Réforme des retraites : le bras de fer commence
Le gouvernement a présenté ce 10 janvier son projet de réforme des retraites en conférence de presse, qui prévoit d’augmenter l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Une première journée de mobilisation est prévue le 19 janvier.
« 64 ou 65 ans ? » Après plusieurs semaines de semi-annonces, de pseudo concertations et d’atermoiements, la Première ministre, accompagnée de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, d’Olivier Dussopt, ministre du Travail, et Stanislas Guérini, ministre de la Fonction publique, a présenté son projet de réforme des retraites.
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Retraites : la bataille qui peut sauver la gauche Retraites : les Français·es prêts·es pour la bataille ! « Rien n’oblige à changer l’âge de la retraite » Retraites : pénible, vous avez dit pénible ?Et le secret de Polichinelle n’est plus : le gouvernement prévoit un report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. « C’est pour préserver notre système des retraites que nous devons le faire évoluer […], nous l’avions annoncé, ce n’est donc une surprise pour personne » a souligné la Première ministre, Élisabeth Borne, ce mardi 10 janvier devant la presse.
En plus de ce relèvement de l’âge légal de départ, la réforme Touraine sera largement accélérée. Ainsi, la montée progressive à 43 annuités pour bénéficier d’une retraite à taux plein s’achèvera en 2027 (contre 2035 jusqu’à présent).
Deux ans de plus pour tout le monde… ou presque
Lors de la conférence de presse, la Première Ministre a beaucoup appuyé sur la « concertation » qui a eu lieu durant l’automne avec les partenaires sociaux pour expliquer cette décision de fixer l’âge de départ à 64 ans et non 65. « Ce dialogue a été nourri, utile », a-t-elle ainsi insisté, avant de présenter les autres mesures de cette réforme.
Car si le report de l’âge légal était annoncé depuis de longues semaines, de nombreuses zones d’ombres résidaient encore sur le projet de réforme, notamment autour des carrières longues et de la pénibilité. Élisabeth Borne les a levées, sans rassurer un poil les organisations syndicales.
Tout le monde se prend deux ans, tout le monde est concerné, c’est ça le scandale.
Ainsi les personnes qui remplissent les conditions actuelles du dispositif « carrière longue » continueront de pouvoir partir plus tôt à la retraite… mais en travaillant aussi deux ans de plus. « Tout le monde se prend deux ans, tout le monde est concerné, c’est ça le scandale » peste, peu après les annonces, Michel Beaugas, secrétaire confédéral de Force Ouvrière.
De la même manière, les principaux régimes spéciaux (RATP, industries électriques et gazières…) seront supprimés pour les nouveaux entrants.
Pénibilité, le compte n’y est pas…
Sur la pénibilité non plus, le gouvernement n’a pas rassuré les oppositions. Comme nous vous l’expliquions dans Politis, plusieurs facteurs de risques (postures pénibles, vibrations mécaniques, port de charges lourdes) avaient été supprimés des critères de pénibilité pris en compte dans le compte personnel de prévention (C2P) à l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron.
Dans le projet actuel du gouvernement, ces critères ne seront pas particulièrement mieux pris en compte. Un fond d’investissement d’un milliard d’euros sur le quinquennat sera débloqué pour faire de la prévention sur le sujet, mais aucune modalité de départ anticipé n’est prévue pour les salariés exposés à ces risques. Pour rappel, selon la DARES, l’institut statistique du ministère du Travail, 34 % des salariés sont exposés à des contraintes physiques au travail, 22 points de plus qu’il y a 50 ans…
Parmi ces nombreuses mesures vivement critiquées à gauche, quelques petits rayons de soleil peinent à éclaircir le tableau global. Le minimum de pension augmentera de 100 euros par mois. Et dans le dispositif carrière longue, les trimestres validés en raison de congé parental (très souvent féminin) pourront être pris en compte.
Des économies sur le dos des cotisants
Malgré cela, le sentiment qui habite tous les représentants syndicaux à la sortie de la conférence de presse est celui de la colère. Pour eux, cette réforme affectera, notamment, les salariés les plus modestes.
« La réforme consistant à repousser l’âge légal à 64 ou 65 ans n’aura par définition aucun impact » sur les plus diplômés, explique l’économiste Thomas Piketty dans une chronique publiée par Le Monde. Il souligne ainsi que les économies réalisées par cette réforme, évaluées à plusieurs milliards d’euros par an, « seront prélevées intégralement sur le reste de la population, notamment sur les ouvriers et employés ».
Interrogée sur ce point, la Première ministre a répondu : « Il faut arrêter de caricaturer, nous proposons un système qui tient compte de chaque âge. C’est un projet qui répartit le plus équitablement possible la contribution demandée à chacun. »
Elle a toutefois réaffirmé que cette réforme n’augmentera pas « le coût du travail pour les employeurs ». Manière détournée d’assumer que les économies réalisées se feront uniquement sur le dos des cotisants.
Le seul totem qu’ils ont, au gouvernement, c’est la profitabilité des entreprises, ça, ils n’y touchent jamais.
« Le seul totem qu’ils ont, au gouvernement, c’est la profitabilité des entreprises, ça, ils n’y touchent jamais », souligne Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT qui rappelle que les seules entreprises du CAC 40 ont versé plus de 80 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires en 2022, un chiffre record.
19 janvier, première journée de mobilisation
Réunies à la bourse du Travail à Paris dans la foulée de la conférence de presse gouvernementale, les huit organisations syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, Solidaires et FSU) ont annoncé une première grande journée de grèves et de manifestations le jeudi 19 janvier. Elles « appellent les salarié.es à se mobiliser fortement » contre une réforme jugée « brutale » et « injustifiée ».
Cette large intersyndicale, qui inclut la CFDT, est inédite depuis 12 ans. C’est d’ailleurs ce que souligne les différents représentants syndicaux interrogés, balayant les nombreuses références du gouvernement sur la concertation les incluant.
« Si on avait été entendus, on ne serait pas tous là, unis et vent debout contre cette réforme », confie Philippe Martinez. « La seule vraie concertation qu’il y a eu, c’est entre nous, pour fixer la date de cette première journée de mobilisation » raille le secrétaire confédéral de Force Ouvrière.
Tous espèrent que cette première mobilisation marquera le début d’un mouvement social dur et d’ampleur. Dès ce mardi, une nouvelle intersyndicale a été fixée au soir du 19 janvier pour prévoir la suite du mouvement.
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