Au Folgoët, une centrale photovoltaïque qui ne passe pas

Dans le Finistère, un projet de 17 hectares est censé s’installer au-dessus d’un captage d’eau potable. Les habitants, inquiets pour la qualité de l’eau, dénoncent l’absence de concertation.  

Vanina Delmas  • 22 mars 2023 libéré
Au Folgoët, une centrale photovoltaïque qui ne passe pas
Depuis le début des années 2000, aucun élevage, aucun produit phytosanitaire, aucune manipulation des sols n’ont perturbé les prairies de cette zone.
© Vanina Delmas

« Admirez le paysage, tant qu’il est encore intact ! » lance François-Louis à la trentaine de personnes qui participent à la première marche pédagogique du collectif Salen 29 (Sauvegarde à Lannuchen de l’eau et de la nature). Et il y a de l’amertume dans la voix de cet habitant du Folgoët. Un projet de centrale photovoltaïque de 17 hectares prévoit de s’installer d’ici à 2024 (1) à quelques mètres des maisons de son hameau.

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Pour une mise en service en 2025.

L’assistance essaie d’imaginer les rangées de panneaux dressées à 2,5 mètres du sol sur des pieux battus, entourées de grilles et de caméras de surveillance. Des haies ont été promises pour tenter de camoufler l’ensemble. « Nous ne défendons pas cette zone naturelle seulement parce qu’elle est à notre porte, mais surtout parce qu’il y a de l’eau à préserver en dessous. Et l’eau, c’est vital ! » ajoute François-Louis.

Ces prairies verdoyantes, en ce mois de février particulièrement sec, sont situées dans une zone précieusement préservée depuis près de vingt-cinq ans. Une source d’eau potable réside sur ces terres et trois captages sont présents sur le site choisi.

En 1998, un périmètre de protection rapprochée (PPR) a été instauré au Folgoët, afin de respecter la loi sur l’eau de 1992 et de régler les problèmes récurrents de qualité de l’eau dans cette zone où le taux de nitrate dépassait les 400 mg/L – le seuil maximal étant fixé à 50 mg/L.

Christelle se souvient des conséquences de l’arrêté préfectoral. «Nous étions un petit village rural où des familles vivaient depuis plusieurs générations, et la plupart avaient une activité agricole. Ces mesures très strictes ont obligé certains agriculteurs à cesser leur activité, d’autres à la déplacer en dehors du périmètre de protection. Même les cultures d’un maraîcher bio ont été interdites car jugées néfastes pour le captage ! Des élus sont alors venus pour acheter les terres puisqu’elles n’étaient plus exploitables. Ils nous avaient assuré qu’il n’y aurait aucun aménagement sur ces terres, qu’elles seraient destinées à la protection de l’eau. On y a cru », glisse-t-elle, désabusée.

Ainsi, depuis le début des années 2000, aucun élevage, aucun produit phytosanitaire, aucune manipulation des sols n’ont perturbé ces prairies, qui sont seulement fauchées une fois par an. Un seul agriculteur est resté et loue ses terres pour faire du fourrage depuis qu’il est à la retraite. Il a accepté l’offre des porteurs du projet mais n’a pas souhaité nous en dire davantage.

Un espace figé dans le temps

À côté de la station de pompage, des ruchers trônent en hauteur, entourés de panneaux enjoignant de faire attention aux abeilles. Des haies bocagères, des talus, des cours d’eau et des zones humides complètent la palette des richesses naturelles de cet espace, qui semble figé dans le temps et avoir échappé aux assauts de l’urbanisme.

Pourtant, le projet de centrale photovoltaïque était déjà dans les têtes en 2009, mais l’agence régionale de santé (ARS) avait émis un avis défavorable, fondé sur le principe de précaution. Il ressurgit en 2020 : EDF Renouvelables et la SEM Énergies en Finistère sont lauréates de l’appel d’offres de la communauté de communes, la Communauté Lesneven Côte des Légendes (CLCL).

Cette fois, l’ARS donne son feu vert. L’étude hydrogéologique conclut que « le projet est compatible avec les usages des eaux souterraines », sous certaines conditions qui ont notamment engendré la diminution de quelques hectares du site.

Quelques habitants découvrent ce projet dans la presse et, depuis, des couches d’incompréhension s’accumulent. Pourquoi ici et maintenant ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de réunions publiques d’information ? Pourquoi EDF aurait-elle le droit d’aménager ce territoire, de détruire des haies et des talus, alors que les riverains peinent à obtenir des autorisations de travaux d’agrandissement ou d’aménagement de leur maison ? Ces habitants ont le sentiment que tout s’est accéléré pour des raisons qui leur échappent. Une urgence parfois brandie au nom du climat et de la souveraineté énergétique.

Investir dans l’éolien et le solaire

La France est effectivement en retard. En 2020, c’était le seul pays à ne pas avoir atteint le chiffre fixé par l’Union européenne de 23 % de part de renouvelables. La France ne tient pas non plus ses propres objectifs de la programmation pluri­annuelle de l’énergie 2019-2023.

Les scénarios du Réseau de transport d’électricité (RTE) montrent que, pour remplir les objectifs de neutralité carbone d’ici à 2050, il faudra tout d’abord réduire la quantité d’énergie finale consommée et atteindre 50 à 100 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique. L’État doit donc investir massivement, notamment dans l’éolien et le solaire.

« Personne ne prend en compte le fait que cela changera profondément notre paysage quotidien, celui que nous connaissons depuis toujours. » (Photo : Vanina Delmas.)

« Pour le photovoltaïque, cela implique d’avoir entre 35 GWc (2) et 44 GWc d’ici à 2028. Nous sommes à 15 GWc, précise Émilien Lassara, chargé des projets photovoltaïques à l’association Hespul, pionnière dans le développement du solaire. Il faut tout d’abord accélérer le rythme du photovoltaïque en toitures (résidentielles, commerciales, industrielles…) puis les ombrières de parking. C’est mieux accepté par les populations, mais on ne pourra pas se passer du photovoltaïque au sol, qui permet de produire de gros volumes d’électricité à des coûts plus bas. Malgré tout, cela reste une forme d’aménagement du territoire, donc il est important de travailler collectivement l’appropriation sociale du photovoltaïque. »

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Gigawatts-crête. La puissance crête est une grandeur physique de la puissance maximale possible pour un dispositif dans des conditions normales d’ensoleillement.

La loi d’accélération sur les énergies renouvelables, adoptée en février, a l’ambition de répondre à tous ces critères, notamment en mettant en place une planification, en déterminant des zones d’accélération des énergies renouvelables par les élus locaux et en limitant l’artificialisation des sols. Mais tout reste à encadrer par des décrets, et les associations environnementales craignent que la biodiversité soit sacrifiée.

On prend le risque de saccager des terres saines pour une centrale qui sera démantelée dans trente ans.

La maison des parents de Sandrine jouxte le captage d’eau et aura vue sur les panneaux photovoltaïques depuis toutes les fenêtres. « Personne ne prend en compte le fait que cela changera profondément notre paysage quotidien, celui que nous connaissons depuis toujours. Les restrictions du PPR ont permis à la nature de reprendre sa place et, là, on prend le risque de saccager des terres saines pour une centrale qui sera démantelée dans trente ans », s’indigne-t-elle.

Sur le même sujet : Éco-anxiété : tempête dans les têtes

L’association Hespul ayant accompagné un projet sur un captage d’eau à Oursbelille, dans les Hautes-Pyrénées, Émilien Lassara explique que, dans ces zones spécifiques, « le photo­voltaïque n’imperméabilise pas les terres car on ne bétonne pas les sols, et les panneaux sont espacés pour ne pas perturber l’écoulement des eaux de pluie. La fauche sur ces terrains reste maintenue ».

Il contextualise les enjeux d’artificialisation des terres : « Pour atteindre les objectifs énergétiques du photovoltaïque à 2050 et dans le scénario avec le plus fort développement, il faudrait en développer entre 3 000 et 4 000 hectares au sol par an, soit un rythme d’artificialisation dix fois moins important que celui lié aux nouvelles zones résidentielles et aux routes. »

L’association Eau et rivières de Bretagne a émis « un avis pour le moins réservé », notamment parce que des alternatives de localisation existent et que « rien ne justifie techniquement que le projet se fasse à cet endroit dans la mesure où la production sera entièrement injectée dans le réseau et pourrait donc être produite rigoureusement n’importe où en Bretagne ». Selon EDF Renouvelables, le projet du Folgoët permettra de produire annuellement l’équivalent de la consommation électrique de 10 000 habitants (chauffage inclus), soit plus d’un tiers de la population de la CLCL.

« Nous ne sommes pas contre les énergies renouvelables, mais pourquoi cette zone en priorité ? Aucune étude n’a été faite sur d’autres sites, alors qu’il y aurait au moins 9 hectares de toitures disponibles dans la communauté de communes. Le seul argument qu’on nous rétorque est que ces terres sont inutilisées, ce qui est contestable sur le plan écologique », complète Olivier Berthelot, élu municipal de l’opposition sur la liste « Réveillons Le Folgoët ». Il souhaiterait plutôt des réponses sur les risques d’incendie, ou les solutions envisagées pour l’alimentation en eau potable en cas de potentielle pollution.

Nous ne sommes pas contre les énergies renouvelables, mais pourquoi cette zone en priorité ?

La vigilance des citoyens ne fait que commencer. D’autant plus que l’enquête publique qui s’est déroulée pendant un mois, en février, a été soudainement annulée par la préfecture la veille de sa clôture, à cause d’« une erreur de nature à fragiliser la sécurité juridique du projet ». Ni la mairie du Folgoët ni la communauté de communes n’ont souhaité répondre à nos questions.

« Lors des réunions d’information, seuls les riverains du site étaient conviés. Nous voulons un vrai débat public entre les acteurs de l’énergie, de l’eau et de l’agriculture, et ouvert à tous car l’eau est un bien commun ! » assène Christelle. Une deuxième enquête publique serait l’occasion parfaite pour miser sur la démocratie locale.

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