Le terrorisme, un costume trop large pour les gilets jaunes des « Barjols » ?
La justice antiterroriste doit rendre son jugement ce vendredi 17 février dans l’affaire dite des « Barjols » – treize personnes poursuivies pour association de malfaiteurs terroriste en lien avec l’extrême droite. Politis revient sur ce dossier aux contours flous.
Mise à jour le 17 février 2023
Les verdicts sont tombés ce 17 février 2023 dans le procès dit des « Barjols ». Quatre condamnations ont été prononcées pour le projet d’attaque contre le président en 2018, mais sans aucune réincarcération. Les peines vont de six mois avec sursis à 4 ans ferme, dont un avec sursis, pour Jean Pierre B. Neuf autres prévenus sont relaxés. Le tribunal a estimé impossible d’établir un lien de causalité entre des actes préparatoires et un projet d’action violente.
Première publication le 15 février
« Quelle ne fut pas leur déception quand les policiers de la DGSI ont débarqué pensant arrêter de dangereux terroristes et sont tombés sur un édenté, un cancéreux et un handicapé ! » La charge de maître Jennifer Madar, avocate de Mickael I. (1) est violente, mais le trait à peine caricatural.
« L’édenté », c’est son client. « Excusez-moi, je vous respecte », tient-elle à préciser aux prévenus alignés derrière elle, dans la salle de la 16e chambre correctionnelle terroriste de Paris à l’occasion du procès dit des « Barjols », du 17 janvier au 3 février, dont le verdict sera rendu ce 17 février. Mais l’avocate tient à marquer le contraste entre le profil des accusés et les charges portées contre eux.
Mickael I.
43 ans, intérimaire au chômage. N’a pas le permis de conduire. Vivait de la CAF – 827 euros par mois – avec sa femme et son enfant, aujourd’hui hébergé par un ancien codétenu.
Arrivés des quatre coins du pays, la confrontation entre ce groupe de gilets jaunes au vocable brut et ce monde judiciaire au verbe pompeux, illustre le malaise de tout un dossier. Deux France qui ne se connaissent pas et ne se parlent jamais.
Au départ, un groupe Facebook
L’affaire des Barjols, du nom de ce groupe Facebook où se sont rencontrées les personnes aujourd’hui accusées, a fait grand bruit. Dès les premières arrestations, le 6 novembre 2018 dans un petit village de l’est, il est question d’un « commando » d’extrême droite menaçant la vie d’Emmanuel Macron, à l’occasion de sa visite à Verdun pour le centenaire de la Première guerre mondiale.
Jean Pierre B. (2), Antoine D. (3), étaient arrivés la veille d’Isère pour retrouver Mickael I. et David G. (4). Ils sont tous interpellés au petit matin, accusés d’avoir fomenté une attaque contre le chef de l’état au moyen d’un couteau en céramique réputé « indétectable par les portiques de sécurité. »
Problème : aucun couteau en céramique n’est retrouvé. Mais plusieurs armes sont saisies : un couteau classique dans la voiture de Jean Pierre B., mais aussi des armes à feu à plusieurs centaines de kilomètres de là. Si le « commando » semblait en réalité bien peu préparé, cette arrestation marque le début d’une une affaire sinueuse.
Jean-Pierre B.
66 ans, Isérois retraité. Marié, séparé, père de cinq enfants, dont une fille décédée et une gravement handicapée. Opéré d’un cancer des intestins en 2017 puis d’un cancer du pancréas en détention.
Antoine D.
27 ans. Isérois au chômage à l’époque, travaille aujourd’hui dans un McDonald. Atteint du « syndrome de Di George » créant un retard de développement mental.
David G.
Mosellan de 53 ans. Marié, un enfant. En arrêt maladie pour dépression. Gagne 700 euros par mois. Travailleur handicapé à 50%.
Car l’envie de s’en prendre au président est incontestable. « À ce moment-là, tout le monde parle de tuer Macron ! » dit Mickael I. aux policiers. Même François Ruffin, député de Picardie, s’était alarmé de cette tendance, en décembre 2018 : «« Il va terminer comme Kennedy », « si je le croise, tant pis je monterai en prison », « vous voyez la croix sur le terre-plein, il va finir pareil »… Ces mots sont ceux d’intérimaires, de retraités paisibles, d’habitants ordinaires », avait-il prévenu, appelant le président à cesser de « déchirer la République ».
Propos méprisants et exaspération
Aux prémices du mouvement des gilets jaunes, alors que le prix de l’essence grimpe et que la réforme des 80 kilomètres heure va « nous obliger à nous lever bien plus tôt pour aller travailler », peste Sébastien A. (5) à la barre, Emmanuel Macron attise les braises.
Sébastien A.
Mosellan de 48 ans. Sorti de l’école en cinquième. Père de six enfants qu’il ne voit quasiment pas, dont une qu’il n’a pas reconnue. Condamné plusieurs fois pour vol aggravé, il a enchainé les petits boulots et vient de signer son premier CDI.
Tous les prévenus évoquent leur exaspération face aux propos méprisants du président, du « qu’ils viennent me chercher » prononcés fin juillet 2018 après l’affaire Benalla, à il suffit de « traverser la rue » pour trouver un emploi, le 15 septembre 2018.
Montrer que, nous, les ouvriers, on ne peut pas nous parler comme ça, on ne va pas se laisser faire.
Des paroles qui heurtent David G., fils d’immigré italien, enfant d’un père ouvrier et d’une mère femme de ménage. Victime d’un accident du travail en 2014, aujourd’hui handicapé à 50% qui passe ses journées chez lui et qui compte « chaque centime », explique-t-il au juge. Gilet jaune de la première heure, David s’inscrit aux Barjols dès 2016 et devient le référent pour la Moselle.
Son objectif : « Montrer que, nous, les ouvriers, on ne peut pas nous parler comme ça, on ne va pas se laisser faire », clame-t-il à la barre avec un fort accent de l’est. Alors on transmet sa colère, on relaie, on appelle à la mobilisation. Une colère populaire qui déclenche l’un des plus grands mouvements de contestation du pays qui fera vaciller le président.
Les huit autres personnes concernées par l’affaire des Barjols sont arrêtées par vagues successives, un à deux ans plus tard, accusées de velléités d’actions violentes visant les riches, les élus, les musulmans ou encore les migrants.
Or pendant les trois semaines qu’a duré leur procès – du 17 janvier au 3 février – les contours de la menace terroriste que ces treize prévenus étaient censé faire peser sur la France restent flous. D’autant que tous comparaissaient libres, sauf Mickael I., resté en détention car SDF et libéré pendant les débats grâce à un ancien codétenu qui a accepté de l’héberger.
Les Barjols sont-ils de dangereux terroristes ? Sorte de version française de l’alt-right américaine en route pour le Capitole, ils sont un ensemble de gens disparates issus des classes populaires, salement écorchés par la vie et la misère sociale, dopés au complotisme, à la haine du système et de ceux qui le représentent.
De façon concrète, les Barjols n’ont pas fondamentalement d’objectif terroriste. C’est un groupe de discussion Facebook, contestataire et identitaire où se déverse, sans filtre, la colère populaire souvent teintée d’un racisme crasse. Un groupe qui existe encore et continue de porter le slogan « L’action est la solution ». Denis C. (6) et Nathalie C. (7), poursuivis aujourd’hui, en sont toujours officiellement administrateurs. Au moment fort des gilets jaunes, ce groupe comptabilisait quelque 5 000 abonnés. Il en compte 1 500 aujourd’hui.
Denis C. 63 ans. Métallo au chômage. Fondateur des Barjols. Travailleur handicapé. Sa compagne s’est suicidée en 2017, pour des problèmes familiaux et professionnels.
Nathalie C. 55 ans, employée de maison, originaire de Moselle. Divorcée, mère de trois enfants. Troisième d’une fratrie de douze enfants.
« Notre but, c’était l’insurrection, mais les gens ne pensaient qu’à faire la bamboula », peste à la barre, Jean Pierre B. présenté comme un « militant d’extrême droite radicale », l’un des meneurs du groupe. Car l’histoire des Barjols c’est aussi – et peut-être surtout ? – celle de rencontres. De week-ends collectifs dans des zones abandonnées et qu’on aimerait sérieusement « survivalistes » pour se préparer à la guerre civile annoncée, avec des ateliers « armements », des entraînements air soft (réplique d’arme à feu à air comprimé projetant des billes en plastique, NDLR), des stands de tirs ou des activités premier secours mais qui finissent en barbecue – beuverie.
On y fait des discours aussi enflammés qu’on est éméché. On parle de bloquer la France, de détrousser les riches. De s’en prendre au bureau des impôts et à des raffineries. Puis pour concrétiser une forme d’action, on va cramer deux ou trois radars.
On profère des menaces contre le président des riches. On gonfle le torse. On s’invente des passés militaires, des réseaux d’achats d’armes, des contacts de mercenaires russes prêts à faire un coup d’État, des expériences loufoques chez les « templiers ». Des contacts avec des proches de Vladimir Poutine.
« C’était ma seconde famille »
On joue aux importants soldats au RSA, bibines à la main. Imaginant des planques dans des bunkers en décrépitude qui servent de promenade du dimanche aux familles du coin. On organise d’ailleurs une visite en famille – interprétée par la DGSI comme une tentative de trouver des plans de repli. Certains, finissent, face caméra, par brûler un drapeau européen et poser encagoulés « comme les Corses ! » clame Nathalie à la barre. « On voulait se déguiser comme eux, parce que les Corses, ils ne se laissent pas faire » dit-elle avant de lâcher : « Les Barjols, c’était ma seconde famille ».
Ensemble, ce petit groupe pense reprendre sa vie en main et assurer sa sécurité en vue de la guerre civile annoncée par les politiques, incapables de prendre la mesure de l’impact de leurs paroles sur la population. Car si nous sommes en guerre, ne faut-il pas se défendre, s’organiser, s’armer, se préparer à survivre ?
Et le glissement s’amorce alors. « Je suis sûre qu’elle va arriver la guerre civile », promet encore Nathalie C. à la barre. Petite femme dynamique qu’on sent dangereusement assurée : « On n’a plus le droit de boire un café en terrasse sans se faire dégommer ». L’ennemi est désigné : « Pour moi, les attentats c’est les migrants », clame celle qui se vente de lire Valeurs Actuelles et d’avoir sa carte chez Génération identitaire parce qu’au moins, « ils donnent des cours de défense gratuits ».
Delphine T. 53 ans, mère de trois enfants. Ancienne secrétaire dans l’armée et ancienne proche du Front national et de groupes d’extrême droite comme celui du général Piquemal ou du parti Volontaires pour la France.
Jonathan D. 39 ans. Au chômage. Séparé. Deux enfants. Adepte du survivalisme. Référent bourgogne franche comté pour les Barjols Président d’une association d’air soft. A vendu des armes à Jerôme T. et Xavier G.
Dans le torrent de colère sociale des gilets jaunes s’est ici greffé un racisme violent alimenté par un sentiment d’injustice et une croyance bien viciée : le système favoriserait les « autres », au détriment du petit peuple français.
Le discours du bouc émissaire charrié par l’extrême droite germe si bien dans l’esprit des plus précaires qu’il permet la normalisation de tous les extrêmes. De ceux comme Jérôme T. (8), qui se prennent en photo sapés comme des SS et affiche leur fascination pour Hitler. Tout est possible quand les vannes sont ouvertes.
Jérôme T.
44 ans. Technicien de maintenance. Ancien héroïnomane sous Subutex. Condamné pour participation à un attroupement le 17 novembre 2018. Il détient illégalement plusieurs armes ainsi que de vieilles armes de la Seconde guerre.
Xavier G.
40 ans. Habitant de Haute-Saône, employé de mairie et père de deux enfants. Accusé d’avoir fourni deux pages de recettes d’explosifs et participé à plusieurs réunions. Différents fusils sont trouvés chez lui.
Nathalie imagine même envoyer sa fille « plutôt jolie » dans une mosquée pendant une prière : « Comme ça, ils l’auraient tous suivie, on les aurait attendus » et « brûlés dans un champs », narre-t-elle devant le tribunal décontenancé… Fantasme loufoque ou projet réel ? Droite dans ses bottines, elle semble survoler les évènements.
D’ailleurs, elle a un train à 18 h 20 et insiste pour partir avant la fin de son audition ce jour-là. « Madame, vous réalisez que vous risquez dix ans de prison ? » lui lance, ahuri, le président du tribunal. Non, Nathalie n’a visiblement pas pris la mesure de ce qui se joue. « On a juste brûlé un drapeau ! », clame-t-elle avant de lâcher avec une aisance déroutante : « Denis C. voulait s’en prendre à un député, il devait se renseigner sur les horaires. Puis il l’aurait suivi aux toilettes et boum ».
Madame, vous réalisez que vous risquez dix ans de prison ?
Des projets d’une violence inouïe qui paraissent, par ailleurs, tellement hors de leur portée. Mais peut-être est-ce par pur mépris social qu’on a tendance à les sous-estimer ? Pour autant, aucune cible précise, aucun préparatif réel, aucun plan ne se dégagent des éléments du dossier.
En revanche, des recettes d’explosifs sont retrouvées dans les affaires de Denis et Nathalie. Des recettes militaires qui venaient notamment d’un carnet de Julien C. (9), ancien sergent de l’armée de terre. Denis expliquera qu’il avait « peur d’une invasion de l’islam » et que c’était pour se défendre.
Julien C.
41 ans, sans emploi. Ancien sergent de l’armée de terre, déserteur en août 2006. Il détient plusieurs armes dont un fusil semi-automatique et un fusil d’assaut. Adhérant à la LCR sous Besancenot.
Cette vision raciste se heurte paradoxalement au vécu intime de plusieurs d’entre eux. Jean Pierre B., qui fricote avec les suprémacistes blancs de Three Percenters France, a une femme et une fille gabonaises qu’il tente de faire venir en France. David, lui, s’est battu contre l’ordonnance de quitter le territoire français (OQTF) qui visait sa femme arménienne. « Je fête l’Aïd à la mosquée », prétend-il.
Sébastien, après avoir passé une partie de sa vie avec la communauté des gens du voyage, élève ses quatre beaux-enfants musulmans. Devant le juge d’instruction, il s’était même plaint qu’un policier de la DGSI s’était essuyé les chaussures souillées « sur le tapis de prière de ma gamine. C’est du manque de respect ! »
Pour autant cela ne l’empêche pas d’avoir des images à connotation néonazies dans son téléphone et de se demander à la barre « pourquoi les migrants viennent en France pour faire des violences, ça me met en colère », avant d’admettre qu’il n’arrive plus « à distinguer le vrai du faux », que « les réseaux sociaux c’est de la propagande de haine », qu’il a « l’impression d’avoir été violé psychologiquement ».
Geoffrey H.
33 ans, au chômage. Vit chez sa mère avec sa compagne, deux enfants. Plusieurs armes sont retrouvées chez lui. Son père était chasseur et en détenait légalement une partie.
Comment alors faire le tri dans tout ce fatras ? Comment distinguer ce qui tient d’un projet réel d’une accumulation de fantasmes aussi violents soient-ils ? Ce dossier judiciaire apparaît d’autant plus compliqué qu’il repose en grande partie sur les accusations mutuelles portées par les uns contre les autres à propos d’éventuels projets d’actions.
Des accusations écornées, mercredi 1er février, par une séance de visionnage d’extraits d’auditions de garde à vue, à l’initiative du président du tribunal. Inédits, ils mettent en exergue les nombreuses différences entre ce qui est dit par les prévenus et ce qui est retranscrit sur procès-verbal par les policiers.
La caméra est pointée sur Antoine D., la vingtaine, assis sur une chaise métallique. Derrière lui un mur blanc et gris. Antoine tremble. Il est atteint du syndrome de Di George – que les policiers appellent « Guy Georges » sur le procès-verbal – une maladie génétique qui entraîne un retard mental et une altération du discernement. L’expert psychiatre notera à son propos une grande « suggestibilité de l’intéressé » – c’est-à-dire qu’il se soumet facilement à toute suggestion. Un phénomène qui rend son témoignage fragile. Or les policiers semblent peu tenir compte de ces éléments.
Antoine : Il (Jean Pierre) voulait casser des centres d’impôts, des assurances…
Policier : Vous êtes sûr qu’il n’y avait pas d’autres projets ?
Antoine : Je réfléchis. Ça va peut-être me revenir. Il y en a d’autres ?
Policier : C’est déjà grave ce que vous avez dit mais ce sont des choses plus graves…
Antoine : Ils disaient que Macron était loin de la réalité et qu’il ne savait pas ce qu’on vivait. Ils cherchaient quel président pourrait prendre sa place. Il parlait de faire un gouvernement à leur manière, de la loi martiale… Il était énervé contre le président.
Policier : Qui voulait-il mettre à la place du président ?
Antoine : Des gens du côté En marche (sic).
Policier : Il voulait préparer quelque chose autour du président ?
Antoine : Il voudrait bien qu’on change de président.
Policier : Il voulait assassiner le président, affirme le policier, qu’avez-vous à dire ? (Retranscrit à l’écrit par : Nous vous informons que Jean Pierre B. avait pour projet d’assassiner Emmanuel MACRON à l’aide d’un couteau en céramique. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?)
Antoine : Il ne m’a pas du tout dit ça.
Policier : Ce n’est pas un projet anodin, êtes-vous sûr ?
Antoine : Je savais qu’il était énervé mais je ne pensais pas…
Policier : Deviez-vous participer ?
Antoine Non. Je ne serais pas venu.
Policier : Saviez-vous où était Emmanuel Macron les 5 et 6 novembre ?
Antoine Non…
Policier : À proximité de chez Mickael I.
Antoine : Non… Je vais me demander ce que je faisais là. Ça m’a soulagé après la soirée qu’ils (les policiers) soient venus.
Ce que la DGSI retranscrit sur procès-verbal par : « À partir de lundi, j’ai commencé à me demander ce que je faisais là. Ça m’a soulagé d’avoir été interpellé après la soirée. »
Policier : Était-il déterminé à agir ?
Antoine : Il pourrait faire des choses. (Ce que les policiers retranscrivent par : « Dans la soirée, il pouvait être prêt à bouger. »)
Antoine pleure très régulièrement au cours des échanges. Il dit qu’il ne pourra pas tenir en prison, qu’il est déprimé, qu’il se suicidera. A l’audition suivante, il est sommé de répondre sur l’existence de ce projet de tuer le président :
– Bah… maintenant, d’après ce que je sais oui… à la soirée… je ne sais pas. Oui, il parlait de faire des choses mais… Je l’ai appris à la soirée.
Retranscription sur procès-verbal :
Question : Jean Pierre B. voulait-il tuer le président de la république ?
Réponse : Oui Jean-Pierre voulait tuer le président de la République. Je l’ai appris lors de la soirée du lundi 5 novembre.
Jean Pierre B. de son coté, se voit confronté à cette phrase qu’il nie catégoriquement. « Arrêtez de mentir, lance le policier. Vous en avez parlé de tuer le président oui ou non ? » Jean-Pierre répond « oui » et ajoute : « Il n’y avait pas de projets mais on en a parlé ». « Donc c’est se concerter ! » affirme le policier. « Heuu… bah allons-y alors » fini-t-il par souffler.
Retranscription sur procès-verbal :
Question : Reconnaissez-vous vous être concerté avec de tierces personnes dans le but d’attenter à la vie du chef de l’Etat ?
Réponse : Oui.
Dans sa dernière audition, même méthode. A l’oral, on entend ceci :
Policier : Reconnaissez-vous l’association de malfaiteur terroriste ?
Jean-Pierre : Non, je n’ai jamais préparé un attentat, je les ai vus mais je n’ai fait aucun projet. On avait aucun projet.
Policier : Vous avez discuté de tuer le président…
Jean-Pierre : Oui mais on n’avait pas de programme. C’est la première fois qu’on se voyait.
Policier : Reconnaissez-vous les faits ?
Jean-Pierre : Non je ne voulais pas le tuer
Policier : C’est une préparation, on ne dit pas que vous allez tuer quelqu’un…
Jean-Pierre : … bon bah si vous voulez.
Retranscription :
Question : Reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés, à savoir l’association de malfaiteurs terroristes en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteintes aux personnes ?
Réponse : J’ai bien vu les autres mais il n’y avait aucun plan concret. Oui je reconnais les faits qui me sont reprochés.
« On n’est pas loin du faux en écriture publique » a scandé maître Olivia Ronen, avocate de Jean-Pierre.
Lors de ses réquisitions, la procureure de la république a admis des « passages discutables » qui, pour autant, « n’enlèvent pas les éléments circonstanciés des déclarations », dit-elle, anticipant une défense qui chercherait à « faire tomber toutes ces auditions ».
Elle reconnaît aussi que « l’action de kidnapping du président de la République ne semble pas à leur portée » mais selon elle, « un coup de couteau dans un bain de foule est un mode opératoire rudimentaire envisageable ».
Après avoir paradoxalement décrit une menace imminente et globale, elle a pourtant requis des peines particulièrement légères à leur encontre : l’immense majorité est assorties – soit totalement, soit en grande partie – de sursis sauf celle contre Jean Pierre B. : cinq ans de prison ferme, sans réincarcération. Pour la défense, c’est une énième démonstration, s’il en fallait, d’un dossier peu consistant, que le parquet n’a pas eu le courage de reconnaître comme tel.
Les verdicts sont tombés ce 17 février 2023 dans le procès dit des « Barjols ». Quatre condamnations ont été prononcées pour le projet d’attaque contre le président en 2018, mais sans aucune réincarcération. Les peines vont de six mois avec sursis à 4 ans ferme, dont un avec sursis, pour Jean Pierre B. Neuf autres prévenus sont relaxés. Le tribunal a estimé impossible d’établir un lien de causalité entre des actes préparatoires et un projet d’action violente.
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