Union des droites et de l’extrême droite : la jeunesse à l’œuvre
Ils n’ont même pas 30 ans pour certains, rêvent des plus hauts postes et veulent créer, à l’instar de plusieurs de leurs aînés, une alliance de LR au RN.
dans l’hebdo N° 1742 Acheter ce numéro
C’est un rêve qui naît rue des Canettes, dans le très aisé sixième arrondissement de Paris. Dans les années 2010, la jeunesse de toutes les droites, y compris la plus extrême, se fréquente. Jordan Bardella, président du Rassemblement national (RN) depuis 2022, et Sarah Knafo, bras droit d’Éric Zemmour, sont de ce petit milieu, tout comme Pierre Gentillet ou Alexandre Loubet. Deux noms moins connus.
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Portraits d’un PAF obscène Ce que n’est pas Marine Le Pen Déconstruire le mythe Le Pen « La dédiabolisation s’appuie sur des changements cosmétiques »À l’époque, Gentillet n’est pas cet avocat qui intervient régulièrement sur CNews. C’est un jeune militant de la Droite populaire, le courant du député UMP Thierry Mariani (maintenant rallié à Marine Le Pen) et du syndicat étudiant UNI. Il fera partie un peu plus tard des fondateurs de la Cocarde étudiante, un autre syndicat étudiant qui s’affranchit « de ces codes anciens, de ces “cordons sanitaires” puérils et insensés », selon une publication sur leur site. En réalité, il s’agit d’une organisation ouvertement d’extrême droite.
À ce moment-là, Loubet est patron des jeunes de Debout la République, le parti de Nicolas Dupont-Aignan. Il est présent lors de la première conférence de presse de la Cocarde. Après avoir dirigé la communication de Marine Le Pen, il devient député RN et secrétaire général de L’Avenir français, un petit parti composé d’anciens soutiens de Dupont-Aignan, aujourd’hui ralliés à Le Pen.
Une galaxie qui rêve d’alliances
L’union des droites extrêmes et des extrêmes droites, ils ne la théorisent pas tous. Mais ils la réalisent. Pour la génération d’après, celle du patron des Jeunes Républicains, Guilhem Carayon, ou du leader de Génération Z, Stanislas Rigault, la rue des Canettes n’est plus le lieu de rendez-vous. On se retrouve plutôt à l’Atelier Suffren dans le quinzième arrondissement, un bar connu dans le milieu de la droite dure et des groupuscules violents. À l’heure actuelle, ces zones de rencontre de toutes les droites sont moins influentes. Pas besoin : une galaxie se constitue et rêve de créer cette alliance confondant toutes les versions de la droite.
Pour réaliser cette union, il y a d’abord l’UNI. « Un espace en train de se radicaliser aujourd’hui, explique Émilien Houard-Vial, doctorant au Centre d’études européennes de Sciences Po et spécialiste de la droite. Dans cette organisation peuvent se côtoyer des Jeunes LR avec des membres de Reconquête !, ou des entités encore plus à droite. »
Il existe une sorte de « double affiliation » entre les Jeunes LR et cette organisation, selon le chercheur. Guilhem Carayon en est la preuve. Ex-responsable de l’UNI à la Sorbonne, ancien porte-parole des Jeunes avec Julien Aubert, figure à la droite de la droite. Il n’hésite pas à qualifier le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, de « racialiste » et à expliquer que le lien est « évident » entre immigration et délinquance dans une tribune publiée dans Valeurs actuelles.
Samuel Lafont vient de la même boutique. Autrefois chargé de la presse et de la communication de Christine Boutin lorsqu’elle était ministre de la Famille, il est aujourd’hui chargé de la stratégie numérique et des levées de fonds pour Reconquête !.
Membre du Printemps français, mouvance radicale de La Manif pour tous, responsable des réseaux sociaux dans l’équipe de campagne de François Fillon en 2017, collaborateur de la sénatrice LR Joëlle Garriaud-Maylam, il représente cette porosité entre toutes les nuances de droite et ferraille désormais dans le même camp que Stanislas Rigault, président de Génération Z, qui répète inlassablement le même refrain dès qu’il en a l’occasion. Il voit dans la victoire de Giorgia Meloni en Italie le triomphe de « l’union des droites et des patriotes ». Et ils rêvent de voir la même chose s’imposer en France, autour de Zemmour.
Aujourd’hui, à la tête de l’UNI Assas, on retrouve une certaine Klervie Thibault. Versaillaise, elle est candidate aux municipales de 2020 sur une liste intitulée « En avant Versailles », qui souhaite incarner le « rassemblement de la droite républicaine et écologiste ». Klervie Thibault entretient des liens discrets mais tenaces avec l’UNI et des groupuscules beaucoup plus radicaux.
Cette génération est convaincue qu’une alliance Ciotti-Zemmour-Le Pen va se créer et que leur heure viendra.
Elle fréquente aussi bien les membres des héritiers du Bastion social, aujourd’hui renommés Auctorum à Versailles et Luminis à Paris, que la Cocarde, les jeunes LR, le RNJ… Et parfois même l’Action française, à l’occasion d’hommages aux divers rois de France, et en particulier à Louis XVI.
Le ciment du patriotisme
Officiellement, au sein des Jeunes LR, on exclut cette notion d’union des droites, même si les discours s’en rapprochent sur les questions de la sécurité et de l’immigration. À l’image de Théo Michel, numéro trois de la formation, qui n’a pas hésité à pointer « l’impunité des délinquants et cette insécurité rendant certains territoires des zones de non-droit, des zones même de non-France » lors de la rentrée de son organisation, le 3 septembre 2022 à Angers.
Peu de ces jeunes issus de la droite traditionnelle franchissent les frontières menant aux milieux plus extrêmes. Mais Yohan Engel en fait partie. Jeune collaborateur ayant travaillé auprès de Rachida Dati et de Damien Abad avant de chapeauter les réseaux sociaux du groupe LR à l’Assemblée, il vient d’être recruté par le RN pour diriger la communication du parti. Un chemin similaire à Albane Duteurtre, secrétaire générale adjointe du groupe RN à l’Assemblée, après avoir été collaboratrice pour différents députés LR.
Avec l’accession de Jordan Bardella à la tête du RN, une génération monte au cœur du parti et beaucoup sont des convertis de l’union. Pierre-Romain Thionnet, le tout nouveau patron du RNJ, l’organe de jeunesse du RN, est un ancien secrétaire général de la Cocarde, qui multiplie les appels du pied à toute la jeunesse de droite : « Bon courage à Ciotti pour faire avaler aux jeunes LR le soutien à la réforme des retraites de Macron […]. Ces jeunes militants ont leur place à nos côtés », écrit-il sur Twitter.
Les anciens de ce syndicat hantent aujourd’hui la boutique RN : Luc Lahalle, assistant d’une eurodéputée, a été à la tête de la Cocarde, Vianney Vonderscher est l’actuel patron de la Cocarde et travaille auprès d’un eurodéputé, et David Delorme-Monsarrat, responsable de la section Sorbonne, est attaché aux affaires culturelles et de l’éducation auprès du groupe RN à l’Assemblée.
Les deux premiers ont des liens étroits avec des groupuscules radicaux et violents : Luc Lahalle s’est montré sur Instagram aux côtés d’Aloys Vojinovic, l’une des têtes pensantes du groupuscule néonazi récemment dissous des Zouaves Paris. Et Vianney Vonderscher prend de son temps libre pour faire le « service d’ordre » du Collectif Némésis, ce qui l’a amené à jouer des poings face à des féministes comme le collectif Nous Toutes en 2021. David Delorme-Monsarrat est plus discret dans la rue, mais en appelle aux « électeurs patriotes » quand il tente de se faire élire comme député RN en 2022.
Autre profil : Gabriel Melaïmi. Chargé des jeunes de la Droite populaire, artisan de la Cocarde, il est candidat LR pour les européennes de 2019, avant d’être porte-parole d’Oser la France, la formation souverainiste de l’ex-député LR Julien Aubert, qui compte dans sa direction le sénateur pro-Zemmour Sébastien Meurant. Interrogé sur ce cas, le service de presse du parti explique que, avant « d’être une ouverture, c’est une volonté de ne pas se borner » dans un mouvement qui « cherche des personnalités qui se retrouvent sur l’essentiel ».
Il y a enfin les écoles de pensée, comme l’Institut des sciences sociales, économiques et politiques (Issep), fondé par Marion Maréchal, ou l’Institut de Formation Politique (IFP), qui invitent des personnalités de toutes les droites et que nombre des figures citées dans cet article fréquentent.
Les ponts sont nombreux « parce qu’il y a de l’argent. Tous ces petits groupes n’ont pas de mal à se faire financer, affirme Erwan Lecœur, sociologue de l’extrême droite au laboratoire Pacte, adossé à l’université de Grenoble. Et c’est aussi conjoncturel. Cette génération est convaincue qu’après la fin du macronisme, une alliance Ciotti-Zemmour-Le Pen va se créer et que leur heure viendra. Dans leur tête trotte déjà l’idée d’un grand parti patriote. »