« Les Vivants et les Autres » : l’île aux écrivains
Dans Les Vivants et les autres, le romancier angolais José Eduardo Agualusa fait d’une petite ville de l’île de Mozambique le passionnant théâtre de toutes les littératures africaines d’hier et d’aujourd’hui.
dans l’hebdo N° 1745 Acheter ce numéro
Les Vivants et les Autres /José Eduardo Agualusa / Traduit du portugais (Angola) par Danielle Schramm, Métailié, 224 pages, 21,50 euros.
La plupart des livres de José Eduardo Agualusa se situent dans son Angola natal, qu’il a dû quitter pour des raisons politiques. Alors qu’il vit entre Lisbonne, Rio de Janeiro et le Mozambique, il explore par la littérature l’histoire complexe de son pays. Dans Barroco tropical (2011), il plonge dans les mystères du Luanda de 2020. Il retrace ailleurs le destin extraordinaire d’une reine qui accède au pouvoir dans l’Angola du XVIIe siècle.
Théorie générale de l’oubli (2014) se penche sur l’existence d’une agoraphobe qui décide en 1975, à la veille de l’indépendance, de ne plus jamais quitter son appartement… Son nouveau roman, Les Vivants et les Autres, se déroule, pour changer, au Mozambique. L’Angola n’en est toutefois pas totalement absent. La société insulaire présente bien des similitudes avec celle de l’Angola. Leur passé colonial, notamment, les relie.
Le premier des nombreux personnages que décrit le roman, Daniel Benchimol, est un Angolais déjà présent dans le précédent roman d’Agualusa, La Société des rêveurs involontaires (2019). Jadis journaliste à Luanda, où une conjonction de rêves lui fait rencontrer et aimer l’artiste mozambicaine Moira Fernandez, Daniel est maintenant écrivain.
Et surtout, il est l’organisateur du premier festival littéraire du Mozambique, se tenant plus particulièrement sur l’île de Mozambique, qui y fait affluer toutes les célébrités de la scène littéraire africaine.
Magie et baroque
Ce qui n’est pas sans faire penser à La Plus Secrète Mémoire des hommes, prix Goncourt en 2021, de Mohamed Mbougar Sarr, enquête autour de la figure d’un certain T.C. Elimane largement inspiré d’un écrivain réel, le Malien Yambo Ouloguem. Il y a aussi dans Les Vivants et les Autres quelque chose du Sami Tchak de La Couleur de l’écrivain, comédie littéraire centrée sur la place de l’écrivain africain.
José Eduardo Agualusa s’affirme comme un maillon important des littératures africaines des dernières années, qui s’analysent et mettent en fiction leur fonctionnement. L’île est un cadre formidable pour son microcosme littéraire où se retrouvent et échangent des auteurs nigérians, mozambicains, angolais… À la faveur d’une tempête sur le continent qui isole le petit territoire du reste du monde, les débats et les discussions informelles prennent un tour inattendu.
La magie et le baroque font leur entrée dans la petite société, notamment sous la forme d’écrivains morts qui se mêlent aux vivants. Les protocoles festivaliers s’effondrent pour ouvrir un espace de tous les possibles, en littérature comme dans la vie. Le temps d’une tempête aux airs de carnaval, frontières et hiérarchies s’éclipsent devant l’imaginaire.