Les fins de carrières très difficiles des séniors de « la seconde ligne »
Une étude menée par une économiste et un sociologue du travail révèle des chiffres explosifs pour ces personnes, à l’heure où le gouvernement veut allonger de deux ans l’âge légal de départ à la retraite.
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Elle s’adressait notamment à ceux qu’on a appelés les « travailleurs de la seconde ligne », ces caissières, ces aides à domiciles, ces ouvriers non qualifiés du bâtiment qui ont permis à la France de tourner malgré le covid. Le principal intéressé, le président de la République, semble l’avoir oublié.
Dernière preuve en date : son projet de réforme des retraites avec un allongement de l’âge légal de départ. Une mesure qui toucherait particulièrement les métiers pénibles non reconnus comme tels. En somme, les travailleurs et travailleuses de la seconde ligne.
Cet argument a été largement repris par de nombreux opposants à cette réforme des retraites. Il s’appuie notamment sur un rapport piloté par Christine Erhel, directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) au CNAM et économiste du travail, qui a largement documenté le manque de reconnaissance, de rémunération et la pénibilité qui entourent ces métiers.
Pour aller plus loin dans la connaissance sur ces travailleurs et travailleuses, l’économiste, accompagnée de Thomas Amossé, sociologue et statisticien au CEET, vient de publier une note sur l’emploi des séniors de la seconde ligne. Cette population – celles et ceux qui occupent ou ont occupé un dernier emploi en seconde ligne – représente 28 % des 12,7 millions de personnes ayant entre 50 et 64 ans aujourd’hui.
Et les résultats trouvés par les deux chercheurs sont accablants. Peu importe le critère regardé, pour ces 3,5 millions de personnes, la situation face à l’emploi est plus dégradée que pour le reste des séniors. Ainsi, les salariés de la seconde ligne de 50 à 64 ans sont « moins souvent en emploi que les autres (58 % contre 66 %) » et occupent plus d’emploi à temps partiel (18 % contre 10 %). La part de chômeurs y est aussi plus importante, « ainsi que la part des inactifs hors retraite », souligne la note.
Forte pauvreté
Les auteurs appuient particulièrement sur cet écart du nombre de personnes ni en emploi ni en retraite. Entre 50 et 64 ans, cela représente plus d’un travailleur sur quatre (26 %) parmi les métiers de la seconde ligne. Cette part est de « seulement » 15 % pour le reste de la population. « Même après 60 ans, 38 % des ouvriers non qualifiés du bâtiment, 27 % des agents d’entretien et 26 % des caissiers et vendeurs de produits alimentaires ne sont ni en emploi ni en retraite », poursuit l’étude.
Elle rappelle surtout que « cette catégorie renvoie souvent à des situations difficiles, associées à une forte pauvreté : chômage durable ou de chômage découragé, invalidité… Selon la DREES, un tiers des séniors de 53 à 69 ans ni en emploi ni en retraite vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2015 ».
Pis, cette situation particulièrement dégradée des séniors de la seconde ligne face à l’emploi se combine avec des rémunérations bien plus faibles que la moyenne. « Pour les séniors qui travaillent dans les métiers de seconde ligne, les salaires apparaissent nettement plus faibles que ceux des métiers hors seconde ligne », observent les chercheurs.
Pour les séniors des métiers de seconde ligne, les salaires apparaissent nettement plus faibles que ceux des métiers hors seconde ligne.
Ils soulignent aussi une « aggravation des écarts avec la moyenne des salariés au fil des carrières ». Ainsi, l’écart est de 625 euros entre 50 et 54 ans. Il grimpe à près de 1 000 euros (965 précisément) pour les 60-64 ans. Des résultats « cohérents avec le constat de carrières salariales en général très plate », expliquent les deux chercheurs.
Entre 50 et 54 ans, le salaire médian d’un travailleur de la seconde ligne n’est que de 1 400 euros. Un chiffre qui baisse à moins de 1 100 euros entre 60 et 64 ans… « Les métiers les plus défavorisés sont les aides à domicile et les aides ménagères, les agents d’entretien, les caissiers et vendeurs en produits alimentaires », écrivent Christine Erhel et Thomas Amossé. Les mêmes, qui, pour reprendre les mots de la députée La France insoumise, Rachel Keke, « tiennent la France debout ».
Ces résultats mettent en lumière bon nombre de problématiques soulevées par la réforme des retraites proposée par le gouvernement. En tête, la difficulté des séniors à retrouver un travail en fin de carrière. Un phénomène exacerbé pour les métiers de la seconde ligne, du fait de leur non-reconnaissance et surtout de leur pénibilité.
Mirage
La mesure annoncée par le gouvernement, un « index sénior » non coercitif, ne semble pas être en adéquation avec une volonté de résorber massivement cette problématique. « Sans contrainte, ni obligations imposées aux entreprises, l’index ne sera pas suffisant », souffle Christine Erhel à nos confrères de Public Sénat. Comme nous vous l’expliquions dans ces colonnes, de plus en plus de séniors n’hésitent pas à franchir le pas de l’ubérisation pour réussir à atteindre l’âge de départ à la retraite, au détriment de leur santé.
Surtout, face à de nombreux temps partiels, des carrières hachées et des rémunérations très faibles, la hausse du minimum contributif, présentée par le gouvernement comme une mesure phare de justice sociale, relève plus du mirage qu’autre chose pour ces travailleurs là. À l’inverse du report de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans qui, lui, sera très concret.
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