« Atlantic Bar » : un zinc en or
Fanny Molins montre une petite société fragile socialement mais forte en chaleur humaine.
dans l’hebdo N° 1750 Acheter ce numéro
Atlantic bar / Fanny Molins / 1 h 17.
Imaginons le pitch d’Atlantic bar exposé à un éventuel financeur : « Il s’agit de filmer, jour après jour, un café dans un quartier populaire d’Arles, ses tenanciers et quelques-uns de leurs fidèles clients, tous déclassés sociaux, alors que pèse une menace de vente de l’établissement par son propriétaire. » On parie sur une réaction sceptique…
Et pourtant. Le documentaire de Fanny Molins, son premier long-métrage, présenté par l’Acid à Cannes en 2022, est à la fois poignant et captivant – et, heureusement, il a pu se faire, notamment grâce à un financement participatif. Il repose en grande partie sur les magnifiques personnalités de Nathalie et Jean-Jacques, qui tiennent le bar.
Nathalie est une véritable héroïne, extravertie, chaleureuse, regard brillant et merveilleux sourire. Jean-Jacques est plus réservé, même s’il pousse parfois la chansonnette, un homme en retrait, mais pôle solide. Ils ont un grand fils, avec lequel ils forment un trio uni.
Petite société
S’ajoutent les clients, qui sont autant de personnages : un ancien SDF devenu un ami proche du couple, un ex-voleur de banques venant de l’Estaque, un écrivaillon de poèmes du quotidien… La caméra de Fanny Molins filme cette petite société comme si elle était en son sein depuis toujours, sans une once d’exotisme.
On ressent la chaleur qui les réunit, la vitalité résistante malgré une chiche existence, les addictions (Nathalie est alcoolique, Jean-Jacques fume trois paquets par jour) et, aussi, les drames du passé. Nathalie fait ainsi le récit, heurté par les sanglots, de la mort de son frère, encore jeune, alors qu’il se jetait dans ses bras en un ultime hoquet de sang. L’humeur du jour, sombre ou légère, se reflète dans les chansons de Johnny Hallyday qui résonnent dans le bar.
Oui, comment faire entrer dans un pitch ce sentiment de profonde humanité qui émane d’Atlantic bar ? L’humanité des « pauvres gens », comme les nommait Victor Hugo, qui savent mêler humour et générosité. Le film déborde d’une tendresse qui n’a rien à voir avec la sensiblerie kitsch omniprésente à la télévision.
Sur les mots de Bourvil, évoquant justement « la tendresse », un des clients danse, seul devant la caméra, en faisant de multiples tours sur lui-même. C’est aussi simple que grandement émouvant. Que l’Atlantic bar soit dans l’obligation de baisser ou non son rideau, ce qui s’est créé là ne disparaîtra jamais.