Retraites : des aidants très mal aidés
Le dispositif présenté par le gouvernement pour mieux accompagner les aidants face à leur retraite reste insuffisant selon les associations, alors que leur quotidien est déjà précaire.
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Lorsque son père sort de l’hôpital, en janvier 2019, Christine sent que sa vie va basculer. Depuis le Var, où elle habite, une douloureuse évidence s’impose à elle, alors que ses parents sont domiciliés en Seine-Saint-Denis. Il va falloir les aider. Urgemment. Le père a perdu beaucoup en autonomie. Et la mère, qui traîne une sciatique paralysante, ne pourra pas s’en sortir toute seule.
« J’ai repris un boulot d’aide à domicile sous-payé, pour la simple raison que ça me permettait de négocier un planning et de remonter une semaine par mois pour voir mes parents », explique celle qui était en recherche d’emploi, à 52 ans. Cette logistique éprouvante dure presque trois années. Avec force trajets en TGV, en plein covid.
Puis arrive 2020, et une rechute de son père assomme encore davantage son quotidien. Cette nouvelle hospitalisation renverse la fragile organisation : cette fois, c’est du plein-temps qu’il faut accorder. Christine prend un congé de proche aidant.
Elle embarque ses parents chez elle dans le Sud pendant un mois, puis repart dans le 93 pour les deux suivants. « Trois ans de temps partiel et une pause de trois mois, ça fait un trou dans la raquette pour la retraite », soupire-t-elle. Depuis, elle habite dans la maison de ses parents. Son père est décédé en octobre. Elle s’occupe de sa mère, de la succession et du logement. « Et je manifeste », tient-elle à préciser.
La caution sociale du gouvernement
Comme Christine, près de 4 millions de proches aidants s’occupent d’une personne âgée en situation de dépendance, selon des enquêtes menées par la Drees. La majorité d’entre eux sont des femmes (59,5 %), dont les carrières présentent déjà des risques de coupures ou d’aménagement du temps de travail. Nombre d’entre elles s’interrogent sur leur future pension, alors que les pouvoirs publics les reconnaissent souvent comme « mères au foyer ».
Le gouvernement l’a bien compris. Ou, du moins, fait mine de l’entendre. Dans le projet de loi qui entre en discussion cette semaine à l’Assemblée, un dispositif concerne les aidants. Il vise à créer une « assurance vieillesse des aidants » (AVA), pour permettre une meilleure validation des trimestres pendant la cessation ou la réduction d’activité. Le gouvernement n’a eu de cesse de mentionner cette initiative comme étant un pilier de « justice sociale » de son projet. Mais cet argument est contesté par la majorité des associations d’aidants.
C’est une forme de publicité mensongère. On modifie à la marge, en assouplissant timidement l’accès à l’assurance vieillesse.
C’est le cas de Morgane Hiron, présidente du collectif Je t’aide. « C’est une forme de publicité mensongère. On modifie à la marge, en assouplissant timidement l’accès à l’assurance vieillesse qui existe déjà. C’est comme si on servait de caution sociale à un gouvernement qui ne nous a jamais proposé de concertation », grince-t-elle. Aujourd’hui, l’assurance vieillesse du parent au foyer permet de récupérer au maximum huit trimestres, grâce à la CAF qui cotise « à la place de l’aidant ».
Le taux d’incapacité de l’aidé doit dépasser les 80 % pour pouvoir être concerné par cette assurance. Élisabeth Borne estime que 40 000 personnes pourraient bénéficier du nouveau dispositif, s’additionnant au 60 000 qui en jouissent déjà. « L’élargissement est à ce jour insuffisant », pointe le Collectif interassociatif des aidants familiaux, qui réunit 52 associations.
Christine fait partie des bénéficiaires. Elle déplore les difficultés d’accès à l’assurance vieillesse, dont le mille-feuille administratif exclut un très grand nombre de dossiers chaque année. « C’est le parcours du combattant. Plein de gens abandonnent en voyant notamment que la CAF répond à chaque question sous un délai de plusieurs semaines, raille-t-elle. La personne qui n’est pas à l’aise avec le français s’engage dans un chemin juché d’embûches. »
« Une charge mentale énorme »
Ce parcours du combattant, Antoine, 41 ans, y a été confronté. Même s’il a pu aménager plus facilement son temps, en tant qu’intermittent du spectacle, il a quand même dû chercher lui-même toutes les aides possibles pour sa mère atteinte de problèmes cognitifs.
« J’ai arrêté de travailler pendant cinq mois. Tout était très opaque. Puis j’ai découvert un service spécial, à l’hôpital d’Oissel, qui organise chaque semaine des ateliers d’éducation thérapeutique pour les aidants. Ça m’a beaucoup aidé », explique le menuisier, qui a mis un an pour mettre en place un quotidien stable.
Lors de ces ateliers, il constate que les aidants sont tous plutôt âgés. « Ils étaient eux-mêmes en souffrance. Et semblaient en difficulté avec Internet, qu’ils utilisent uniquement pour échanger avec leurs petits-enfants. Ils avaient ni la force ni les outils pour soutenir un proche. »
En plus de l’âge, l’accompagnement d’un proche en situation de dépendance est « socialement distribué », analyse Arnaud Trenta, docteur en sociologie au Cnam et spécialiste de ces questions. « Tout ce qui tourne autour de l’intimité agit comme une frontière parmi la classe supérieure, davantage marquée par le culte de l’autonomie. Plus on est aisé, plus on externalise l’aide aux proches », poursuit-il.
Tout ce qui tourne autour de l’intimité agit comme une frontière parmi la classe supérieure. Plus on est aisé, plus on externalise l’aide aux proches.
Une trajectoire revient souvent dans le travail du chercheur : les personnes de plus de 50 ans, aux expériences professionnelles décousues, qui se salarient auprès de leurs parents grâce à l’allocation personnalisée d’autonomie. « Cela permet de concilier la volonté de s’occuper d’un parent âgé, et d’avoir des trimestres », note-t-il.
Mais le quotidien reste précaire, aspiré tout entier par les aléas qu’impose la santé de la personne âgée. Y compris pour les aidants qui essaient de garder leur boulot. « Les personnes encore en activité et qui s’occupent d’un parent âgé s’accrochent à leur travail. Elles vont privilégier le maintien en emploi aussi longtemps que possible, rognant sur les activités de loisir, le temps passé avec les amis, voire les enfants », décrit Arnaud Trenta.
Pour Laurence, 65 ans, qui a habité pendant deux mois et demi chez ses parents avant de trouver un Ehpad, c’était un « effacement de soi total ». « On n’est pas partis en vacances depuis 2014. J’ai trois enfants qui assurent beaucoup, mais on ne peut pas déléguer à ses propres enfants des tâches qu’il est déjà trop difficile de faire soi-même », explique-t-elle, évoquant ces moments où il faut changer son propre père ou expliquer à sa mère que non, le café ne se verse pas dans la bouilloire.
La peur de mal faire
Avec humilité, celle qui a perdu sa mère à l’automne décrit avoir eu une « chance inouïe » d’avoir eu sa retraite à 57 ans. Pour François, son compagnon, « c’est une autre paire de manches ». Il a dû partir quatre ans plus tôt que l’âge réglementaire requis pour bénéficier du taux plein afin de s’occuper de ses parents. Résultat : 300 euros de décote sur sa pension. Avec toujours cette peur de mal faire.
« On brasse beaucoup d’idées, explique Christine, mais on a aucune solution. On se sent complètement seuls. C’est une charge mentale énorme. Et une fois qu’on a commencé, on ne sait jamais quand ça finit. Ah ! si, quand les parents meurent », reprend-elle, dépitée de constater que la priorité, pour les pouvoirs publics, reste le placement en Ehpad, « dont on connaît la réputation ».
Si nos enfants doivent travailler encore plus, comment peuvent-ils s’occuper des vieux ?
Tous craignent que la réforme des retraites précarise plus encore les aidants. Surtout ceux qui sont déjà âgés et approchent de la retraite. Que ce soit Christelle, Laurence ou Arnaud, tous trois ont pu bénéficier de la pension ou de l’épargne de leurs parents. D’une retraite acquise suffisamment tôt ou d’un emploi du temps aménageable. Et mentionnent aussi les errances, les difficultés face à la santé qui se détériore.
Ils auraient rêvé d’un temps de répit, d’un défraiement plus important, d’une meilleure information. Pour eux, Élisabeth Borne n’apporte aucune forme de réalité à ces souhaits. « Il y a un manque d’anticipation notoire. Si nos enfants doivent travailler encore plus, comment peuvent-ils s’occuper des vieux ? », demande Laurence. Une question « naïve », mais que, visiblement, le gouvernement « ne s’est même pas posée ».
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