Retraites : ce que prône vraiment le Rassemblement national
Le système progressif de départ à la retraite de Marine Le Pen n’a rien de progressiste. Partageant avec les libéraux des présupposés et le refus de faire contribuer les riches à travers les votes de ses députés, les amendements de ces derniers en dévoilent le caractère xénophobe et régressif, notamment pour les droits des femmes.
Dissiper les mirages et l’hallucination que les bancs de l’extrême-droite engendrent est une tâche ingrate. Et pourtant ô combien nécessaire quand 46 % des Français, selon un sondage Ifop pour Le Journal du dimanche, placent Marine Le Pen en tête des personnalités politiques et syndicales qui incarnent le mieux l’opposition à la réforme des retraites. Devant Jean-Luc Mélenchon (43 %) et Philippe Martinez (41 %).
Cette perception doit beaucoup au récit médiatique servi à l’envi par les médias mainstream. Depuis la présentation par le gouvernement de sa réforme, ces derniers n’ont de cesse d’opposer l’agitation bruyante des élus de la Nupes, immanquablement présentée comme une « obstruction », à la retenue policée des députés cravatés du Rassemblement national (RN). Pas étonnant que ce même récit soit repris par la macronie.
« Au moins, le RN, n’ayant déposé que très peu d’amendements, n’a pas bloqué la discussion », s’est félicité le député Sylvain Maillard, pilier du groupe Renaissance à la toute fin des débats dans l’hémicycle. Quelques instants plus tard, les députés d’extrême droite applaudissaient, de concert avec leurs collègues macronistes, les propos de clôture d’Olivier Dussopt. Curieuse opposition dans la forme, comme sur le fond.
Le RN évite de se dévoiler
Les 88 députés du RN auront déposé en moyenne moins de trois amendements par député. À Aurélie Trouvé (LFI) qui venait de le rappeler, Laurent Jacobelli a répliqué que son groupe avait « déposé exactement 215 amendements », précisant que cela « représente précisément le temps de parole qui [lui] est alloué » pour le temps des débats. Voire. Les députés RN qui occupent 15 % des sièges n’ont utilisé que 9 % du temps de parole, selon un décompte de l’Observatoire citoyen de l’activité parlementaire. Marine Le Pen et ses troupes n’avaient-elles rien à proposer ?
Certes non. Mais entre une motion référendaire, complaisamment retenue par la conférence des présidents, majoritairement composée de macronistes, de préférence à celle de la Nupes – pourtant déposée en premier et présentée par un plus grand nombre de signataires –, discutée à l’ouverture des débats, et une motion de censure défendue après leur clôture, l’extrême droite s’est faite discrète. Évitant de trop se dévoiler.
Ses votes et ses amendements, pour qui veut bien les analyser – ce qui est trop peu fait –, dessinent toutefois un projet fort peu social. Le projet du RN est un projet libéral en ce qu’il se montre soucieux de protéger les intérêts des possédants, des actionnaires et de la finance, xénophobe et un projet profondément sexiste, à l’image du texte proposé par le gouvernement et qui vise à instrumentaliser le ventre des femmes tout en renforçant les inégalités entres les hommes et les femmes.
Des considérations patronales ou nationalistes
L’article 1er du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) vise à mettre un terme à plusieurs régimes spéciaux au 1er septembre 2023. La gauche y est totalement hostile. Le RN, lui, fait du cas par cas : « Nous ne sommes pas favorables à tous les régimes spéciaux et souhaitons supprimer ceux qui sont injustes et injustifiés », a déclaré son député du Loiret, Thomas Ménagé.
Les justifications avancées dans l’exposé des motifs des amendements qu’il a présentés pour réclamer le maintien de certains régimes spéciaux éclairent les raisons de cette discrimination.
Quand la gauche défend les avancées sociales de ces « régimes pionniers », estimant qu’ils devraient être étendus à terme à un plus grand nombre de salariés, pour justifier leur maintien, le RN avance, lui, essentiellement des considérations patronales ou nationalistes : la difficulté à recruter des chauffeurs de bus et des machinistes à la RATP ; le besoin de main-d’œuvre « française » pour développer la filière nucléaire, qui doit faire appel aujourd’hui à des soudeurs américains, nécessite de maintenir le régime spécial des industries électriques et gazières…
Pas question en revanche de conserver celui des salariés de la Banque de France, pourtant aucunement déficitaire, ni celui du Conseil économique social et environnemental.
Préserver les plus fortunés
Des considérations similaires ainsi qu’une volonté partagée avec la macronie de protéger les riches expliquent le refus systématique du RN de voter les financements alternatifs défendus par la gauche après l’article 2 pour éviter de reculer de deux ans l’âge légal. Ses députés se sont ainsi abstenus sur :
- Un amendement de François Ruffin rétablissant et renforçant l’impôt sur la fortune (ISF) ;
- L’augmentation du taux de CSG sur les revenus du capital (amendement 2 811) ;
- Une contribution exceptionnelle sur les dividendes – 10 %, 9 %, 8 %, 7 %… c’était trop, le RN n’aurait accepté que 3 % ;
- Une contribution de 10 % sur les bénéfices des fonds de pension ;
- L’augmentation de la pénalité pour les entreprises qui ne réduisent pas l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes (amendement 2 392).
Ses députés ont aussi voté contre :
- Assujettir les revenus financiers des sociétés financières et non financières au même taux que les cotisations patronales et salariales du secteur privé ;
- Augmenter les cotisations vieillesse sur les hauts revenus, c’est-à-dire supérieurs au plafond de la Sécurité sociale fixé en 2023 à 3 666 euros (amendement 20 118).
Dans un vote à main levé, ils ont également refusé de soumettre les revenus d’intéressement à l’assiette des cotisations de sécurité sociale, alors même que les entreprises qui privilégient l’intéressement aux augmentations de salaires privent la protection sociale de financements nécessaires.
Des économies sur le dos des vieux immigrés
Le RN a regretté en revanche de ne pouvoir évoquer, dans le cadre contraint d’un PLFRSS (projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale) , « l’ensemble des allocations (…) sur lesquelles pourraient être réalisées des économies plus ou moins substantielles ». Exemple avec un amendement à l’article 8 – qui n’a donc pas été discuté –, par lequel le RN réclamait « la suppression de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine ».
Cette aide, inscrite à l’article L117-3 du Code de l’action sociale et des familles, n’est pourtant accordé qu’« aux ressortissants étrangers, en situation régulière, vivant seuls » et à des conditions très restrictives ne concerne qu’un nombre limité d’allocataires.
Ceux-ci doivent notamment avoir « fait valoir [leurs] droits aux pensions personnelles de retraite » et être « âgés d’au moins soixante-cinq ans ». Or, un second amendement du groupe RN, présenté par le même Thierry Ménagé, demande que la condition d’âge soit remplacée, de sorte qu’elle ne puisse être versée qu’à… « cent ans » ! L’indécence des xénophobes n’a pas de limite.
Six amendements de « préférence nationale »
Après l’article 16, le RN avait prévu de défendre six amendements visant à mettre en application la « préférence nationale » :
- L’amendement n°17 832 entend ainsi réserver les allocations familiales aux foyers « dont au moins l’un des deux parents a la nationalité française ». Mais aussi l’ensemble des prestations familiales (amendement n°15 878). L’exposé des motifs de ce dernier est explicite : « Le bénéfice des prestations familiales doit être réservé aux Français ou aux ménages dont au moins un des parents est Français, car les politiques en faveur de la famille sont le moyen de soutenir les familles qui éduquent des enfants. » Pour le RN donc, comme l’a noté André Chassaigne, « il faut un parent français pour que les enfants soient bien éduqués ». Une idée scandaleuse mais assumée par ses députés.
- L’amendement n°16 719 « vise à conditionner le versement de la prime de naissance, de l’allocation de base de la Paje, de la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE) et du libre choix du mode de garde (CMG) aux ménages et aux personnes de nationalité française ».
- Les amendements n°19 982 et n°20 451 (identiques) prétendent « réserver les allocations familiales aux foyers « dont la personne qui assume la charge effective et permanente des enfants est de nationalité française » ».
- Une variante proposée sous le n°16 688, qui a tout d’un amendement de repli, envisage d’en ouvrir le droit aux « personnes de nationalité étrangère qui justifie de cinq années au moins travaillées sur le territoire français ».
La « préférence nationale » du RN remettrait en cause notre droit actuel.
Sur un plan pratique, il n’est pas inutile de rappeler ici que la « préférence nationale » remettrait en cause notre droit actuel. Le principe de l’assimilation juridique des étrangers avec les nationaux en matière de salaires, de droit du travail et de protection sociale est acquis depuis une ordonnance novembre 1945 du gouvernement du général de Gaulle. Elle contreviendrait également aux engagements internationaux de la France, tels que la Convention européenne des droits de l’homme.
Poutre maîtresse de l’idéologie lepéniste depuis 40 ans, la « préférence nationale » n’a jamais été que « l’euphémisation de l’exclusion, de l’épuration », « un des principaux noms du racisme », comme l’analysa le philosophe Étienne Balibar (1).
Étienne Balibar, « De la « préférence nationale » à l’invention de la politique : comment lutter contre le néofascisme ? », Aux sources du populisme nationaliste, sous la direction de Jean Viard, éditions de l’Aube, 1996.
« Fabriquer des travailleurs français »
Ces amendements étaient prétendument motivés par la volonté de « soutenir la natalité en vue de la pérennité de notre système de retraite par répartition ». Le RN voit dans une politique nataliste, indissolublement liée dans son discours à une politique xénophobe, une façon de résoudre le déficit des retraites.
Faire plus d’enfants pour sauver les retraites ? L’idée, reprise par le patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux le week-end dernier, découle de l’argument matraqué depuis trente ans par tous les libéraux, dont le RN donc : la baisse du ratio actifs/retraités impose d’augmenter le nombre d’actifs ou de baisser les pensions.
Dès le premier jour des débats, Marine Le Pen a déploré l’absence de « relance de la natalité » dans la réforme. Une obsession revendiquée crûment par le député Sébastien Chenu, le 13 février sur France Inter : « Moi je préfère qu’on fabrique (sic) des travailleurs français plutôt qu’on les importe. (…) Nous considérons que pour fabriquer (re-sic) les travailleurs français de demain, il faut aider les familles pour cela. Pour assurer la perpétuation de la civilisation et de la société française, qu’on ait plus de petits Français demain plutôt que d’ouvrir les vannes et de voir l’immigration comme un projet de peuplement. »
Ce discours anti-humaniste – pour le RN, les gens ne sont pas des personnes, mais des marchandises qu’on fabrique ou qu’on importe –, teinté de xénophobie, dénote une conception du rôle des femmes, inchangée depuis Jean-Marie Le Pen. En 1995, lors d’une rencontre avec des lecteurs du Parisien au siège de ce quotidien, le père de Marine Le Pen avait sèchement répliqué à une lectrice qui osait prétendre que les femmes avaient peut-être le droit de décider : « L’affirmation que votre corps vous appartient est tout à fait dérisoire. Il appartient à la vie, et en partie à la nation. »
Pour le RN, les gens ne sont pas des personnes, mais des marchandises qu’on fabrique ou qu’on importe.
À l’appui de son propos, Sébastien Chenu a aussi cité positivement le géographe Laurent Chalard : « Une politique de natalité est plus efficace pour combler les besoins en manœuvres (sic) qu’une politique de l’immigration. » Que le vice-président du RN invoque les « besoins en manœuvres » – l’universitaire parlait lui de « main-d’œuvre » – n’est en rien une erreur.
Abaisser le niveau d’instruction
Depuis la dernière campagne présidentielle, Marine Le Pen prône en effet un système progressif de départ à la retraite. Son principe, rappelé encore le 6 février à la tribune de l’Assemblée nationale, fait dépendre l’âge légal de départ de la date d’entrée dans la vie active : « Travailler tôt, c’est travailler plus dur donc partir plus tôt », a-t-elle coutume de résumer. Moyennant quoi elle promet une retraite à taux plein à 60 ans pour tous ceux qui auraient commencé une carrière professionnelle entre 17 et 20 ans, s’ils ont cotisé 40 annuités.
Mais pour les personnes entrées dans la vie active après 20 ans, la cheffe de l’extrême droite augmente progressivement le nombre de trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein. Jusqu’à 42 ans pour ceux qui ont commencé à travailler à 25 ans. Ce faisant, elle maintient à 62 ans l’âge légal de départ en retraite, à 67 ans l’âge automatique du taux plein. Et ne prévoit aucun progrès pour ceux, surtout celles d’ailleurs, qui ont eu des carrières hachées et des temps partiels imposés.
Pour justifier son système, progressif mais pas progressiste, Marine Le Pen explique qu’« il y a urgence à inciter nos jeunes à entrer dans le monde du travail ». Une incitation non dénuée d’effets pervers. En présentant ce projet lors de la campagne présidentielle, le 17 février 2022, la candidate permanente de l’extrême droite expliquait vouloir les encourager « à privilégier l’activité, la création de valeur, à la poursuite des d’études ne leur garantissant pas toujours un emploi ».
L’extrême droite, qui réalise ses meilleurs scores parmi les non-diplômés, chercherait-elle à accroître sa clientèle électorale ?
En dissuadant les jeunes de poursuivre des études, le RN prépare rien de moins que l’abaissement du niveau d’instruction général du pays. Les conséquences pour eux seraient une entrée dans la vie active par des emplois moins qualifiés, ainsi qu’une moindre adaptabilité aux évolutions futures des métiers et des machines.
L’extrême droite, qui réalise ses meilleurs scores parmi les non-diplômés, chercherait-elle à accroître sa clientèle électorale ?
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