelle tendance, c’est la mutualisation. Grâce à un outil mis en place par le ministère : le Pial, pour « pôle inclusif d’accompagnement localisé ». Concrètement, un AESH peut se retrouver avec six élèves à accompagner chaque semaine, dans autant d’établissements. Le département des Landes, d’où je viens, est découpé en cinquante zones. Du jour au lendemain, un élève peut voir un autre AESH s’occuper de lui. Avec un temps d’accompagnement toujours plus réduit.
Certains collègues me disent qu’ils sont contraints de rester seulement vingt minutes avec chaque enfant. Ce qui est dramatique, tant la stabilité est un besoin fondamental. Mais, au ministère, ils ne comprennent pas. Pour eux, que l’enfant puisse voir plein d’accompagnants différents, c’est une chance…
Une chance pour le budget du ministère, assurément. Le Pial permet surtout de faire des économies d’échelle. La logique qui traverse les services publics est la même avec les AESH. Faire plus avec moins. On voit par exemple l’arrivée de services civiques qui interviennent en milieu scolaire pour, en théorie, suppléer les AESH. Sauf qu’on demande à ces jeunes adultes, payés au lance-pierre, de venir dans des établissements… où il n’y a pas d’AESH. Un remplacement à moindre prix. Du pain bénit pour les pouvoirs publics !
L’idée d’une école 100 % inclusive permet surtout de liquider tout ce qui fait la spécificité de l’accompagnement des élèves en situation de handicap.
L’idée d’une école 100 % inclusive permet surtout de liquider tout ce qui fait la spécificité de l’accompagnement des élèves en situation de handicap. On systématise la précarité des AESH. On réduit chaque année le nombre de places dans les instituts médico-éducatifs, qui coûtent cher aux yeux de l’État.
Résultat : un enfant atteint de handicap très lourd peut se retrouver en milieu scolaire classique, ce qui parfois ne lui correspond pas, et il se retrouve accompagné par un service civique qui n’a pas de formation ni d’expérience. Autant le dire honnêtement : on va droit dans le mur.
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