« L’école n’est pas une entreprise ! »
Olivier Salerno est professeur d’atelier en lycée professionnel à Nice. Co-initiateur de l’appel « Préparons la riposte », il explique pourquoi ce projet de réforme menace de fragiliser une institution publique déjà abîmée.
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Comment qualifiez-vous la philosophie de cette nouvelle réforme du lycée professionnel ?
Olivier Salerno : C’est une attaque assez violente d’Emmanuel Macron à l’encontre de la formation professionnelle. Le projet est de placer le lycée professionnel sous la double tutelle des ministères de l’Éducation nationale et du Travail. C’est un retour en arrière par rapport à un acquis vieux de cent ans lorsque, pour réguler le travail des enfants, on a mis l’enseignement professionnel sous la protection de l’Instruction publique et qu’il n’a plus été réfléchi en parallèle de la politique industrielle [la loi Astier de 1919, NDLR].
Pour appeler un chat un chat : le souhait d’Emmanuel Macron est de faire dépendre l’enseignement professionnel public du monde de l’entreprise. Sauf que, pour nous, l’école ne doit rien avoir à voir avec le monde de l’entreprise.
Le souhait d’Emmanuel Macron est de faire dépendre l’enseignement professionnel public du monde de l’entreprise.
Pourquoi parle-t-on moins des lycéens professionnels alors qu’ils représentent un tiers des lycéens ?
Tout simplement parce que la plupart de ces élèves sont issus de milieux très populaires et que l’on traverse un contexte où l’école reproduit des inégalités. On accueille également énormément d’élèves en situation de handicap, qui sont systématiquement orientés vers des filières professionnelles à cause du tri effectué au collège.
Le lycée professionnel est souvent une orientation subie. Pourtant, c’est un lieu où les enseignements sont adaptés, souvent plus pédagogiques. Un lieu où l’on cesse de dire aux jeunes qu’ils sont nuls, de leur rendre des contrôles avec des 2/20. On leur apprend à retrouver confiance en eux et, ainsi, les parents commencent à avoir de nouveau confiance en l’institution.
La ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, Carole Grandjean, a réaffirmé le principe d’un lycée professionnel « agile », où les enseignements se dessineraient avec les entreprises locales. Pourquoi contestez-vous cette approche ?
L’autonomie des établissements a toujours été la marotte des ministères. Cela témoigne vraiment d’une idéologie ultralibérale et d’une vision utilitariste du lycée professionnel : si on a besoin de beaucoup de techniciens automobiles dans une région parce qu’une usine va s’y implanter, on va ouvrir des formations correspondantes.
Dans le projet de réforme, les entreprises locales devront avoir leur place dans le conseil d’administration du lycée. C’est incroyable ! Cela va accentuer les disparités territoriales d’offres de formation, déjà bien ancrées. Depuis l’instauration du contrôle continu au baccalauréat, les diplômes n’ont pas la même valeur en fonction de l’établissement où ils sont obtenus.
Aucun bilan n’a jamais été tiré des précédentes réformes.
Après les réformes de 2009 et de 2019, comment comprendre cette volonté d’imposer un énième bouleversement dans les lycées professionnels ?
On dit souvent que le lycée professionnel est un laboratoire. Mais la vérité, c’est qu’aucun bilan n’a jamais été tiré des précédentes réformes. Celle de 2009, qui a instauré le bac pro en trois ans, nous a brisés. D’ailleurs, aujourd’hui, on en revient, avec la proposition de Carole Grandjean d’allonger le cycle de formation d’un an après le bac !
Et puis, il y a trois ans, la réforme extrêmement brutale de Jean-Michel Blanquer nous a retiré la moitié des enseignements généraux. Maintenant, les collègues d’histoire ont huit heures de cours pour aller de 1914 à la guerre d’Algérie, alors qu’ils ont face à eux des élèves qui ont déjà des problèmes d’acquis, hérités du collège.
L’argument du ministère se fondait sur le modèle allemand, dans lequel les élèves sont moins au lycée, ce qui leur permettrait de développer une pratique en dehors, sportive, théâtrale, de langue, etc. Comme si nos élèves, du fait de leurs origines sociales, allaient s’inscrire spontanément au chinois ou à la contrebasse ! Sur ce temps libre, ils restent chez eux. Comme tous les jeunes de leur âge, ils regardent la télé, lisent des BD, vont voir leurs copains.
Quelles sont les conséquences concrètes de la diminution du temps de présence des élèves au lycée ?
Maintenant, quand on veut mener des projets avec nos élèves, on doit toujours courir après le temps. Pour organiser des sorties, faire venir des intervenants, avoir une pratique culturelle qui de toute façon n’existe pas à la maison, c’est important que les élèves passent du temps au lycée. Pas pour cravacher, mais justement pour accomplir leur scolarité. Il ne faut pas oublier qu’on parle d’adolescents.
Et puis, comme dans tous les métiers, il y a de plus en plus d’administratif. Pour Parcoursup par exemple, si on ne banalise pas une heure de classe au centre de documentation et d’information pour les y inscrire, on sait qu’ils ne le feront pas chez eux. Même si j’enseigne un métier, je suis avant tout un enseignant. Aujourd’hui, notre profession est vidée de sa substance.
La mobilisation peut-elle prendre face à ce projet du gouvernement ?
Depuis que je suis enseignant, je n’ai jamais vécu de réforme du lycée pro qui ait ému qui que ce soit, même parmi mes collègues. Mais je ne leur en veux pas : c’est dur de comprendre et d’expliquer précisément les conséquences de ces réformes, qui sont souvent très techniques. Personne ne fait semblant : on est conscient qu’aujourd’hui, le lycée pro accueille des élèves dans des situations compliquées. C’est une voie en difficulté qui ne fait pas rêver.
Les politiciens chantent les louanges du lycée professionnel mais il n’y a pas grand monde pour y envoyer leurs gamins.
Mais, malgré tout, c’est une institution précieuse qui pourrait être tellement meilleure si on lui donnait les moyens. Dans une trajectoire scolaire, le lycée professionnel répare. Mais là, avec la direction vers laquelle Macron veut l’emmener, c’est sa mort qui est annoncée. La dichotomie des discours de la Macronie est insupportable.
Les politiciens chantent les louanges du lycée professionnel mais, dans leur milieu, il n’y a pas grand monde pour y envoyer leurs gamins. Ce discours-là prétend vouloir agir sur sa dévalorisation sans jamais agir sur les causes, bien plus profondes, des inégalités scolaires.