La mobilisation du 31 janvier, « un uppercut dans la tête du gouvernement »
Entre 1,27 et 2,8 millions de personnes ont manifesté ce mardi pour protester contre le projet de réforme de retraites du gouvernement. Prochaines dates de mobilisations interprofessionnelles : les mardi 7 et samedi 11 février.
« 6 000 à Saint-Omer, 4 600 à Auch, 9 000 à Saint-Quentin. Même sur la petite île de Groix, il y a eu 300 personnes ! » Au soir de la seconde journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites, les différentes organisations syndicales se réjouissaient de son succès écrasant.
Douze jours après celle du 19 janvier qui avait déjà largement mobilisé, entre 1,27 (selon le ministère de l’Intérieur) et 2,8 (selon les syndicats) millions de personnes ont manifesté partout en France, un record depuis 1995 pour une mobilisation contre une réforme sociale.
« Et ça augmente partout », souligne Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT, « entre 15 et 30 % dans presque toutes les villes ». « Ce 31 janvier a confirmé la très forte détermination à refuser le projet de réforme des retraites présenté par le gouvernement » affirme le communiqué de l’intersyndicale publié dans la soirée, à l’issue d’une réunion qui a rassemblé des représentants de chaque organisation.
« Les députés feraient bien d’entendre cette colère avant de voter n’importe quoi »
À l’issue de celle-ci, tous mettent d’ailleurs l’accent sur cette très forte mobilisation en région – que Politis vous raconte dans ce reportage à Laon. « Ça montre que les gens ont envie de se mobiliser chez eux, sans forcément aller dans les grandes villes », analyse Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT.
Surtout, alors que le projet de loi a commencé à être examiné en commission au Parlement, les syndicalistes souhaitent que ces fortes participations mettent la pression sur les députés. « Ils sont élus localement. Ils doivent aussi rendre des comptes aux électeurs locaux » poursuit Marylise Léon. « Les députés ont vu les chiffres dans leur circonscription. Ils feraient bien d’entendre cette colère avant de voter n’importe quoi » abonde Catherine Perret.
Car c’est ce qui ressort de cette seconde journée de mobilisation : le gouvernement a bel et bien perdu la bataille de l’opinion. « Personne ne s’est laissé tromper par la propagande du gouvernement », assène ainsi le communiqué. Dans le cortège parisien, on n’hésite pas, par exemple, à railler la petite phrase de Franck Riester, ministre chargé des relations avec le Parlement, qui a reconnu que « les femmes seront pénalisées par le report de l’âge légal ».
Il suffit de les laisser parler, à chaque fois qu’ils prennent la parole, ils s’enfoncent un peu plus.
« Regardez, c’est eux-mêmes qui le disent » lit-on sur une pancarte dans le cortège. « Il suffit de les laisser parler, à chaque fois qu’ils prennent la parole, ils s’enfoncent un peu plus » rit Simon Duteil, co-secrétaire national de Solidaires, « cette journée est clairement un uppercut dans la tête du gouvernement ».
Rendez-vous les 7 et le 11 février
Afin de poursuivre sur cette lancée, l’intersyndicale appelle à deux nouvelles journées de mobilisations interprofessionnelles, mardi 7 et samedi 11 février. Deux dates rapprochées, dont une un samedi, que Catherine Perret explique : « On veut être accordé avec le monde du travail. On a conscience que faire grève, perdre une journée de salaire, c’est parfois compliqué, surtout en ce moment. Cette journée du samedi permettra à des gens, bien souvent des invisibles, de se rassembler en dehors du temps de travail pour s’opposer à cette réforme. Les invisibles doivent pouvoir compter dans ce mouvement. »
Au risque d’avoir des chiffres en baisse le mardi ? « On verra, mais il faudra tirer les enseignements le samedi au soir, pas avant » souffle Marylise Léon qui rappelle l’importance de « faire masse ».
Une grève générale et reconductible, elle, ne semble pas être encore à l’ordre du jour de l’intersyndicale. « On aura sans doute une réflexion là-dessus d’ici la mi-février » assure Simon Duteil. « Après, il peut y avoir des secteurs qui décident de partir en grève reconductible. Ce serait un appui supplémentaire », poursuit-il, évoquant différents préavis de grève, notamment chez les cheminots.
Un avis pas forcément partagé à la CFDT où l’on craint de voir basculer l’opinion publique en cas de blocage important, notamment en période de vacances. « C’est normal qu’on ne soit pas d’accord sur tout, sinon on ne serait qu’une seule et même organisation. Cette intersyndicale a été réfléchie depuis des mois. Elle est forte, soudée et chacun assume ses différences » assure Murielle Guilbert, co-secrétaire national de Solidaires.
Pour l’instant la mobilisation est très bon enfant. Mais si on ne nous entend pas, ça risque de se durcir.
Des mots partagés par l’ensemble des représentants syndicaux sur place. Fort de ces deux succès consécutifs, ils sentent que c’est aussi leur union qui rassemble et inquiète le gouvernement. « On se parle très régulièrement, et franchement. L’ambiance est vraiment bonne » affirme Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’UNSA.
Silence gouvernemental
Ce mardi soir, c’est surtout le silence du gouvernement qui interroge. Aucune des organisations syndicales n’a été contacté pour d’éventuelles négociations. « Y’a plus de son, plus d’image » commente, un peu ahuri, Dominique Corona. « Pour l’instant la mobilisation est très bon enfant. Mais si on ne nous entend pas, ça risque de se durcir. » Même son de cloche côté cégétiste : « On en a encore beaucoup sous la pédale. Si le gouvernement passe en force, il sera responsable de l’embrasement du pays. »
En début de soirée, au moment de l’annonce des futures dates de mobilisations, la Première ministre, Élisabeth Borne, s’est fendue d’un tweet. « La réforme des retraites suscite des interrogations et des doutes. Nous les entendons » a-t-elle notamment écrit, poursuivant : « Le débat parlementaire s’ouvre. Il permettra, dans la transparence, d’enrichir notre projet avec un cap : assurer l’avenir de notre système par répartition. C’est notre responsabilité ! »
Un tweet sans concession, mais en forme de première perche vers des discussions de la part de la Première ministre qui craint, sans doute, la même défiance dans l’hémicycle que dans la rue.
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