Ukraine : les ambiguïtés de Macron
Emmanuel Macron veut « défaire la Russie », mais il ne veut pas « l’écraser ». Le propos est louable, mais tellement à contretemps qu’il en devient suspect.
dans l’hebdo N° 1746 Acheter ce numéro
Éloignons-nous un instant de l’Ukraine pour mieux y revenir. On raconte qu’à la conférence de Versailles, en juin 1919, le Premier ministre britannique, Lloyd George, mit en garde Clemenceau contre la volonté de celui-ci d’humilier l’Allemagne. En France, le socialiste Jean Longuet redoutait, lui aussi, qu’on alimente le « revanchisme » d’outre-Rhin. Clemenceau ne les a pas entendus. On connaît la suite.
Le débat d’aujourd’hui a quelques résonances avec la paix des vainqueurs de 1919. « Ne pas humilier la Russie », conseillait récemment Macron, qui semblait faire référence à l’histoire. Le propos ayant été mal reçu à Kyiv, le président français avait ensuite fait discrètement marche arrière. Mais voilà qu’il a récidivé le 18 février, au retour de la conférence de Munich. Il veut « défaire la Russie », mais il ne veut pas « l’écraser ».
Le propos est louable, mais tellement à contretemps qu’il en devient suspect. C’est hier, alors que Macron n’était pas né à la politique, au moment de l’effondrement de l’URSS, qu’il fallait ne pas « humilier » ou « écraser » la Russie. On sait que les États-Unis, surtout, l’Europe, un peu, ont fait tout le contraire. Et c’est demain, après guerre, si la Russie est repoussée dans ses frontières, que la question se posera de nouveau. Macron choisit donc mal son moment. Le débat entre Clemenceau et Lloyd George avait lieu au cours d’une conférence de paix, pas pendant la bataille de Verdun. Or, nous sommes au milieu d’une bataille dont on ne voit pas l’issue.
Pour l’heure, il s’agit surtout d’empêcher que les Ukrainiens soient « écrasés ». D’autant qu’une offensive russe d’envergure se prépare. Et il n’y a que Mélenchon pour croire que les Ukrainiens sont « en situation d’aller assez loin dans leurs capacités de résistance » (1). Autrement dit, sans aide extérieure. Est-il victime d’une désinformation occidentale, qui n’a certes pas la grossièreté de la propagande russe, mais n’en est pas moins trompeuse ? Elle pronostiquait, il y a peu encore, une victoire rapide de l’Ukraine. Elle décrit aujourd’hui une réalité plus sombre.
BFM, le 9 février.
L’Ukraine est sur la défensive, et les munitions lui manquent. Ce n’est évidemment pas le moment de dire aux Ukrainiens qu’ils doivent faire attention à ne pas froisser Vladimir Poutine, ni qu’ils se débrouillent seuls. C’est se tromper de temporalité. Voici un an, j’ai approuvé Macron quand il s’obstinait à discuter avec le président russe. On pouvait encore espérer éviter la guerre. Il y avait de la naïveté chez lui et chez nous. Mais il fallait essayer.
Les préventions psychologiques d’Emmanuel Macron auront peut-être un jour leur nécessité. Aujourd’hui, elles donnent le sentiment de cacher un double discours.
Cela fait belle lurette que nous n’en sommes plus là. La barbarie s’exerce sans limites. Macron semble vouloir rassurer un chef de guerre qui encourage la terreur, le viol, le pillage, les enlèvements d’enfants. Il parle indirectement à un chef de milice qui achève ses propres soldats défaillants à coups de massue. Les préventions psychologiques d’Emmanuel Macron auront peut-être un jour leur nécessité. Aujourd’hui, elles donnent le sentiment de cacher un double discours.
Le « en même temps » macronien est peut-être un habile embrouillamini en politique intérieure, mais c’est un désastre en temps de guerre. À qui donc s’adresse Macron ? À Poutine, bien sûr, comme si celui-ci pouvait être sensible à un discours de mansuétude. À la Pologne, aussi, et aux pays Baltes, les plus va-t-en-guerre des Européens, où certaines voix se font entendre pour entraîner les Occidentaux dans une belligérance directe et apocalyptique. Mais, là encore, les mots de Macron sont hors du temps.
La visite éclair de Joe Biden à Kyiv, le 20 février, est restée dans les limites strictes d’une aide militaire, certes massive, mais à l’écart de la cobelligérance. Washington s’efforce surtout de tenir à distance la Chine, soupçonnée de vouloir envoyer des « armes létales » à Moscou. Mais, à ce stade, on a plus l’impression d’une mise en garde que d’une information avérée. La Chine n’y a d’ailleurs guère intérêt.
Un an après le début de l’offensive russe, l’incertitude est totale. Et l’heure est à une guerre plus féroce que jamais. Là où Macron a raison, c’est qu’il faut une défense européenne. Il faut pouvoir demain s’émanciper de l’Otan. Mais demain, quand il le faudra, Macron tiendra-t-il encore ce discours ? Enfin, par opportunisme, Macron s’adresse peut-être à nous tous, qui voulons à la fois la guerre et la paix. La guerre pour repousser Poutine. La paix, parce que c’est le monde dont nous rêvons.
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