Retraites : dans les facs, « remettre de la joie » dans la mobilisation

Une quinzaine d’universités ont été bloquées ce matin pour protester contre la réforme des retraites. Plusieurs lycées se sont également mobilisés. Chez les jeunes, le mouvement commence à s’organiser.

Pierre Jequier-Zalc  et  Lily Chavance  et  Rose-Amélie Bécel  • 7 février 2023
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Retraites : dans les facs, « remettre de la joie » dans la mobilisation
Devant le lycée Racine, à Paris, le mardi 7 février.
© Lily Chavance.

7 h 40, devant le centre Pierre-Mendès-France (Tolbiac) de l’université Paris I, ce mardi 7 février. La grille qui barre l’habituelle entrée est fermée. Seule la petite porte à l’arrière laisse passer les étudiants sous le regard attentif de quatre vigiles de la sécurité. Et pour cause, réunis en assemblée générale, les étudiants de Tolbiac ont voté, lundi, le blocage du site.

Ce mardi matin, pourtant ils ne sont qu’une petite quarantaine à avoir bravé le froid pour mettre en pratique ce vote. Une mobilisation en apparence en demi-teinte, qui s’explique notamment par les précautions prises par l’administration. « On a décidé de fermer les ascenseurs pour éviter que les bloqueurs commettent des dégradations dans les étages », confie un membre du personnel.

Malgré tout, quelques tables et chaises sont amassées pacifiquement devant les ascenseurs, de façon symbolique. « Paris I mobilisée contre Macron et les patrons », peut-on lire sur une grande banderole.

Dans les couloirs de Tolbiac, ce mardi 7 février. (Photo : Lily Chavance.)

Outre les précautions d’une administration soucieuse, l’épisode de la crise sanitaire a également mis un coup aux mobilisations étudiantes. « Tous les professeurs qui ne font pas grève ont passé leur cours en distanciel. Du coup, il n’y a que très peu d’étudiants qui viennent sur place », souligne Nathan Kohn, secrétaire général de l’Unef Paris I.

Au moins 15 universités totalement ou partiellement bloquées

Les faits viennent confirmer ses dires. Hormis les personnes venues pour se mobiliser, rares sont les étudiants venus assister à un cours. C’est toutefois le cas de Charlotte, en licence d’arts, qui pensait avoir TD (travaux dirigés) ce matin. « C’est important la réforme des retraites, mais je ne veux pas être défaillante », souffle-t-elle. 

Sur le même sujet : Contre la réforme des retraites, l’envie de monter en puissance

« Le covid est passé par là. Les étudiants sont inquiets d’imaginer les facs fermées, avec des cours en ligne. Après 2 ans de crise sanitaire, on veut retrouver nos facs, on ne veut plus militer sur Twitter », affirme Imane Ouelhadj. La présidente de l’Unef revendiquait ce matin le blocage total ou partiel d’au moins quinze universités en France. « Rennes II, Toulouse II, mais aussi des plus petites qui n’ont pas forcément l’habitude de se mobiliser, comme Clermont ou Grenoble. »

Atelier banderole dans les couloirs de Tolbiac, avec un objectif : faire ressentir la joie à travers les pancartes. (Photo Lily Chavance.)

De nombreux étudiants soulignent aussi une crainte des effets de la répression sur la mobilisation. « Ce n’est pas normal que des étudiants de l’EHESS [Ecole des hautes études en sciences sociales] aillent en garde à vue, que des lycéens se fassent gazer lorsqu’ils bloquent leur lycée. Clairement, la répression inquiète beaucoup », glisse Julie, en première année de licence d’arts plastique. En plein atelier banderole dans les couloirs de Tolbiac, elle a décidé de pointer cette répression dans celle qu’elle brandira à la manifestation.

« On a été gazés, matraqués, insultés »

La répression, justement, est dans toutes les bouches, quelques kilomètres plus loin, au lycée Racine dans le 8e arrondissement de la capitale. « La police n’a pas voulu nous laisser bloquer. On a fait une chaîne humaine mais on a été gazés, matraqués, insultés. Deux élèves ont été embarqués », raconte Max, en terminale.

 Si nos aînés bossent plus longtemps, ils vont aussi prendre des boulots qu’on aurait pu avoir en entrant sur le marché du travail.

Les lycéens étaient assez nombreux ce matin pour bloquer leur établissement une troisième fois en une semaine. « Notre objectif est de rappeler que les jeunes soutiennent la mobilisation. Ça nous concerne tous, nous, à notre niveau, mais aussi notre famille et nos amis. Il faut montrer notre détermination », assène John, qui passera le baccalauréat cette année.

« Si aujourd’hui nos aînés bossent plus longtemps, ils vont aussi prendre des boulots qu’on aurait pu avoir en entrant sur le marché du travail », note-t-il.

« Faire une mobilisation heureuse »

Administrations réticentes, précarité étudiante, peur de la répression, passage en distanciel : les obstacles sont donc nombreux pour réussir à créer un mouvement plus massif, dépassant l’habituel cadre militant. « Il faut changer d’approche : faire une mobilisation heureuse qui ramène de la joie. Montrer que se mobiliser est quelque chose d’entraînant et qu’on est là pour participer à construire ce monde, mais qu’on veut le construire différemment », analyse Julie.

Montrer qu’on est là pour participer à construire ce monde, mais qu’on veut le construire différemment.

Ces termes, « joie », « convivialité », sont d’ailleurs repris dans la bouche de nombreux étudiants interrogés. « Cette idée est celle qui a fait le plus consensus à l’AG hier », note un militant du Poing Levé, un collectif étudiant anticapitaliste et révolutionnaire.

Car clairement, ce n’est pas une absence de volonté de se mobiliser qu’on remarque chez la jeunesse. Cette présence des jeunes dans la mobilisation est d’ailleurs importante dans les cortèges. Plus de 60 000 le 19 janvier, 150 000 partout sur le territoire le 31, selon l’UNEF.

À Rennes, lycéens et étudiants étaient d’ailleurs en tête du cortège de manifestants ce 7 février à 11 heures. Le blocage de l’université de Rennes 2 a été voté la veille, après une intervention du député insoumis Louis Boyard dans un hall bondé de la faculté. Malou Duhamel, étudiant en licence et militant de l’Union Pirate – premier syndicat étudiant de Rennes 2 -, note même « une surmobilisation des jeunes dans la manifestation de ce matin, grâce aux blocages de nombreux lycées rennais qui ont rejoint l’initiative lancée par Rennes 2 ».

Au gouvernement, la « peur d’une coagulation des colères »

(Photo : Lily Chavance.)

Ces chiffres d’ampleur ne se traduisent pas encore forcément au sein des facultés. Mais les nombreuses assemblées générales organisées en France laissent espérer aux différentes organisations de jeunesse une massification de la mobilisation.

« Une assemblée interfac a rassemblé plus de 600 personnes hier soir, c’est plus du double de la semaine dernière », souligne-t-on du côté du Poing Levé. Très présent sur le terrain, ce collectif essaie de « construire un plan de bataille qui va au-delà des journées de mobilisation isolées », critiquant, en creux, la stratégie de l’UNEF d’appeler uniquement aux mobilisations organisées par l’intersyndicale.

Construire un plan de bataille qui va au-delà des journées de mobilisation isolées.

Ainsi, à l’initiative de l’assemblée générale interfac, un rassemblement étudiant est prévu place de la Sorbonne, à 12 h ce mercredi. « L’idée est de se caler sur le calendrier des cheminots qui sont en grève également demain, pour faire le pont entre étudiants et travailleurs », explique Abi, militante au Poing Levé.

Au gouvernement, on redoute beaucoup une entrée massive des étudiants dans le mouvement. Preuve en est, les annonces concernant une éventuelle généralisation du Service National Universel (SNU) ont été reportées, tout comme la réforme des bourses qui se fait particulièrement attendre. Imane Ouelhadj conclut : « On sent qu’ils ont vraiment peur d’une coagulation des colères ».

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