Retraites : pour les syndicats, déjà un tournant
Les organisations syndicales misent beaucoup sur des manifestations massives ce 11 février. Après une mobilisation en baisse le 7 février, cette journée est un premier tournant stratégique pour les centrales.
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Pour cause, après deux journées massives de mobilisation, le 19 et surtout le 31 janvier, où entre 1,272 et 2,8 millions de personnes ont défilé dans la rue – un record depuis 30 ans contre une réforme sociale – l’intersyndicale a légèrement changé de stratégie.
En annonçant deux journées de manifestations dans la même semaine, une le mardi et une le samedi, elle souhaite élargir le mouvement à un public plus large. « On veut être accordés avec le monde du travail. On a conscience que faire grève, perdre une journée de salaire, c’est parfois compliqué, surtout en ce moment. Cette journée du samedi permettra à des gens, bien souvent des invisibles, de se rassembler en dehors du temps de travail pour s’opposer à cette réforme. Les invisibles doivent pouvoir compter dans ce mouvement », souligne Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT.
« Venez avec vos amis, avec votre famille, avec vos enfants, ce sera cool, ce sera sympa ! »
Une journée de mobilisation interprofessionnelle un samedi, l’intersyndicale n’en avait plus appelée depuis 2006 et la lutte, par ailleurs gagnante, contre le contrat première embauche (CPE). L’objectif est clair : permettre au plus grand nombre, dans un contexte de forte préoccupation sur le pouvoir d’achat, de défiler dans la rue.
C’est la CFDT, notamment, qui a insisté pour fixer cette date. « Samedi, on veut élargir le mouvement social à un immense mouvement populaire », affirme Laurent Berger, secrétaire général du syndicat réformiste. « Je le dis à tous les citoyens qui ne pouvaient pas venir en semaine : venez ! Venez avec vos amis, avec votre famille, avec vos enfants, ce sera cool, ce sera sympa ! »
Avec de telles ambitions les yeux médiatiques et politiques seront rivés sur l’affluence de la rue ce 11 février. Surtout au lendemain d’une journée de manifestations qui a légèrement moins rassemblé que les deux précédentes. C’est donc, pour les organisations syndicales, un premier tournant stratégique.
Arriveront-ils à marquer les esprits avec une mobilisation historique, encore plus importante que le 31 janvier ? Ou à l’inverse, alors qu’une bonne partie du pays sera en vacances scolaires, la mobilisation marquera-t-elle doucement le pas ? « On espère réussir cette journée. En tout cas, on est très unis et très confiants », commente Simon Duteil, co-secrétaire national de Solidaires.
On espère réussir cette journée. En tout cas, on est très unis et très confiants.
Une confiance amplement partagée par Philippe Martinez. Pour le secrétaire général de la CGT, il faudra « additionner » les affluences respectives du mardi 7 et du samedi 11 car « ce n’est pas le même public qui manifestera d’un jour à l’autre, on le sait. Je suis certain que quand on fera cette opération, les compteurs vont exploser. Plus haut que le plafond, directement sur la lune ! », assure-t-il, souriant.
Durcir le mouvement ?
Mais ce sourire cache tout de même un questionnement stratégique qui travaille l’intersyndicale depuis plusieurs jours. Comment réussir à faire céder un gouvernement qui paraît inflexible, hormis pour donner quelques gages aux députés Les Républicains ?
Car le constat, partagé au sein de l’intersyndicale est là : les journées épisodiques de mobilisation ne semblent pas être à même de faire fléchir le gouvernement. « Si les mobilisations de rue ne suffisent pas, ce qui semble être le cas, hé bien les mouvements vont se durcir et on proposera aux salariés plus de journées de grèves ainsi que des grèves reconductibles », promet Philippe Martinez.
Des grèves, ça ne s’organise pas avec un bouton magique. Il faut que les salariés s’emparent de ce moyen d’action.
Malgré cette menace, un durcissement du mouvement ne devrait pas avoir lieu dans l’immédiat. Au sein des organisations syndicales, l’idée est de frapper un grand coup samedi avant ce qu’on annonce être comme une petite période d’accalmie. « Des grèves, ça ne s’organise pas avec un bouton magique. Il faut que les salariés s’emparent de ce moyen d’action et le décident. Pour l’instant, les conditions ne sont pas réunies pour partir en grève reconductible », note Murielle Guilbert, co-secrétaire national de Solidaires.
« Le sprint final commence le 6 mars »
Si une nouvelle journée de mobilisation a été annoncée le jeudi 16 février, c’est surtout à partir de la fin des vacances scolaires que les choses devraient s’accélérer. « Le sprint final commence le 6 mars », souffle Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. « À partir de cette semaine-là, on aura la possibilité de remettre un coup d’accélérateur pour définitivement gagner. On va proposer quelque chose de très fort aux salariés », promet-il.
Une journée de manifestation est d’ores et déjà prévue le mardi 7 mars. Mais, c’est aussi le lendemain – le 8 mars – que plusieurs organisations syndicales envisagent de durcir le mouvement. À Solidaires, la question de la grève reconductible à partir de cette date sera débattue en conseil national lundi soir. Celle-ci s’articulerait alors avec la Journée internationale des droits des femmes, où des grèves féministes sont déjà prévues avec la CGT et la FSU.
Les syndicats plus « réformistes » suivront-ils le mouvement ? « Aujourd’hui, ce n’est pas nous qui bloquons le pays. Le gouvernement est-il capable d’entendre cette colère populaire ? D’entendre ce rejet ? Si ce n’est pas le cas, on verra ce qu’il se passera. On avisera samedi soir », élude Laurent Berger.
Le gouvernement est-il capable d’entendre cette colère populaire ? D’entendre ce rejet ?
Au sein des syndicats plus radicaux, on sait aussi que la présence de la CFDT reste primordiale et on se veut donc prudent. « L’unité de l’intersyndicale est essentielle. On ne veut pas faire comme en 2010 où un seul secteur était parti en grève reconductible et où on avait perdu, rappelle Simon Duteil. Il faut embarquer tout le monde avec nous. »
Conserver l’opinion publique de son côté
D’ici à cette échéance – encore assez lointaine – du 7 mars, la mobilisation risque d’être moins démonstrative. Sans pour autant s’effacer. « Ce mouvement est une lame de fond. Peu importe si c’est un peu moins fort pendant les vacances, des initiatives vont foisonner, des débats, des meetings, des banderoles, des marches aux flambeaux », assure Murielle Guilbert.
Une volonté, aussi, de permettre aux salariés de se reposer pendant les vacances, et aux Français d’en profiter, en évitant des « blocages » qui agacent parfois, même si un sondage Odoxa pour Le Figaro et Backbone Consulting, rendu public hier, révèle que 66 % des Français (en hausse constante depuis un mois) en rendraient responsable le gouvernement et non les syndicats.
Or, dans toutes les bouches des syndicalistes, le franc soutien de l’opinion publique au mouvement social actuel reste crucial pour espérer voir cette réforme être retirée. Murielle Guilbert conclut : « Cette petite période va permettre à tout le monde de reprendre son souffle pour mieux porter le coup final. » Mais pour cela, il faudra déjà réussir la journée de samedi.
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