Ubérisation : le Parlement européen vote la présomption de salariat

C’est une victoire de haute importance pour les livreurs à vélo et chauffeurs VTC, alors que les négociations sur la directive des travailleurs des plateformes ne font que commencer.

Hugo Boursier  • 2 février 2023
Partager :
Ubérisation : le Parlement européen vote la présomption de salariat
© Robert Anasch / Unsplash.

Ce sont pas moins de 4 millions de travailleurs de plateformes qui pourraient être concernés. Ce jeudi matin, le Parlement européen signe une avancée sociale majeure pour les livreurs à vélo et autres chauffeurs VTC. Désormais, la position de l’instance à Bruxelles est claire : la présomption de salariat doit s’appliquer sans critères préalables pour celles et ceux qui triment pour Uber, Deliveroo, etc.

Le statut de « travailleurs indépendants » – dont l’autonomie et le self made man n’ont de cesse d’être vantés par les plateformes – ne reflète pas toujours, dans les faits, la réalité. Ces mêmes travailleurs sont sous le contrôle d’une entreprise qui, via son algorithme, fixe les prix des courses, détermine des horaires préférentiels et organise les conditions de travail au quotidien. Il y a donc, très souvent, un lien de subordination, comme l’a montré dernièrement l’avis de la Cour de cassation, que nous avions révélé.

Sur le même sujet : « Pour les plateformes, les seniors sont des tâcherons comme les autres »

Ces plateformes ne sont donc pas simplement des « intermédiaires » qui mettent en relation entre un auto-entrepreneur et le client. De « faux indépendants », donc, mais de vraies pertes en termes de droit sociaux par rapport à un emploi salarié.

C’est là où le Parlement européen intervient. Après 4 ans de négociations acharnées entre les lobbys des plateformes et les travailleurs, bien représentés par des eurodéputés motivés, comme Leïla Chaïbi, les livreurs et chauffeurs VTC pourraient bien être considérés comme des salariés présumés. Mais la procédure législative sur cette directive est loin d’être terminée.

Contactée, l’eurodéputée insoumise Leila Chaïbi, très active sur ce dossier, exprime son enthousiasme : « C’est vraiment positif pour ces travailleurs ubérisés. Le fait que le Parlement se positionne sur une présomption de salariat est une excellente nouvelle pour la suite », explique-t-elle, alors que les discussions entre le Parlement européen, le Conseil de l’UE et la Commission débuteront au début de l’été, pour déboucher sur une directive à transposer dans les pays membres sous les deux ans qui suivent.

Emmanuel Macron, allié sûr des plateformes

Au tour du Conseil de l’UE, désormais, de fixer sa position par rapport à la proposition de directive. Les discussions auront lieu au mois de mars. Composé des chefs d’État et de gouvernement des États membres, le Conseil de l’UE pourrait donner un avis plus proche des desiderata des plateformes.

Elles pourront notamment compter sur l’action volontariste d’Emmanuel Macron en faveur de leurs intérêts, comme l’ont révélé les UberFiles. Pour Leila Chaïbi, le vote du Parlement porte ainsi un véritable « camouflet » au chef de l’État, chantre de la start-up Nation.

Tandis que la Commission européenne, dans sa proposition de directive publiée en décembre 2021, proposait la mise en place de deux critères à respecter pour que le travailleur indépendant soit reconnu comme salarié, la position du Conseil de l’UE tendrait plutôt vers trois, voire quatre critères, selon nos informations. Le Parlement, lui, a donc statué sur une présomption de salariat, c’est-à-dire une absence de critères a priori à respecter du côté du travailleur. À charge des plateformes de prouver que le travailleur est bien indépendant.

Si les négociations ne font que commencer, les chauffeurs VTC ont déjà affiché leur émotion, à l’instar de Brahim Ben Ali, porte-parole de l’intersyndicale des VTC :

Tout Politis dans votre boîte email avec nos newsletters !
Travail
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Mise en danger d’autrui, subornation de témoins… François Asselin, ex CPME, dans la tempête
Enquête 6 février 2025 abonné·es

Mise en danger d’autrui, subornation de témoins… François Asselin, ex CPME, dans la tempête

L’ex président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) est au cœur de l’enquête sur l’intoxication au plomb de plusieurs ouvriers sur le chantier de l’Opéra royal du Château de Versailles. Révélations.
Par Pierre Jequier-Zalc
Sur le chantier de l’Opéra royal du château de Versailles, « des intérimaires envoyés à la mort »
Justice 6 février 2025 abonné·es

Sur le chantier de l’Opéra royal du château de Versailles, « des intérimaires envoyés à la mort »

Ce lundi 10 février s’ouvre à Versailles un procès historique. Près de 16 ans après la grave intoxication au plomb de plusieurs intérimaires sur le chantier de restauration de l’Opéra royal du Château de Versailles, quatre entreprises et six personnes physiques sont notamment accusées de blessures involontaires et de mise en danger d’autrui.
Par Pierre Jequier-Zalc
Siham Touazi, l’infirmière qu’un Ehpad de luxe voulait faire taire
Luttes 6 février 2025 abonné·es

Siham Touazi, l’infirmière qu’un Ehpad de luxe voulait faire taire

Celle qui avait initié une grève inédite de 133 jours avec une dizaine de femmes dans un établissement cossu du Val d’Oise, est visée pour une plainte en diffamation par ses anciens employeurs. L’audience de cette « procédure bâillon » était fixée ce jeudi 6 février. Portrait.
Par Hugo Boursier
En Ardèche, la Confédération paysanne espère (enfin) renverser la FNSEA
Terrain 23 janvier 2025 abonné·es

En Ardèche, la Confédération paysanne espère (enfin) renverser la FNSEA

Alors qu’en 2019, elle a échoué à 224 voix pour remporter la chambre d’agriculture ardéchoise, la Confédération paysanne pense, cette fois, bénéficier de son ancrage local de plus en plus fort pour battre la FNSEA et son « double discours ».
Par Pierre Jequier-Zalc