Migrants : « Nous aimerions que Saint-Brevin incarne un modèle de solidarité »
L’extrême droite voulait empêcher le déménagement d’un centre d’accueil dans cette petite ville de Loire-Atlantique. Elle s’est heurtée samedi à la mobilisation de ses habitants. Entretien avec Philippe Croze, retraité et président du collectif local de solidarité avec les migrants.
Depuis qu’elle a réussi à empêcher l’installation d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (cada) à Callac dans les Côtes-d’Armor, l’extrême droite se sent pousser des ailes. Et c’est à Saint-Brevin-les-Pins, ville de 14 000 habitants près de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) qu’elle a décidé de mener sa prochaine bataille.
L’objet : un cada, toujours, qui cette fois doit être simplement déplacé ailleurs dans la ville, en l’occurrence près d’une école élémentaire. Il n’en fallait pas plus pour que des militants de Reconquête, du RN – dont les dirigeants se sont officiellement désolidarisés – et d’autres groupuscules appellent à se mobiliser.
Samedi, ils étaient 300 tout en costumes de Chouans et drapeaux français face à 1 000 locaux et antifascistes. Philippe Croze, 73 ans, retraité et président du collectif local de solidarité avec les migrants, « Brevinois attentif et solidaires », s’en félicite mais appelle à rester vigilant.
Avec la mobilisation de samedi, peut-on parler de victoire face à l’extrême droite ?
Philippe Croze : Je n’aime pas forcément le vocabulaire du combat, car c’est eux qui l’utilisent. Un de leurs slogans, c’est « Callac, la mère des batailles », pour évoquer ce qu’il s’est passé là-bas. Au reste, je suis très content qu’on ait réussi à mobiliser autant de personnes, et surtout plus qu’eux. Mais ça ne m’étonne pas.
On peut compter sur les doigts d’une main les Brévinois qui étaient du côté des opposants. C’était surtout des gens de l’extérieur, qui d’ailleurs ne s’en cachaient pas. En fait, il suffit de discuter un petit peu avec les habitants pour se rendre compte que le fait que des migrants vivent ici ne dérange et ne questionne pas grand monde !
Car en vérité, Saint-Brevin accueille des migrants depuis des années…
On a souvent une fausse image de l’accueil des réfugiés en France.
Oui ! Notre commune a commencé à accueillir des réfugiés depuis 2016. Ils venaient alors principalement de la jungle de Calais. Plusieurs centaines sont passés par le centre actuel. En ce moment, la plupart sont originaires de Roumanie, de Lituanie, d’Ukraine, du Brésil. Beaucoup travaillent au chantier naval de l’Atlantique à Saint-Nazaire. Ils font leur vie et ne dérangent absolument personne.
Le Cada va simplement être déplacé à la fin de l’année car ERDF, qui est propriétaire du local, va le vendre. Il va être transféré dans les bâtiments municipaux qui servaient jadis aux colonies de vacances, désaffectés depuis plusieurs années.
Que vous a appris l’expérience d’accueil de migrants ?
C’est un apprentissage mutuel. Il se manifeste de notre côté par la transmission du français, des sorties culturelles, la fourniture de vélos et leur réparation… Ça se joue dans de petites choses. Il y a « le vestiaire » : un endroit d’échanges mine de rien très important pour eux et pour nous, où des bénévoles fournissent des vêtements.
Nous avons connu des moments festifs magnifiques avec des échanges de culture, de musique et de repas. Nous aimerions que Saint-Brevin incarne un modèle de solidarité, même s’il y a plein d’autres communes en France où l’accueil se passe très bien aussi. Malheureusement, on a souvent une fausse image de l’accueil des réfugiés en France.
Comment expliquer cette mauvaise image ?
Je pense que ça s’explique par un repli sur soi, des idées racistes et xénophobes, la peur de l’autre en général. Mais ces derniers temps, on constate une libération de la parole xénophobe, qui est effarante. Nous ce qu’on regrette, c’est que sur le plan politique, les partis du centre et de la droite s’effacent face à cette montée du racisme. Pire, le projet de loi « Asile et immigration » du gouvernement, qui prévoit de durcir les conditions d’accueil et raccourcir les délais d’instruction, donne des gages à l’extrême-droite.
Alors, comment lutter contre ces idées et répondre à ces attaques ?
Je milite activement pour une convention citoyenne sur la migration. Je pense que ce serait une façon d’apaiser le dialogue, de mettre à plat les vrais chiffres sur l’immigration et combattre les contre-vérités. Sans vouloir convaincre la poignée de personnes haineuses, il est crucial de faire comprendre à une majorité de la population que l’immigration peut être tout à fait positive pour le pays. Associer migration et insécurité, c’est tout simplement faux. Saint-Brevin en est le témoin.
Associer migration et insécurité, c’est tout simplement faux. Saint-Brevin en est le témoin.
Je suis issu du mouvement de l’éducation populaire qui prônait l’autogestion, le militantisme et la solidarité. Ce sont des valeurs qui me suivent. Je pense qu’à présent, tout est lié : le climat, la biodiversité, l’immigration.
Alors, il faut lutter sur tous les plans. Il va y avoir à l’avenir des déplacements de populations liés à ces problèmes planétaires, c’est inéluctable, ça ne sert à rien de vouloir l’empêcher. Je reste optimiste même si de temps en temps, ça me fait un peu peur. Tout ce que je fais à mon âge, je le fais pour mes enfants, mes petits-enfants et les générations à venir.
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