Retraites : les femmes, grandes perdantes
Alors que les inégalités de pension et la pénalisation des femmes perdurent, particulièrement pour les plus modestes et précaires d’entre elles, le rejet de cette nouvelle contre-réforme néolibérale doit préluder à une véritable refonte, féministe et progressiste, du système des retraites.
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« Depuis notre grève, on a une force énorme » Retraites : notre comptage qui révèle le comportement sexiste des députés dans l’hémicycle (G)rêve général(e)Rappelons d’abord un chiffre : les pensions de droit direct (i. e. sans la réversion) des femmes sont en moyenne inférieures de 40 % à celle des hommes ; ou, dit autrement, les pensions des hommes sont supérieures de 67 % à celles des femmes.
Pourquoi un « écart » si important ? Les femmes sont entrées massivement sur le marché du travail dans les années 1960 et, depuis les années 1990, elles sont plus diplômées que les hommes, leurs salaires restant néanmoins très inférieurs.
Christiane Marty est l’autrice de L’Enjeu féministe des retraites, La Dispute, à paraître le 21 avril.
Les inégalités de pension entre les femmes et les hommes avaient tendance à se réduire, mais cette tendance a été fortement freinée du fait des « réformes » de retraite successives depuis 1993. En effet, toutes s’inscrivent dans la doctrine néolibérale qui consiste à diminuer ou encadrer les dépenses publiques. De fait, depuis sept ans, les inégalités de pension ne diminuent plus.
Les réformes passées ont en effet organisé la baisse progressive du niveau des pensions relativement aux revenus d’activité, pour les femmes comme pour les hommes. Elles consistent à durcir les conditions pour une pension à taux plein, à travers des mesures comme l’allongement régulier de la durée de cotisation requise et le recul de l’âge légal de départ.
Ces mesures pénalisent plus les femmes car elles ont en moyenne, encore aujourd’hui, des carrières plus courtes que les hommes. Ce sont elles en effet qui se retirent de l’emploi lors de la naissance d’enfants – ce qui est plus souvent le cas des femmes précaires – ou pour s’occuper d’un parent âgé, par manque de services adéquats.
Ces mesures rendant plus difficile l’accès à une pension à taux plein ont des conséquences plus graves pour les plus modestes : le Conseil d’orientation des retraites (COR) note ainsi que le taux de pauvreté des retraité·es est de 10,4 % chez les femmes, supérieur de 2 points à celui des hommes, que ces taux sont en augmentation et que l’écart entre les deux se creuse.
Le projet du gouvernement continuerait de peser fortement sur les femmes, particulièrement les plus précaires.
Le projet actuel porté par le gouvernement continuerait de peser fortement sur les femmes, particulièrement sur les plus précaires. Aujourd’hui, un tiers des personnes – 37 % des femmes et 28 % des hommes – ne passent pas directement de l’emploi à la retraite : elles des périodes de chômage, de maladie, d’invalidité ou d’inactivité. Pour toutes ces personnes, reculer de deux ans l’âge de la retraite signifierait donc prolonger ce sas de précarité, avec peu, voire pas de revenus.
Par ailleurs, de nombreuses femmes des métiers très féminisés, aides-soignantes, aides à domicile, employées du commerce, etc. ont témoigné de leurs conditions de travail, de la pénibilité et de l’usure qui en résulte, pour des salaires très faibles : elles n’envisagent même pas comment elles pourraient tenir deux années de plus.
De même, la durée de carrière complète atteindrait encore plus rapidement les 43 annuités alors que, comme l’indique le COR, la durée moyenne de carrière validée a déjà commencé à diminuer et elle baisserait jusqu’à 38 années dans cinquante ans. L’écart est donc croissant entre la durée de cotisation exigée et celle réalisée, ce qui programme une baisse accrue des pensions.
La décote, une double pénalisation
L’hostilité à ce projet ne faiblissant pas, plus particulièrement de la part des femmes, diverses mesures ont été annoncées, réputées leur être favorables. On ne reviendra pas sur le feuilleton caricatural du minimum à 1 200 euros. Fin octobre, Madame Borne annonçait faire une réforme juste pour les femmes car elle maintenait à 67 ans l’âge d’annulation de la décote.
Élisabeth Borne prétend faire une réforme juste parce qu’elle n’aggrave pas une mesure injuste !
Rappelons que la pension du régime général est déjà calculée au prorata entre la durée de carrière réalisée et la durée de carrière complète. La décote constitue un abattement supplémentaire (de 5 % par année manquante) sur la pension pour les carrières incomplètes. Pour ne pas la subir, il faut attendre 67 ans, ce qui est le cas de deux fois plus de femmes que d’hommes.
La décote est une double pénalisation, ce qu’avait reconnu Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire aux retraites en 2019. Elle devrait être supprimée. Mais ce n’est pas ce que prévoit Élisabeth Borne, qui prétend faire une réforme juste simplement parce qu’elle n’aggrave pas cette mesure injuste !
Certaines personnalités des Républicains émettent des propositions pour « améliorer la situation des femmes ». Bruno Retailleau, sénateur, défend ainsi une « politique nataliste ambitieuse » et propose d’attribuer une surcote de 5 % pour les mères d’au moins deux enfants. Le RN, lui aussi, saisit le prétexte de cette réforme pour ressortir sa vieille obsession, à savoir une relance de la natalité à visée identitaire.
Tout d’abord, une politique nataliste est incompatible aujourd’hui avec les aspirations féministes. La politique familiale devrait simplement permettre aux femmes et aux couples de choisir librement d’avoir ou non des enfants, c’est-à-dire ne pas laisser les contraintes budgétaires, ou à l’inverse les incitations monétaires, décider à leur place.
Éradiquer les inégalités
Ensuite, le renforcement de dispositifs familiaux réservés aux femmes ne s’inscrit pas dans une politique visant l’égalité de genre (en dehors, bien sûr, des trimestres accordés en contrepartie de la maternité). Les droits familiaux accordés au titre de la prise en charge des enfants sont certes indispensables – encore aujourd’hui – pour atténuer les inégalités de pension entre les sexes : il ne peut être question de les réduire tant que, en amont, cette prise en charge reste essentiellement assumée par les femmes.
Mais il serait incohérent de vouloir faire de leur renforcement l’outil d’une politique en faveur de l’égalité de pension : car ils ne font que compenser a posteriori (et partiellement) les inégalités de retraite, sans du tout agir sur leur source. Au contraire même, ils entretiennent ces inégalités car ils tendent à enfermer les femmes dans le rôle de mère. Si une institution sociale, la retraite, indique attribuer des droits supplémentaires aux femmes en lien avec la prise en charge des enfants, elle légitime et perpétue l’idée qu’elles ont vocation à s’en occuper.
Pour rendre la retraite plus juste, il est essentiel d’agir en amont pour éradiquer les inégalités.
Pour rendre la retraite plus juste, il est essentiel d’agir en amont pour éradiquer les inégalités en matière de salaires, de carrières et d’accès des femmes à un emploi, ce qui permettrait en outre d’améliorer très sensiblement les recettes des caisses de retraite. Les métiers à dominante féminine, sous-rémunérés, doivent être revalorisés, leur pénibilité reconnue.
Emmanuel Macron avait déclaré en 2017 l’égalité entre les femmes et les hommes « grande cause » de son quinquennat. Mais pour la seconde fois, il veut imposer une réforme des retraites injuste qui pèserait plus fortement sur elles. Les femmes veulent leur indépendance économique, un emploi, l’égalité au travail et dans leurs vies, le partage des tâches, des services publics pour la petite enfance et pour le grand âge.
Refuser cette contre-réforme n’est qu’un début, nous avons besoin d’une vraie réforme, progressiste, pour stopper la régression en cours et améliorer le système pour toutes et tous.
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