« On tient grâce à la solidarité et aux bénévoles »

Milan Zaitsev, professionnel de l’aide humanitaire, témoigne de la mobilisation populaire qui a permis à l’Ukraine de tenir.

Politis  • 22 février 2023
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« On tient grâce à la solidarité et aux bénévoles »
Rassemblement en soutien à l'Ukraine, à Bratislava en Slovaquie, en avril 2022.
© Patrik Velich / Unsplash.

Quand l’armée russe a envahi l’Ukraine, promise à l’écrasement en quelques jours, la population s’est retrouvée livrée à elle-même, dépendante de ses propres forces. Milan Zaitsev, professionnel de l’aide humanitaire pour l’association ukrainienne Vostok-SOS, l’Agence française CFI de développement médias et la Fondation de France, témoigne de l’improbable mobilisation populaire qui a permis au pays de tenir jusqu’à ce jour, au-delà de tout pronostic.


Traduit de l’anglais par Patrick Piro.

Une semaine avant le 24 février 2022, j’accompagnais des journalistes français sur la ligne de front du Donbass comme « fixeur ». Des changements étaient visibles dans la vie de la population. La situation devenait de plus en plus instable. Les Russes avaient intensifié leurs bombardements et on avait le sentiment palpable d’une intervention imminente, même si l’hypothèse d’une attaque d’une telle envergure n’était guère prise au sérieux. Dès le lendemain de l’invasion, nous nous sommes repliés à Kyiv.

Immédiatement, devant la réalité très concrète du danger pour nos familles, nos proches et l’ensemble de la nation ukrainienne, un immense élan de solidarité et de bénévolat s’est déployé. On avait connu un réflexe semblable avec l’invasion de 2014 et l’annexion de la Crimée, mais à une échelle limitée, dans l’est du pays. Cette fois-ci, il prenait une dimension nationale, et avec une ampleur sans commune mesure.

Les premiers jours, les rues de Kyiv étaient vides, la ville semblait morte. Mais il suffisait de frapper aux portes pour découvrir des foules très actives, préparant des cocktails Molotov, des équipements pour les soldats et les volontaires de la défense territoriale, des repas pour des personnes démunies, des collectes de fonds, etc. Il y avait là des grands-mères, des enfants… Un incroyable état esprit collectif, comme une forteresse populaire diffuse.

À l’ouest et au centre du pays se sont ouverts des refuges temporaires pour accueillir, par centaines, les personnes qui avaient fui les combats. Il y avait toujours de la nourriture, des couvertures, du soutien. C’était vraiment étonnant : « Comment vous organisez-vous ? D’où vient tout ça ? »

Les gens ne le savaient même pas ! Partout agissaient des microchaînes de solidarité spontanées, disposant de relais dans le pays et à l’étranger. Chaotique mais très efficace ! Et d’autant plus indispensable que les organisations internationales, les programmes humanitaires, les grandes ONG avaient quitté le pays, abandonnant pour certaines leur personnel ukrainien.

Partout agissaient des microchaînes de solidarité spontanées, disposant de relais dans le pays et à l’étranger.

L’interruption brutale des projets en cours a laissé la place à des initiatives locales et au volontariat international. Pendant les premières semaines, la société civile nationale a pleinement pris le relais. Le peuple ukrainien a tenu le coup grâce à ses propres forces : c’est un exemple historique. Il a fallu des mois pour que la communauté internationale réévalue son appréciation de la situation et se range pleinement du côté de l’Ukraine.

Pour ma part, il s’est agi, immédiatement, de trouver ma place après un tel bouleversement. J’ai fait don d’une bonne part de mes revenus obtenus grâce à mes collaborations avec des médias étrangers : ma contribution en plus du travail sur le front de l’information lui-même. Surtout, j’ai été confronté, comme beaucoup, au choix de rejoindre l’armée.

Plusieurs de mes amis avaient pris les armes, et mon expérience de la ligne de front du Donbass pouvait être utile. J’ai hésité pendant trois semaines, la tête en ébullition. J’ai finalement basculé pleinement du côté de l’aide humanitaire, où mon expérience à Vostok-SOS s’est avérée extrêmement utile, tant la demande a explosé. Aujourd’hui, je suis débordé, je circule beaucoup, dans tout le pays. Cependant, mon avenir reste en suspens.

Aujourd’hui, alors que les grandes organisations internationales sont revenues, le défi consiste à définir la meilleure approche pour les programmes d’aide, à coordonner nos efforts, mais aussi à faire comprendre à ces partenaires – organisations et bailleurs de fonds – que leur volonté de planifier les efforts à long terme est illusoire à ce stade.

Il s’agit de mettre fin à la guerre en aidant notre armée à chasser l’envahisseur.

La flexibilité d’une organisation comme Vostok-SOS est précieuse pour s’adapter à la réalité instable du terrain. Quant à l’urgence « du moment », question récurrente, il est indispensable d’assurer la sécurité matérielle et morale des centaines de milliers de personnes qui n’ont plus nulle part où vivre, même si on ne peut souvent leur offrir que des abris temporaires.

Mais, au fond, nous ne connaissons qu’une seule réponse : il s’agit de mettre fin à la guerre en aidant notre armée à chasser l’envahisseur. On peut bien déjà reconstruire des bâtiments, ils ne seront jamais à l’abri du prochain missile russe…

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Publié dans
Carte blanche

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