Miossec, virage au sec
Tendu vers le dépouillement, le barde finistérien publie un excellent nouvel album, Simplifier, délivrant onze chansons vaporeuses, mâtinées de new wave ou d’électro, aussi singulières que touchantes.
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Simplifier / (Columbia/Sony) / Concert le 15 novembre au Trianon, à Paris. christophemiossec.com
Cinq ans après Les Rescapés, opus mineur très (trop ?) orchestré, Miossec fait paraître Simplifier, nettement plus sobre et intense. Amorcé en solitaire puis peaufiné avec le renfort de l’ingénieur du son Paul Le Galle et du musicien-producteur Alexis Delong, ce nouvel album a été conçu à domicile par le Brestois, autour de l’inattendue triade guitare-basse-boîte à rythmes, en adoptant une économie radicale (de moyens et d’effets).
Dans Passeur, son autobiographie parue en 2021, Jean-Daniel Beauvallet – ex-rédacteur en chef musique des Inrockuptibles, qui a donné une impulsion décisive à la carrière de Miossec – écrit ceci : « J’aime que l’on se contente du peu, cette énormité courageuse. »
Simplifier tend vers cette énormité courageuse en onze chansons à l’allure fragile (comme la voix, cabossée, parfois proche de la brisure) et au charme patraque (comme la rythmique). Dotées de paroles incisives, tantôt drôles tantôt graves, toutes atteignent une grande justesse, souvent très touchante, à commencer par la splendide ballade mélancolique « Tout est bleu », en ouverture.
Exempt de scories, l’ensemble – d’où émergent aussi notamment « Mes voitures », premier single extrait de l’album, et « Une histoire de soleil » – déploie un univers sonore vraiment original, strié de riffs éthérés et de beats syncopés, quelque part entre new wave et électro/hip-hop minimaliste.
En septembre 2020, nous avions rencontré Miossec, au moment de la réédition – vingt-cinq ans après sa sortie – de Boire, son inaltérable premier album, et du démarrage de la longue tournée à travers la France accompagnant cette réédition. Simplifier nous offre une occasion idéale de reprendre le dialogue.
Comment avez-vous vécu toute la période liée
à la célébration des vingt-cinq ans de Boire ?
Miossec : Je n’ai pas trop de goût pour les commémorations, mais j’ai vraiment pris plaisir à rejouer Boire car, n’ayant pas envie d’être l’homme d’un seul album, je l’avais très peu joué pendant vingt-cinq ans. Du coup, des chansons emblématiques comme « Non, non, non, non (je ne suis plus saoul) » et « Recouvrance » n’étaient ni épuisées ni râpées – comme si elles étaient restées tout ce temps dans un placard. Je ne me sentais pas du tout en position de radotage. La musique est quelque chose de très organique : les chansons s’écrivent avec la tête mais viennent de tout le corps. Bien sûr, le temps passe, mais c’est toujours le même individu, à peu de chose près [rires].
Les chansons s’écrivent avec la tête mais viennent de tout le corps.
Les concerts de la tournée, en particulier ceux que vous avez donnés à Brest, ont dû être riches en émotions.
Il y a eu beaucoup de moments délirants. On n’en revenait pas de voir ce que ça pouvait provoquer. Il faut dire qu’on allait toucher la jeunesse du public. On leur offrait comme des madeleines.
Un peu alcoolisées.
Oui, c’est ça, au rhum [rires].
L’an dernier, Baiser, votre deuxième album, a également été réédité pour ses vingt-cinq ans. D’autres rééditions vont-elles suivre ?
Oui, Pias y travaille. Au début, j’étais un peu dubitatif, mais je trouve que ces rééditions apportent une vraie amélioration de la qualité sonore. C’est encore plus flagrant pour Baiser. Au grand dam de la maison de disques, on avait enregistré l’album de manière volontairement rudimentaire, à la campagne, à côté de Rennes. On n’avait pas fait des morceaux pour passer à la radio ou remplir des zéniths. À prendre va être réédité à son tour, l’automne prochain, même si j’aurais bien aimé qu’on fasse l’impasse sur cet album…
En septembre 2020, vous aviez sorti un EP, Falaises, enregistré avec la violoniste Mirabelle Gilis, qui a également pris part à la tournée des vingt-cinq ans de Boire. Cette aventure musicale n’aura pas de suite ?
Non, nous n’avons jamais envisagé notre collaboration comme un projet durable. Les chansons de cet EP ont été écrites pendant le premier confinement, un peu pour passer le temps et occuper nos esprits. Mirabelle a d’abord esquissé des parties musicales et elle m’a ensuite demandé des textes. Le tout s’est fait de manière très spontanée, sans plan ni calcul. C’est plus agréable quand ça se passe comme ça.
Quand avez-vous commencé à vous atteler à Simplifier ?
Les chansons de l’album ont été conçues en parallèle de la tournée Boire, pendant les pauses. Je profitais de l’énergie de la tournée pour bricoler tout seul dans mon coin. J’avais vraiment envie de retrouver ce que j’avais expérimenté avec Boire, album sur lequel j’avais d’abord longuement travaillé seul, avant de rencontrer Guillaume Jouan et de le finaliser avec lui.
Faisant écho à ceux de vos premiers albums, le titre sonne presque comme un manifeste, à tout le moins affirme un credo…
J’ai une attirance profonde pour la simplicité. Par ailleurs, pendant les confinements, j’ai écouté beaucoup de musique, en particulier du hip-hop, et les morceaux les plus simples – avec guitare, basse et boîte à rythmes – sont ceux qui ont eu le plus d’impact en moi. Je pense par exemple à l’album Arizona Baby, de Kevin Abstract, une vraie merveille. C’est ce qui m’a encouragé à aller vers ce genre d’univers.
Pendant les confinements, j’ai écouté beaucoup de musique, en particulier du hip-hop, et les morceaux les plus simples.
Simplicité ne signifie pas facilité, bien au contraire. Avez-vous beaucoup travaillé et transpiré pour concevoir ces nouvelles chansons ?
Oui. Comme un forçat. J’y ai consacré un temps dingue. Il y a de quoi se poser des questions [rires].
Comment l’album a-t-il pris forme ?
Je ne voulais surtout pas que les chansons m’échappent, qu’elles se retrouvent en studio avec des professionnels de la profession, et – comme j’ai pu le vivre par le passé – que je n’assume plus ce que j’entends à l’arrivée… Je ne me suis jamais senti à l’aise en studio. Cette fois, j’ai d’abord réalisé des maquettes tout seul, en empilant guitare, basse, boîte à rythmes. Ensuite, l’ingénieur du son brestois Paul Le Galle est venu chez moi enregistrer les maquettes au propre. Enfin, Alexis Delong est arrivé pour ajouter des claviers, refaire des parties de basse et – surtout – y imprimer une modernité au niveau du son. L’album s’est constitué ainsi presque entièrement à la maison. Seul le mixage a été réalisé à Paris.
La dernière chanson, pas la moindre, s’appelle « L’Adolescence ». Vous y chantez notamment « L’adolescence, elle est toujours là / Même quand on l’a planquée tout au fond de soi ». Que représente à vos yeux cet âge qu’on dit ingrat ?
J’ai pu monter un groupe de rock [Printemps noir, NDLR] quand j’avais à peine 14 ans. J’ai passé toute mon adolescence en étant dans un groupe. C’était merveilleux, nous formions un gang. Nous avons même joué aux Transmusicales. À l’époque, je ne fumais pas, je ne buvais pas, je n’étais pas du tout dans le côté rock’n’roll déglingue. En réalité, j’ai connu ma crise d’adolescence avec Boire. On peut la faire à retardement, mais c’est assez dangereux [rires].
Vous approchez du cap de la soixantaine. Dans quelle disposition l’abordez-vous ?
Le chiffre me paraît étourdissant. On vient juste de parler de l’adolescence et j’ai l’impression que je peux encore la toucher de la main. Pourtant, plus de quarante ans se sont écoulés… En tout cas, je savoure vraiment le fait d’être encore en vie.
Envisagez-vous de vous mettre un jour à la retraite ?
Ah oui. Dans le métier que je fais, on ne le décide pas forcément soi-même. C’est plutôt le public qui peut donner le signal du départ. En étant musicien, on éprouve dans le corps une alchimie intense, en particulier avec les concerts, une alchimie que la vie de tous les jours ne peut pas procurer et à laquelle il est dur de renoncer. Cela dit, je ne me vois pas faire ça ad vitam aeternam.
Vous faites partie de la centaine de personnalités qui ont signé l’appel de Politis contre la réforme des retraites portée par le gouvernement d’Emmanuel Macron. Que ressentez-vous devant le mouvement de contestation populaire que cette réforme suscite ?
Tout ce qui se passe actuellement – les manifestations dans la rue, la mobilisation intersyndicale – est vraiment jouissif. Le peuple reste imprévisible : un constat très stimulant. La méthode Macron consiste à essayer de laisser pourrir les choses. J’espère que le mouvement ne va pas s’affaiblir, qu’il va tenir !