Sérieux syndical, cirque parlementaire
Alors que les organisations syndicales se montrent unies pour construire le plus gros mouvement social de ces trente dernières années, les parlementaires de la majorité et de la gauche – insoumis en tête –, donnent à voir un spectacle des plus navrants.
Tout avait pourtant bien commencé. Une retentissante prise de parole de Rachel Keke, député La France Insoumise, qui assenait, lundi, à la majorité gouvernementale : « Ne mettez pas à genoux ceux qui tiennent la France debout ». Les débats parlementaires sur la brûlante réforme des retraites étaient lancés.
Mais une semaine après ce début tonitruant, le Palais Bourbon s’est transformé en un grossier cirque où se mélangent invectives futiles et recherches de buzz à tout va. La faute en premier lieu aux députés macronistes, prêts à tout pour esquiver les débats de fond. La faute, aussi, à des parlementaires insoumis qui sont entrés, tête baissée, dans ce jeu.
« L’affaire du ballon »
L’affaire du « ballon » en est l’exemple le plus caricatural. A la base, une photo du député LFI Thomas Portes, posant avec son écharpe tricolore et le pied sur une balle de chamboule-tout, sur laquelle figure la tête du ministre du Travail, Olivier Dussopt. Le tout posté fièrement sur Twitter.
Il n’en fallait pas plus pour que la majorité présidentielle s’insurge en dénonçant des menaces « insupportables et indignes ». Jusque-là, rien d’anormal, même si on pourrait noter la maladresse du tweet initial de Thomas Portes, dans un moment où la macronie fait feu de tout bois pour éluder le fond de sa réforme.
C’est la suite qui laisse pantois. Des échauffourées dans l’hémicycle, Thomas Portes qui refuse de s’excuser, des huées puis une Assemblée nationale qui prononce la sanction suprême à l’égard du député insoumis.
Une exclusion de quinze jours de séances, soit jusqu’à mi-mars, et la privation de la moitié de l’indemnité parlementaire pendant deux mois. La même que pour les propos racistes du député Rassemblement National, Grégoire de Fournas… Une sanction clairement politique alors que les votes se jouent en ce moment à une voix près – à l’instar du vote sur le repas à 1 € pour tous les étudiants.
Du pain bénit pour la macronie
Fin de l’histoire ? Pas vraiment. Dans un courageux élan de solidarité à l’égard de leur vaillant collègue, quelques députés insoumis ont même décidé d’axer leur communication sur cette histoire en faisant figurer des petits ballons par exemple sur leurs réseaux sociaux. Lors de la manifestation du 11 février, à Paris, plusieurs n’hésitent pas non plus à s’afficher avec des ballons de foot sous les bras. Du pain bénit pour la majorité. Et sans doute aussi à l’extrême droite de l’hémicycle de l’Assemblée, dangereusement silencieux.
Ce qui se passe à l’Assemblée Nationale ne sert pas ce qu’on est en train de faire dans la rue.
Si l’on peine à mesurer l’effet de ces postures sur l‘opinion publique, les syndicats, eux, sont furax. « Franchement, on assiste à un cirque », souffle Simon Duteil, co-secrétaire national de Solidaires. « C’est un spectacle lamentable qui n’a rien à voir avec la dignité du mouvement de la rue. J’ai eu l’impression que c’était le plateau d’Hanouna tellement c’était médiocre », enfonce Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT dimanche midi sur RTL. Il va même plus loin : « Ce qui se passe à l’Assemblée Nationale ne sert pas ce qu’on est en train de faire dans la rue, et je suis loin d’être le seul à le penser ».
Sentiment de gâchis
La comparaison fait tache, clairement. Car à l’opposé de politiques vociférateurs, on observe une intersyndicale qui s’affiche unie et soudée depuis un mois, malgré des différences d’approches politiques très fortes. « On arrive même à rigoler avec la CFDT », s’amuse Simon Duteil, « on sait que notre unité c’est notre force, donc chacun fait des concessions pour qu’on avance ensemble ».
Cela fait depuis plusieurs mois que les organisations syndicales ont pensé cette union temporaire pour lutter contre cette réforme et créer un mouvement social d’ampleur. Comme si, de leur côté, on avait saisi l’importance du moment. Et ce début de mobilisation illustre ce sérieux. Des manifestations massives, festives, une opinion publique au plus haut, et une gradation des moyens d’actions devant le constat de l’immobilisme gouvernemental.
Face à ça, cette première semaine de débats à l’Assemblée nationale laisse donc un sentiment de gâchis. Alors qu’elle devait être le symbole du passage de témoin entre la rue et les parlementaires, elle a plutôt fait la triste démonstration que le sérieux des syndicats et du pavé s’est arrêté aux portes du Palais Bourbon.
Le risque de l’isolement
Au point qu’à une semaine de la fin des débats parlementaires, on n’est même pas certain que l’article 7, prévoyant le report de l’âge légal, soit débattu dans l’hémicycle. Alors que la vraie obstruction provenait de l’utilisation de l’article 47-1 de la Constitution par le gouvernement, réduisant ainsi à peau de chagrin la durée des débats parlementaires, la voici désormais attribuée aux députés insoumis qui semblent de plus en plus isolés sur les bancs de la gauche – PS et EELV mettant la pression pour qu’ils retirent leurs milliers d’amendements au plus tôt. Ce que les députés insoumis pourraient bien décider de faire secrètement à la dernière minute.
Surtout, cette semaine a démontré l’éloignement de certains députés de gauche d’un mouvement social dont ils ne détiennent ni la genèse, ni le futur. Car à Morlaix comme à Marseille ou à Lille, ce samedi, pas un seul manifestant rencontré n’évoque « l’affaire du ballon ».
Tous, en revanche, parlent de leurs conditions de travail, des bas salaires, du mal de dos après des journées harassantes, d’accidents du travail. Ils racontent leur envie de pouvoir profiter de leur petits-enfants, d’une retraite décente. Certains parlementaires feraient bien de faire de ces témoignages leur priorité.
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