Pelé, un roi sans aspérité

Les obsèques du footballeur ont lieu ce 3 janvier au Brésil. Le pays dit adieu à une certaine idée – noble – de ce sport. Le « roi » aux trois coupes du monde n’en aura jamais dénoncé la dictature, de 1964 à 1985.

Didier Delinotte  • 3 janvier 2023
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Pelé, un roi sans aspérité
Un fan de Pelé lui rend hommage, devant la réplique de sa maison familiale à Tres Coracoes, le 30 décembre.
© Douglas Magno / AFP.

Pelé est né le 23 octobre 1940 à Três Corações (Trois Cœurs), dans l’état pauvre du Minas Gerais, là où les cinéastes du mouvement Novo vont situer l’action de la plupart de leurs films. Son père décroche un emploi de fonctionnaire de la ville de Bauru (état de Sao Paulo) et joue dans l’équipe amateur du Bauru A.C.

Le gamin suit son père aux entraînements et sa virtuosité balle au pied est remarquée. Le surnom viendrait, selon la légende, du nom du gardien de Vasco De Gama, le club que supportait son père, un nommé Billé que l’enfant appelait « Bilé » puis « Pelé ». Voire.

Ce qui est sûr, c’est que Waldemar De Brito, l’entraîneur du Bauru AC, est impressionné par ses talents précoces et lui fait signer un premier contrat, à 14 ans, dans l’équipe. Bauru est trop petit pour lui et De Brito convainc ses parents d’accepter d’en faire un footballeur professionnel à 16 ans, avec le Santos FC, un club régulièrement classé au sommet du championnat du district pauliste.

Il débute modestement avec l’équipe des juniors mais est très vite surclassé pour jouer avec l’équipe première. Il marque lors de son premier match avec Santos le 7 septembre 1956 contre les Corinthians de San André. Il atteindra les 1000 buts dès 1969.

Début 1957, il est titulaire du club, à 16 ans et est sélectionné une première fois dans la Seleçao (sélection brésilienne) lors d’un match contre l’Albiceleste (sélection argentine) en juillet. Il ne joue pas ce jour-là mais inscrit son premier but en sélection le 10 juillet contre les mêmes argentins. Meilleur buteur du district Sao Paulo avec Santos à l’issue de la saison 1956-1957, il est retenu pour jouer la Coupe du monde de 1958 en Suède. Il a 17 ans.

Trésor national

Le Brésil a une revanche à prendre avec la Coupe du monde, humiliée chez elle en finale contre l’Uruguay en 1950 et sortie en quart par la Hongrie en 1954, à Berne. L’équipe nationale n’a jamais été si forte avec, outre le jeune Pelé, Garrincha, Vava, Didi, Pépé, Djalma et Nilton-Santos et le gardien Gilmar. Relevant de blessure, Pelé rate les deux premiers matchs et inscrit son premier but du tournoi contre le Pays De Galles.

C’est ensuite un hat-trick dont il gratifie son public devant les Français de Raymond Kopa et, en finale contre la Suède, un but exceptionnel avec un ballon qui passe au-dessus d’un défenseur avant d’être repris de volée. Comme à la parade.

Malgré des offres de clubs européens, Pelé reste à Santos qui domine le District de Sao Paulo avant de battre pour la première fois le vainqueur du championnat de Rio, en 1959. Deux titres suivront les années d’après. Considérant le joueur prodige comme un trésor national, le congrès fait pression sur les dirigeants de Santos pour garder Pelé au pays. Il ne connaîtra pas d’autres clubs avant 1974.

Pelé est encore de la fête en 1962 au Chili, mais les choses ne se passent pas aussi bien. Il marque lors du premier match contre le Mexique mais est blessé contre la Tchécoslovaquie en poule de qualification. Il ne jouera pas d’autres matchs, laissant Garrincha, le dribbleur fou aux jambes torses, prendre la lumière et donner à la Seleçao sa deuxième étoile.

Pelé est de toutes les sélections des équipes du « reste du monde » lors de matchs de gala ou de jubilé. Il est la bête noire de tous les défenseurs et passe le plus clair de son temps à se relever de ses blessures. Sa troisième Coupe du monde, en 1966 en Angleterre, sera son premier ratage. L’équipe est moins forte, avec le retrait progressif des grands anciens compensée par des nouveaux venus comme Coutinho ou Tostao, l’un des premiers de ceux qu’on appellera le « Pelé blanc ».

Lors d’un premier match contre la Bulgarie, Pelé est sérieusement blessé par le défenseur bulgare Zhechev. Laissé de côté contre la Hongrie, le Brésil est battu et c’est un Pelé diminué et agressé constamment par son garde du corps (Joao Morais) qui rend les armes contre le Portugal.

Ambassadeur d’un pays martyrisé

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On notera aussi que Pelé n’aura pas pris des distances avec le président d’extrême-droite Bolsonaro, lui offrant un maillot dédicacé du Santos FC.

La dictature militaire de Castello Branco, est arrivée au pouvoir en mars 1964, avec le général Geisel comme fer de lance qui prendra progressivement le pouvoir. Elle va durer jusqu’en 1985. Pelé, contrairement à ses collègues des Corinthians de Sao Paulo – Socrates en tête – n’aura jamais un mot pour contester ce régime sanguinaire, mêlé aux pires exactions du plan Condor concocté par la CIA sur les conseils d’anciens tortionnaires en Algérie comme Aussaresses.

Au contraire, les militaires vont l’utiliser comme vitrine sportive, quasiment ambassadeur, d’un pays martyrisé (1). Certains de ses détracteurs le surnomment à l’époque « Negro sim Sinhô », c’est à dire le « Nègre oui Monsieur ».

Il tarde à revenir et Santos n’est pas champion en 1966 mais le redeviendra les années suivantes. Le Santos FC fait des tournées de démonstration dans le monde entier. Il marque son 1000e but sur penalty contre Vasco De Gama en 1969 et c’est la liesse, un match interrompu pendant 20 minutes, le temps d’exulter.

Il n’aura jamais un mot pour contester un régime sanguinaire.

Pour la Coupe du monde 1970 au Mexique, la Seleçao, entraînée par Mario Zagallo, n’a jamais été aussi séduisante sur le papier avec, outre Pelé, Tostao, Jaïrzinho, Gerson, Paulo Cesar, Clodo-Aldo, Rivelino ou Carlos-Alberto. Le Brésil se ballade et, lors de son premier match, Pelé rate d’un centimètre un lob sur le gardien tchécoslovaque Viktor.

Il se rattrapera en marquant le deuxième but et deux autres contre la Roumanie, sans parler de l’arrêt du siècle de Gordon Banks sur un de ses tirs canon. Contre l’Uruguay en demi-finale, Pelé tente un grand pont contre le gardien de la Céleste Mazurkiewicz et, là aussi, le rate d’un cheveu.

Il empoche un troisième titre avec la Seleçao et joue son dernier match avec elle le 18 juillet 1971, contre la Yougoslavie, les Brésiliens de l’Europe. La foule hurle « fica ! » (« reste ! ») tout au long de la partie mais rien n’y fait. La décision est prise. Il n’a que 31 ans mais a déjà reçu trop de coups.

En dépit des premiers appels de clubs nord-américains, Pelé reste à Santos et signe un contrat avec Pepsi Cola pour monter des écoles de football pour enfants pauvres. Il se laissera tenter par une carrière de chanteur, sans grand succès et en tout cas pas de quoi concurrencer les Gilberto Gil ou Joao Gilberto locaux.

Les dirigeants du Cosmos de New York, qui ont réussi à implanter le soccer aux États-Unis réussissent à faire venir Pelé dans la Grosse pomme, grâce à l’industrie de Ahmet Ertegün, le Turc fondateur du label Atlantic. Après 18 saisons passées chez les noirs et blancs de Santos, Pelé endosse la casaque verte et blanche du Cosmos en 1974. Sa décision de quitter le Brésil et d’habiter New York est due pour l’essentiel à l’insuccès de ses affaires et à des dettes colossales.

Il a aussi choisi New York pour ne pas supporter la pression qu’on lui aurait fait subir dans les grands clubs européens. La première année est décevante et Pelé est condamné à jouer sur des terrains en mauvais état, parfois jonchés de détritus. Le Cosmos ne se qualifie pas pour les play-offs et ce n’est que l’année suivante, avec les renforts de Beckenbauer, Chinaglia et son ex-partenaire Carlos-Alberto que le Cosmos va remporter des titres, jouant ses matchs sur les terrains des Giants, la glorieuse équipe de base-ball.

Pelé remplit les stades en y faisant venir les minorités ethniques chicanos et les New-yorkais d’ascendance irlandaise ou italienne. L’un des seuls rivaux du Cosmos sont les Los Angeles Aztecs de Best, Cubillas et Cruyff. Pelé fait ses adieux définitifs lors d’un match amical entre le Santos FC et le Cosmos de New York, le 1er octobre 1977, devant 75 000 spectateurs. Ce sera son jubilé et, à bientôt 37 ans, il peut quitter le monde du football, qui est devenu son monde, la tête haute. Maradona fait ses débuts la même année au sein de l’Albiceleste. Le témoin, le sceptre est passé.

Toujours le sens des affaires

Pelé va dès lors entamer une carrière d’ambassadeur pour les grandes causes humanitaires, sous l’égide de l’UNESCO ou de l’UNICEF, levant des fonds pour des actions en faveur de l’enfance en plaçant le sport au centre de l’éducation.

Pelé entame une carrière d’ambassadeur pour les grandes causes humanitaires, avant de devenir ministre.

Après avoir décliné des propositions des gouvernements Sarney puis Neves dans son pays pour qu’il devienne ministre des sports, Pelé finit par accepter l’offre du président social-démocrate Cardoso, dans les années 1990.

Il marquera son mandat pour avoir fait voter la « loi Pelé », ni plus ni moins que l’arrêt Bosman pour le Brésil en 1998. Pas de quoi pavoiser, toujours le sens des affaires. On le verra encore taquiner le ballon en compagnie du président Clinton et on lui passera le micro lors de chaque grande compétition, en spécialiste incontournable.

Le successeur de Pelé aura été Maradona, les deux corps du roi, le premier en Noir souriant, jovial et apolitique, le second torturé, gauchiste et plongé dans ses turpitudes. Deux joueurs de légende à deux époques différentes, avant les Messi, M’Bappé et les pires outrances du foot-business.

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