Cherchez la femme… racisée
Pour la sociologue et anthropologue Nacira Guénif, soin et attention doivent être mis en oeuvre à l’égard des moins protégées dans leur emploi et les plus exposées aux inégalités : les femmes racisées.
dans l’hebdo N° 1743 Acheter ce numéro
Alors que le gouvernement tremble en soupesant les conséquences de l’entrée de la jeunesse, lycéen·nes, étudiant·es, jeunes travailleur·ses précaires, dans le mouvement de contestation de la réforme des retraites, on se prend à rêver à un monde où l’aggravation des inégalités de réforme en réforme, dissimulant leur nature néolibérale, voire illibérale, serait enfin remisée.
Pour y parvenir, l’exacte mesure de tous les paramètres contribuant aux disparités de genre reste à établir. Une profusion d’articles a offert un tableau de plus en plus précis de ce qui attend les femmes lorsqu’elles approchent de l’âge de la retraite : le creusement d’inégalités au fil d’aléas et de choix de vie dont elles paient le prix différé jusqu’à une retraite souvent retardée.
Un paramètre n’a cependant pas été factorisé, celui de la discrimination raciale. Certes, l’adage, quelque peu sexiste, « cherchez la femme ! » incite à mettre en lumière leur pénalisation, et ce dès la naissance, lorsqu’elles sont précisément en train devenir femmes.
Mais le fait que certaines sont assignées à une altérité radicale en raison de leur couleur de peau et/ou de leur origine, culture, religion, certains facteurs se combinant et s’aggravant, reste dans l’ombre. Et ce malgré les aléas et les non-choix qu’affrontent les femmes noires, arabes, musulmanes, asiatiques, sans parler des femmes roms, dont l’accès à la retraite n’est même pas un sujet, tant les préjugés les concernant ont la vie dure.
Les situations qui pèsent sur les femmes pénalisent plus encore celles dont les occupations rémunérées ressemblent de façon troublante à celles qu’elles assurent déjà sans rémunération.
Les situations qui pèsent sur les femmes – pénibilité, travail au noir, interruption de l’activité professionnelle pour grossesse, éducation, travail ménager, déménagement, maladie, épuisement, mais aussi carrières réduites à l’état de mirage inaccessible pour beaucoup d’entre elles – pénalisent plus encore celles dont les occupations rémunérées ressemblent de façon troublante à celles qu’elles assurent déjà sans rémunération.
Le travail du care se fait à leurs dépens, sur leur dos, littéralement, comme l’a montré, par exemple, la lutte finalement victorieuse de femmes de chambre, dans leur écrasante majorité discriminées racialement. Les hôtels où elles travaillent sont la propriété de grands groupes cotés en Bourse qui distribuent de confortables dividendes à leurs actionnaires tout en serrant les coûts et les salaires de ces petites mains… noires.
Si l’on se réjouit de leur victoire en réservant des ovations bien méritées notamment à Rachel Keke, lorsqu’elle est devenue le visage et la voix puissante de ces luttes, puis lors de son élection au Parlement, il ne faudrait pas que ses semblables, celles qui savent déjà que leur retraite ne sera pas reposante, si tant est qu’elles y parviennent, soient oubliées et abandonnées à leur sort.
Le care a deux significations : soin et attention. Mettons-les en œuvre à l’égard des moins protégées dans leur emploi et les plus exposées aux inégalités : les femmes racisées. Érigeons-les en repère tangible pour établir les critères d’un régime de retraite juste.
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