Retraites : prendre deux ans de plus ?
Augmenter l’emploi des seniors – surtout pour les moins qualifiés – est une nécessité vitale : non pas en réformant les retraites, mais en imposant une véritable politique du travail vivant.
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Pour Charles Fourier, le précurseur de l’anarchisme, les usines étaient des « bagnes mitigés ». Les manifestants qui refusent de « prendre deux ans de plus » lui donnent raison. Le travail est aujourd’hui véritablement insoutenable.
À la question « pensez-vous que, dans deux ans, votre état de santé vous permettrait d’effectuer votre travail actuel ? », la moitié des seniors en emploi, quand ils sont ouvriers ou employés, répondent par la négative et le doute. Les cadres sont moins pessimistes : 16 % seulement sont inquiets pour la soutenabilité de leur travail dans les deux ans à venir. C’est ce qu’indiquent les premiers résultats de l’observatoire Evrest, recueillis en 2022 par des médecins du travail et révélés par la revue Santé et Travail (1).
« Des salariés vieillissants à bout de souffle ? », François Desriaux, Santé et Travail, 18 janvier 2023.
Les salariés du bas de l’échelle ont déjà le plus grand mal à rester en emploi : en 2016, dans la région Grand Est, seulement 30 % des salariés peu diplômés (niveau inférieur au bac) étaient encore en emploi à 60 ans, contre 60 % des diplômés du supérieur (2). Comment imaginer qu’ils puissent alors accepter de travailler deux ans de plus ?
« Les seniors, plus nombreux et beaucoup plus souvent en emploi », Isabelle Manné et Loïc Rousseau, Insee Analyses Grand Est, n° 122, novembre 2020.
Ce sont les conditions concrètes du travail qui déterminent s’il est soutenable ou non après 60 ans. Sa pénibilité physique, bien sûr, en premier lieu : les salariés les plus exposés aux contraintes physiques sont touchés par une usure prématurée des articulations, des surdités, des cancers, etc., dont la plupart ne sont pas reconnus en tant que maladies professionnelles.
Le compte pénibilité, qui prétendait compenser ces inégalités, a été récemment étrillé par la Cour des comptes, pour qui il est « voué à n’exercer qu’un effet réduit, sans impact sur la prévention » : les employeurs n’ont déclaré la pénibilité que pour un quart des 3 millions de salariés exposés aux critères de pénibilité officiels, et en 2020, sur 700 000 départs à la retraite, seulement 3 000 ont été anticipés au titre de la pénibilité !
Ce sont les conditions concrètes du travail qui déterminent s’il est soutenable ou non après 60 ans.
Mais il n’y a pas que la pénibilité physique qui rend le travail insoutenable. Les troubles musculosquelettiques, de loin la maladie professionnelle la plus reconnue par la Sécurité sociale, sont causés conjointement par des facteurs physiques (hypersollicitation des articulations) et psychosociaux (intensité, manque d’autonomie, de soutien social, de reconnaissance…).
Sans parler des pathologies psychiques – burn-out, dépressions –, qui ne sont quasiment jamais reconnues comme maladies professionnelles. Et là, c’est le silence total. Augmenter l’emploi des seniors, en particulier des moins qualifiés, c’est une nécessité vitale : non pas en réformant les retraites, mais en imposant une véritable politique du travail vivant, fondée sur un accroissement décisif du pouvoir des salariés d’agir sur leur travail.
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