7 mars : la France à l’arrêt, la réforme aussi ?
À quelques jours de la prochaine date de mobilisation, les organisations syndicales et politiques opposées à la réforme des retraites labourent le terrain avec un objectif annoncé : faire du 7 mars la plus grosse journée de mobilisation depuis le début du mouvement.
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« L’essentiel, c’est que la journée du 7 soit forte, très forte, massive. » Ces mots, prononcés par Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’Unsa, ont le mérite d’être clairs. Après trois semaines sans date de mobilisation interprofessionnelle, l’intersyndicale appelle à « mettre le pays à l’arrêt » le 7 mars. Une formulation qui sous-entend un durcissement du mouvement.
Car après cinq journées de manifestations ponctuelles en janvier et février, c’est sur la grève que les centrales syndicales veulent appuyer. « Nous souhaitons que tous les salariés s’arrêtent de travailler, que des commerces décident de baisser le rideau… Qu’on montre que sans les travailleurs et travailleuses de ce pays, le pays ne tourne pas », explique Marie Buisson, membre de la commission exécutive de la CGT. « L’intérêt, c’est aussi de peser sur l’économie pour que le patronat ne soit pas épargné par notre mouvement », abonde Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT.
Si l’objectif d’une grève massive est avancé, le contexte d’inflation et de baisse du pouvoir d’achat reste une préoccupation majeure. « Penser à la fin de sa carrière, ça reste théorique quand on a la fin du mois à boucler avant », souffle Alexis Antonioli, secrétaire général de la CGT TotalEnergies en Normandie.
Nous souhaitons qu’on montre que sans les travailleurs et travailleuses de ce pays, le pays ne tourne pas.
C’est aussi avec ces données en tête que les organisations syndicales ont ménagé ces trois semaines de temps mort dans la mobilisation. Comme pour laisser aux salariés la possibilité de reprendre des forces avant de retourner au combat. Mais aussi pour leur permettre de préparer une journée que les centrales souhaitent « historique ».
« Les syndicats ne sont pas implantés dans l’ensemble des entreprises. On veut que les salariés de ces boîtes-là, souvent des PME, puissent nous rejoindre et faire grève le 7 mars. Il faut que notre travail en amont permette cela », explique Catherine Perret.
En effet, le taux de syndicalisation est assez faible sur le territoire – environ 11 % –, et de nombreux salariés restent éloignés des syndicats. « Des pans entiers du salariat, dans le privé, dans les PME et les TPE, dans certaines zones industrielles des zones rurales, parmi les contractuels de la fonction publique, échappent aux syndicats. Ce phénomène travaille les organisations », explique Sophie Béroud, politiste spécialiste des syndicats à l’université de Lyon-II.
Des mots d’ordre qui s’élargissent
Le défi, pour les centrales, est de réussir à les capter. Dans cette perspective, les mots d’ordre s’élargissent doucement. Dans un communiqué commun, l’intersyndicale assure que le mouvement social en cours « révèle l’inquiétude face à la désertification des territoires, le manque de services publics, les incertitudes en matière d’emploi, de salaires et de pouvoir d’achat ».
La lutte contre la réforme déborde le cadre des retraites.
Une manière, aussi, de coaguler les colères en vue du 7 mars. « On voit bien que la lutte contre la réforme déborde le cadre des retraites. Nous, nous pensons qu’il faut continuer à pousser sur l’ensemble des revendications, comme l’indexation des salaires sur l’inflation », souligne Alexis Antonioli.
« Convaincre, salarié par salarié, c’est un vrai travail de fourmi », glisse un syndicaliste à Solidaires. Tractages devant les entreprises, explications de la réforme et des droits des salariés, « kits grèves » (comment se mettre en grève et réussir la mobilisation dans son entreprise), actions locales : depuis deux semaines, les opérations sont nombreuses pour convaincre un maximum de personnes de participer à cette journée.
« Le 24 février, il y a eu plusieurs manifestations aux flambeaux et des rassemblements, comme à Brieux, à Périgueux, à Tulle… », note Dominique Corona. Par exemple, dans la raffinerie de Normandie, les employés de TotalEnergies discutent avec les salariés sous-traitants des modalités d’action qu’ils pourraient mener ensemble.
« Ils ont moins de droits que nous, sont plus précaires que nous. Ce n’est pas forcément facile de réussir à mobiliser ces salariés, mais on y travaille », souligne Alexis Antonioli. « De nombreux salariés qui ne sont pas syndiqués nous appellent pour nous poser des questions sur leur droit de grève, la manière dont ils pourraient agir. C’est le travail de nos équipes militantes de se déployer, 24 h / 24, partout, pour les rencontrer, discuter, les convaincre et les rassurer », poursuit Catherine Perret.
De nombreux salariés non syndiqués appellent pour poser des questions sur leur droit de grève.
Les rassurer, notamment d’un point de vue financier. Pour aider les grévistes, de nombreuses caisses de grève ont été mises en place afin d’indemniser les salariés les plus fragilisés par leur mobilisation. Celle de la CGT a déjà recueilli plus d’un demi-million d’euros à ce jour, tandis que celle de La France insoumise dépasse les 200 000 euros.
Élargir l’élan collectif
Car à défaut d’avoir été en accord sur la stratégie à adopter à l’Assemblée nationale, la Nupes et les syndicats vont dans la même direction pour préparer cette journée du 7 mars. Caravanes et cafés populaires partout sur le territoire, plusieurs dizaines de meetings organisés : les partis de la Nupes – La France insoumise en tête – se donnent les moyens de convaincre pour élargir l’élan collectif.
Pour autant, si les responsables politiques et syndicaux n’ont que cette date dans leur discours, sur le terrain, les interrogations sont nombreuses quant au devenir du mouvement. Que va-t-il se passer le soir du 7 mars ? Faut-il déjà proposer aux salariés d’entrer en grève reconductible ?
« L’objectif, pour l’instant, c’est que chaque Français compte dans la construction de ce mouvement à part entière. Qu’un salarié, isolé, puisse débrayer, même une heure, pour apporter sa pierre à la construction de la mobilisation », élude Catherine Perret.
L’objectif, pour l’instant, c’est que chaque Français compte dans la construction de ce mouvement.
Alexis Antonioli conclut : « Le soir du 7, au Havre, on a une assemblée générale interprofessionnelle, notamment avec des secteurs bloquants comme les cheminots, les dockers, pour décider de la suite. On voit bien que la victoire passera par une grève reconductible la plus large possible. »
Les quatre syndicats représentatifs de la SNCF – la CGT-Cheminots, SUD-Rail, la CFDT-Cheminots et l’Unsa-Ferroviaire – ont d’ores et déjà annoncé que leur grève sera reconduite au lendemain du 7. De quoi impulser une généralisation de cette reconduction ?